Comment baisser le coût des médicaments au Québec?

Par Marc-André Gagnon

Une version de ce commentaire est apparu dans La Presse, L’Options Politiques et L’Aut’ Journal

Comment baisser le coût des médicaments au Québec?Pour soigner une vilaine laryngite, mon fils s’est fait prescrire un antibiotique (Cefprozil en suspension orale). Le prix du produit est normalement 11,85 $, auquel il faut ajouter les honoraires professionnels du pharmacien (environ 10$ par prescription). Mon régime privé d’assurance-médicaments couvre 80 % de mes dépenses et je m’attendais donc à payer 4,40 $ de ma poche en coassurance. J’ai toutefois dû payer 47,89 $. Bienvenue dans le monde surréaliste de l’assurance-médicaments du Québec!

J’ai questionné mon pharmacien, mon assureur et la RAMQ pour comprendre pourquoi je devais payer dix fois plus cher que le montant prévu. J’ai compris que le générique m’avait été vendu au prix du médicament de marque (33,88 $). En effet, certains fournisseurs de génériques ne listent plus leurs médicaments pour les régimes publics afin de contourner la réglementation des prix, et ne vendent leurs produits qu’aux régimes privés à des prix plus élevés. Cette stratégie permet plus de profits pour le fabricant (et plus de ristournes pour les pharmacies).

Ensuite, les honoraires professionnels exigés par mon pharmacien étaient de 30$, un montant tout à fait abusif que les assureurs privés remboursent normalement sans rien dire puisqu’ils n’ont pas la capacité de réguler ces frais. En effet, au Québec, les pharmacies n’ont pas à divulguer les montants exigés pour le médicament ou pour les honoraires professionnels, ce qui permet des abus. Les compagnies d’assurance ont peu intérêt à changer les choses puisqu’elles sont payées en pourcentage des dépenses en médicaments. Plus les médicaments coûtent cher, plus leurs revenus sont élevés.

Mon employeur en Ontario plafonne les montants remboursés pour les honoraires professionnels du pharmacien et il m’a donc fallu payer la différence de ma poche. Bref, le médicament aura finalement coûté 286 % du prix payé le régime public, alors que les honoraires professionnels s’élevaient à 330 % de ceux demandés au régime public. Pour ma part, j’ai payé un montant dix fois supérieur à celui que j’aurais payé si j’avais été couvert par le régime public.

Mon expérience n’est pas exceptionnelle. À la fin mars, le Commissaire de la santé et au bien-être du Québec a publié un rapport sur le coût et l’usage des médicaments qui démontre que ce type d’expérience est plutôt la norme. Le rapport recommande de rendre plus transparente la facturation des ordonnances ainsi que de permettre aux régimes privés de ne pas rembourser les frais abusifs par le plafonnement des honoraires professionnels et l’instauration de la substitution générique obligatoire. Ces réformes tombent toutes sous le sens commun.

Le rapport recommande aussi que le régime public recoure à des ententes confidentielles avec les fabricants pour réduire les coûts des médicaments. À noter que le projet de loi 28 actuellement débattu à l’Assemblée Nationale permettrait au régime public de recourir à de telles ententes. Le problème est que ces ententes généreraient des ristournes confidentielles pour le régime public tout en maintenant des prix officiels artificiellement gonflés. Puisque les régimes privés ne recourent pas à de telles ententes, ils devront payer ces prix gonflés. Les patients assurés au régime public, eux aussi, devront payer leur franchise et leur coassurance (de 32,5 %) non pas à partir du prix réel de ces médicaments mais à partir de leur prix artificiellement gonflé. Bref, le régime public pourra ainsi équilibrer son budget non pas en contenant le coût des médicaments, mais en pelletant les coûts sur les patients et les régimes privés.

À la fin février 2015, Québec solidaire a lui-aussi déposé un projet de loi pour contenir le coût des médicaments mais en demandant la mise en place d’un régime public universel d’assurance-médicaments. En effet, pour  négocier efficacement le prix des médicaments, il ne faut plus que la majeure partie du marché soit composée de régimes privés acceptant de rembourser tout médicament quel que soit le prix. Un régime public universel, qui est aussi la norme parmi les pays de l’OCDE, permettrait de contenir les coûts pour tous plutôt que de chercher à pelleter les coûts ailleurs dans le système.

Une étude récente publiée dans le Canadian Medical Association Journal notait que l’instauration au Canada d’un régime public universel pour les médicaments permettrait de réduire les prix, d’accroître la substitution générique et d’améliorer les habitudes de prescriptions à partir des données probantes. En recourant à des hypothèses conservatrices, l’étude démontrait que le Canada pourrait économiser 7,3 milliards de dollars en médicaments prescrits par l’instauration d’un régime public universel d’assurance-médicaments. À lui seul, le Québec économiserait plus de 2 milliards de dollars. Ces chiffres ne prennent toutefois pas en compte l’élimination des coûts administratifs de 15 % ponctionnés par les régimes privés, ainsi que l’élimination des subventions à caractère fiscal octroyées aux régimes privés par le gouvernement fédéral.

En attendant que nos décideurs politiques mettent fin au gaspillage en coûts des médicaments, nous devrons continuer d’acquitter des factures abusives contre lesquelles nous n’avons aucun recours.

Marc-André Gagnon est expert-conseil à EvidenceNetwork.ca et professeur adjoint à la School of Public Policy and Administration de l’Université Carleton.

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