Selon les études, la présence d’une éducation et d’un soutien familial de qualité pendant la petite enfance génère d’excellents résultats.
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Il y a quelque chose qui cloche au Canada. Un rapport publié par UNICEF en 2014 comparait la santé et le développement des enfants canadiens à ceux de 28 autres pays nantis. Bien qu’il fasse partie du G8, le Canada se classe au 17e rang en ce qui a trait à ses enfants, et sa position demeure la même depuis 10 ans. Pour ce qui est de la qualité de la relation parents-enfants, le Canada se classe au 25e rang. Ces faits sont confirmés par des données canadiennes. En 2014, l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) révélait que 26 pour cent des enfants canadiens affichaient, avant d’atteindre l’âge scolaire, un problème de développement sur le plan de la communication, du langage, de la santé socio-émotionnelle ou physique ou sur le plan cognitif.
À quoi ces troubles si fréquents sont-ils dus? Entre autres, à la présence d’événements stressants au stade précoce combinée à l’absence d’une relation positive avec une personne qui prodigue des soins. Or, nous pouvons certainement agir pour corriger de telles situations.
Le Harvard Centre on the Developing Child [Centre Harvard sur le développement de l’enfant] a publié au moins une douzaine de rapports présentant des données probantes exhaustives sur l’influence qu’exerce un taux de stress élevé sur le développement du cerveau d’un enfant. Un enfant qui vit trop de stress ne développe pas les capacités nécessaires pour participer à l’économie du savoir qui caractérise notre ère. Si nous souhaitons combattre le crime, la pauvreté, la maladie ou toutes les autres misères qui pèsent sur notre société, nous devons nous attaquer aux sources des problèmes. Celles-ci remontent à la petite enfance, une étape du développement où il importe d’avoir des parents aimants qui assurent aux enfants des environnements sains.
Les enfants, les familles et les pays se portent mieux lorsque les États investissent dans des programmes de soutien à la petite enfance.
L’une des nombreuses études sur le sujet réalisée par la Minneapolis Reserve Bank a comparé l’efficacité des programmes d’éducation préscolaire à d’autres investissements gouvernementaux courants, comme l’octroi de subventions aux entreprises privées. L’institution a fait le constat suivant. En termes de rendement du capital investi, l’éducation à la petite enfance génère 8 $ pour chaque dollar dépensé. Ceci est dû à l’économie de coûts liée à la réduction de mesures d’enseignement correctif et la diminution des démêlées avec la justice pour mineurs et de l’utilisation de services de santé et de services sociaux, ainsi qu’à l’augmentation du taux d’achèvement d’études.
Encore plus surprenant, les programmes qui ciblent non seulement les enfants, mais aussi leur mère et d’autres personnes qui prennent soin d’eux semblent produire les effets les plus importants et les plus durables en matière de santé et de développement infantiles.
L’économiste James Heckman, lauréat d’un prix Nobel, a publié un rapport intitulé The Productivity Argument for Investing in Young Children [L’argument de la productivité justifiant l’investissement de ressources pour l’aide à la petite enfance]. Ce rapport souligne la nécessité d’allouer des fonds publics au soutien de programmes de développement ciblant les enfants et leur famille, surtout (mais non seulement) de milieux à faible revenu ou défavorisés. M. Heckman soutient que la création d’une main-d’œuvre qualifiée s’appuie sur une société compétente et scolarisée. L’environnement dans lequel se déroule la petite enfance constitue les fondements sur lesquels reposent les futures habiletés et le niveau d’éducation. Les enfants vivant dans des familles défavorisées et stressées éprouvent de façon disproportionnée des difficultés à acquérir des habiletés essentielles. Les mesures destinées à combler les retards peuvent s’avérer très exigeantes et coûteuses.
À long terme, les initiatives visant à offrir des programmes de soutien au développement des enfants et de réduction de stress familial sont des avenues beaucoup moins coûteuses. Dès le départ, elles préviennent les retards chez les enfants et augmentent chez ceux-ci la capacité d’accéder à un revenu supérieur et de s’affranchir des onéreux programmes de santé, de services sociaux, d’éducation et de justice.
À la lumière de toutes ces données probantes, les nombreuses difficultés que vivent les enfants canadiens devraient soulever notre indignation. Malgré leurs retombées confirmées, les programmes de soutien aux enfants font face à des obstacles importants.
Premièrement, du point de vue politique, ces programmes sont difficiles à implanter et il est facile d’en ignorer l’importance. Les résultats qui découlent de ces initiatives ne se manifestent qu’après des années ou des décennies et ces délais cadrent peu avec les cycles électoraux. Les retombées touchent surtout les familles vulnérables et marginalisées, un groupe qui a peu de poids politique. D’autres dossiers, comme celui du tsunami d’une population vieillissante au Canada, sont perçus comme beaucoup plus importants et urgents et suscitent l’intérêt d’un grand nombre d’électeurs avertis.
Deuxièmement, pour assurer l’efficacité des investissements liés à ce type de programmes, il faut mettre en place une coordination minutieuse entre les multiples secteurs, y compris la santé, l’éducation, la justice, les services sociaux et les services à la personne. Les risques de difficultés logistiques et de problèmes de coordination sont réels et ils sont amplifiés si ces secteurs relèvent de compétences différentes, soit régionales, provinciales et fédérales. Peut s’ensuivre alors un rapiéçage de programmes d’aide aux familles et aux enfants qui bénéficient de peu de ressources, à l’accès difficile, non évalués et orphelins de défenseurs pancanadiens puissants et convaincus.
Pour terminer, il faut, à mon avis, améliorer les programmes et les politiques de manière à sensibiliser davantage la population canadienne au fait que les enfants du pays sont les enfants de la collectivité et qu’ils méritent tous, ainsi que leurs parents, le soutien de tous. De plus, une génération plus intelligente, plus heureuse et qui réussit mieux est un atout non seulement pour ceux qui utilisent les services d’éducation à la petite enfance, mais aussi pour la population entière.
La négligence qui entoure ce dossier depuis si longtemps est inadmissible et les impératifs moraux et statistiques nous indiquent l’importance de se pencher davantage sur ces questions. Depuis 10 ans, nous n’avons même pas obtenu une note de passage. Le temps est venu de faire des changements.
Nicole Letourneau est experte-conseil à EvidenceNetwork.ca. Professeure aux facultés des sciences infirmières et de médecine de l’Université de Calgary, elle est également titulaire de la chaire de la Fondation Norlien/Hôpital pour enfants de l’Alberta en santé mentale des parents-enfants de la même université.
december 2014