Le soutien que reçoivent les enfants en bas âge a une profonde influence sur leur développement intellectuel et social
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L’UNICEF a publié récemment un classement des 29 pays les plus riches de la planète en fonction du bien-être des enfants. Le Canada figure en 17e position, ce qui le place dans le peloton de queue en ce qui touche certains facteurs comme la pauvreté chez les enfants, le bien‑être affectif et la satisfaction de vivre.
De toute évidence, nous pouvons faire mieux. Le temps est venu de tenir une discussion franche sur les orientations de notre pays en matière de développement de la petite enfance : sur ce qui marche, et sur ce qui doit changer.
Notre système d’éducation fait du bon travail lorsqu’il s’agit de favoriser le développement cognitif et d’aider les enfants à développer les habiletés nécessaires pour exceller à l’école. En effet, les classements internationaux placent le Canada aux premiers rangs en matière de réussite scolaire; même le bilan de l’UNICEF nous situe au-dessus de la moyenne dans cette catégorie.
Or l’école ne représente qu’une partie du tableau. L’apprentissage débute bien avant que l’enfant ne fréquente les salles de classe. L’architecture du cerveau, qui se façonne durant cette période fondamentale qu’est la première enfance, détermine la stabilité d’une vie entière. Les études démontrent que le soutien et la stimulation ont un effet profond sur le développement intellectuel et social du jeune enfant; ils ont une incidence sur tous les plans, depuis la réussite scolaire jusqu’à la santé mentale, en passant par le risque de maladie du cœur.
C’est précisément à ce stade primordial que le Canada doit s’améliorer. Et le meilleur moyen d’y parvenir est d’imiter ceux qui semblent avoir du succès en la matière. La Norvège, la Suède et l’Allemagne – des pays qui affichent des résultats bien supérieurs à ceux du Canada dans le bilan de l’UNICEF – offrent notamment des congés parentaux beaucoup plus généreux que les nôtres.
Dans ces trois pays, les parents en congé parental reçoivent 85 % à 90 % de leur salaire annuel, comparativement à 50 % au Canada. De plus, les parents qui en ont les moyens peuvent prendre de 150 à 170 semaines de congé pour s’occuper d’un enfant en bas âge (soit plus de trois ans et trois mois), avec la garantie qu’ils pourront récupérer leur emploi à leur retour au travail.
De leur côté, les Pays-Bas, classés au premier rang dans le bilan de l’UNICEF, offrent aux nouveaux parents toute une gamme d’avantages sociaux : services de garde subventionnés; programmes spéciaux pour les familles à risque; services postnatals complets dispensés par des infirmières spécialement formées pour aider les mères à apprivoiser leur nouveau rôle. Appelées kraamverzorgster, elles passent souvent jusqu’à six à huit heures par jour dans une seule famille; elles donnent des conseils en matière d’allaitement et détectent les cas d’ankyloglossie (brièveté du frein de la langue). Elles font même parfois de menus travaux ménagers.
Vu d’ici, ces services peuvent nous paraître comme un luxe, voire décadents. Il s’agit toutefois d’une intervention pragmatique, aux résultats avérés, qui vise à prévenir les conséquences coûteuses d’une mauvaise expérience durant la petite enfance, non seulement pour l’enfant et sa famille, mais pour l’ensemble de la société.
Même s’ils sont souvent bénéfiques, les programmes axés sur les individus ne peuvent avoir en fin de compte qu’une portée limitée. Si des pays comme la Suède et les Pays-Bas montrent d’aussi bons résultats, c’est qu’ils ont redonné à la petite enfance toute l’attention qu’elle mérite. C’est précisément là-dessus que nous devrions nous concentrer.
Malheureusement, nous n’avons pas au Canada de vision digne de ce nom. En 2004, le gouvernement avait proposé un plan d’action exhaustif intitulé « Un Canada digne de ses enfants », axé sur le soutien aux familles, le développement communautaire et la promotion de l’éducation. Toutefois, ce plan a été abandonné en 2006; il a été remplacé par une prestation universelle imposable de 100 $ par enfant âgé de moins de six ans.
Cette prestation a un certain attrait en soi : en effet, qui n’aime pas trouver un chèque dans sa boîte aux lettres? Néanmoins, même si quelques dollars de plus font parfois une grande différence pour bien des familles, ce genre de politique n’est qu’une mesure insignifiante – un pansement de fortune qui ne compense en rien les limites de notre stratégie en matière de petite enfance. Par ailleurs, elle ne tient aucunement compte des inégalités systémiques entre familles riches et familles pauvres.
Cela ne signifie pas que le Canada n’a pas fait de grands progrès. Notre congé parental, même s’il est moins généreux que dans d’autres pays, offre malgré tout aux jeunes familles un soutien financier bienvenu pendant cette première année si déterminante où la présence des parents compte plus que tout. De plus, certaines initiatives récentes, comme le crédit d’impôt pour les familles, peuvent faire une énorme différence lorsque le budget est serré.
Remettre des chèques a toutefois ses limites. Les sommes consacrées aux allocations familiales servent parfois à payer des services de garde non réglementés, dont certains offrent aux familles un soutien de qualité douteuse. Si on les réunissait dans une seule cagnotte, ces fonds pourraient être dépensés à meilleur escient et servir à financer des services de soutien postnatals dont l’efficacité a été démontrée.
Nicole Letourneau est experte-conseil auprès du site EvidenceNetwork.ca et professeure aux facultés de sciences infirmières et de médecine de l’Université de Calgary. Elle est également titulaire de la Norlien/Alberta Children’s Hospital Foundation Chair in Parent-Infant Mental Health. Justin Joschko est rédacteur à la pige et vit à Ottawa. Ils ont cosigné un ouvrage, Scientific Parenting, paru chez Dundurn Press.
Juin 2015