L’accès aux services doit être amélioré
Une version de ce commentaire est apparu dans Le Huffington Post
Dans tous les pays développés, politiciens et cliniciens se démènent pour améliorer la qualité des soins tout en réduisant du même coup les dépenses en santé. En Amérique du Nord (y compris au Canada), des groupes de médecins se forment dans le but d’établir des listes d’interventions ou d’examens susceptibles de n’avoir aucun bienfait (au mieux) ou d’être nuisibles et d’entraîner des coûts supplémentaires inutiles. Baptisée Choisir avec soin, cette campagne vise à améliorer la qualité des services et à endiguer la hausse des coûts de la santé. On espère ainsi susciter un dialogue entre médecins et patients, dans l’espoir qu’il conduira à des décisions judicieuses et rentables, fondées sur des données probantes.
Dans le domaine de la santé mentale, cependant, ce n’est pas le recours abusif ou injustifié à certains actes médicaux qui pose problème, mais bien la possibilité même de recevoir des soins. Quand on n’a accès à aucun service, difficile de faire un choix judicieux.
Tout démontre que l’accessibilité des soins de santé mentale au Canada est médiocre. Parmi les personnes souffrant de dépression, une sur cinq bénéficie de soins adéquats. Selon Qualité des services de santé Ontario, seulement un patient ontarien sur trois réussit à consulter un médecin de première ligne ou un psychiatre dans les 30 jours qui suivent son congé de l’hôpital psychiatrique. Une situation proprement scandaleuse, quand on sait que près de 100 % des patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque voient un médecin dans le mois suivant leur congé.
Pourquoi alors cette négligence à l’égard des personnes souffrant de maladie mentale?
La réponse à cette question est complexe. La maladie mentale est l’un des principaux indicateurs de l’accès inéquitable aux soins de santé dans notre pays. Les personnes atteintes sont beaucoup moins susceptibles que les autres d’obtenir les soins dont elles ont besoin. La maladie mentale surpasse la faiblesse du revenu comme facteur susceptible de prédire la difficulté d’accéder aux soins de santé.
Cette situation est néfaste pour les patients souffrant de maladie psychiatrique, mais elle l’est aussi du point de vue du rendement et de ce qu’il en coûte aux contribuables. En effet, une visite chez le médecin après un séjour à l’hôpital coûte beaucoup moins cher qu’une réhospitalisation causée par le fait que vous n’aviez aucun espoir de continuer le traitement qui vous faisait du bien.
La bonne nouvelle, c’est que nous savons souvent ce qui fonctionne. Il existe de nombreux types de traitement, des médicaments et des psychothérapies (par la parole); ce sont des méthodes éprouvées et efficaces. Or dans le domaine de la maladie mentale, nous avons un « travail judicieux » à accomplir avant de pouvoir envisager de faire des « choix judicieux ».
Qu’est-ce que cela veut dire plus exactement?
Prenons l’exemple du cancer. En ce domaine, la prestation des soins est efficace pour l’essentiel à l’échelle du pays. Le système fonctionne parce que la plupart des patients bénéficient de bons services d’investigation diagnostique qui permettent d’évaluer la gravité du cancer et, sur la base de ces examens, d’intervenir adéquatement. Dans la majorité des provinces, nous savons quel est le fardeau du cancer dans la population et nous sommes en mesure de créer des structures en conséquence. Par ailleurs, les résultats des soins sont évalués sur une base constante et les protocoles ajustés en fonction des données sur leur qualité.
Dans le domaine de la santé mentale, on ne trouve rien qui se rapprocherait un tant soit peu de cette structure. Cela signifie que nous n’avons pas une bonne idée des besoins offerts à la population. Sans cette information, impossible de concilier les ressources en place pour palier à la demande.
Par « travail judicieux » en santé mentale, nous entendons un investissement dans la capacité de dépistage et de triage; les données qui en découleront permettront de mettre au point des protocoles de soins adaptés au fardeau de la maladie et d’évaluer convenablement les résultats dans un esprit d’amélioration constante des interventions. S’appuyant sur son Cadre pour une stratégie en matière de santé mentale, la Commission de la santé mentale du Canada prône depuis cinq ans une meilleure évaluation du rendement, tout comme la majorité des provinces qui se sont dotées d’une stratégie. La tâche est gigantesque : créer une structure digne de ce nom à partir de rien.
Si nous entendons parler davantage de maladie mentale dans les médias ces jours-ci, c’est grâce aux témoignages de personnes courageuses qui acceptent de raconter leur parcours, et qui contribuent par le fait même à réduire la stigmatisation. Les gens n’acceptent plus de souffrir en silence; désormais, nous ne pouvons plus fermer les yeux sur le fardeau de la maladie mentale.
Néanmoins, il faudrait que les personnes qui se résolvent à demander de l’aide pour la première fois puissent trouver des services capables de les accueillir adéquatement et de répondre à leurs besoins. Sans cette structure, nous continuerons de trouver à chaque semaine à la une des journaux des histoires déprimantes à propos de l’aide insuffisante aux personnes souffrant de maladie mentale.
Paul Kurdyak est expert-conseil auprès du site EvidenceNetwork.ca, psychiatre et chercheur clinique ou Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH).
Sanjeev Sockalingam est psychiatre, professeur associé à l’Université de Toronto et psychiatre en chef suppléant au Réseau universitaire de santé.
decembre 2014