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Avec l’élection fédérale qui se pointe à l’horizon, certains enjeux de haut niveau ne devraient pas manquer de faire les grands titres, outre les personnalités des chefs politiques : l’économie, les prix de l’énergie, les perspectives d’emploi et même les changements climatiques. Étonnamment, un thème semble jusqu’ici absent des plateformes électorales, soit la nécessité d’un débat en profondeur sur l’état de santé du Canadien moyen et des moyens à prendre pour l’améliorer.
Pour bien des experts, la santé se résume aux soins de santé. Même si cette question mérite une place dans l’actualité politique, l’enjeu qui devrait préoccuper les électeurs canadiens au premier chef devrait être celui des conséquences, sur le plan humain et économique, de la pauvreté sur la santé. Elles ne se limitent pas aux répercussions de nature personnelle sur les individus ayant la mauvaise fortune de vivre sous le seuil de la pauvreté; elles touchent notre économie et l’ensemble de nos régions. Ignorez le problème de la pauvreté et vous échouerez à régler celui de la santé. Omettez les deux et vos discussions sur l’économie, l’emploi ou les marchés (qui dépendent de la bonne santé des Canadiens et des communautés) seront incomplètes.
Plus de trois millions de personnes au Canada, dont 900 000 vivent au Quebec, peinent à boucler leur budget. Bien des gens seraient surpris de constater les effets désastreux sur la santé d’un salaire médiocre, d’un faible niveau de scolarité et d’un emploi au bas de l’échelle. Les recherches confirment en effet que les riches sont en meilleure santé que les autres couches de la population; l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a d’ailleurs déclaré que la pauvreté était le déterminant le plus important en matière de santé.
Toujours selon l’OMS, les conditions socioéconomiques et leurs effets sur la vie des gens déterminent le risque de tomber malade et les moyens à notre disposition pour prévenir la maladie ou la traiter lorsqu’elle survient. Nous savons que le revenu permet de réunir les conditions préalables à une bonne santé, dont le logement, la nourriture, l’habillement, l’éducation et la sécurité. En raison des choix limités qu’il impose, un faible revenu réduit nos chances d’atteindre notre plein potentiel en matière de santé (c.-à-d. le bien-être physique, psychologique et social). Cela concerne la capacité de se payer un logement sécuritaire, de faire des choix santé en matière d’alimentation, d’accéder à des services de garderie peu coûteux, de disposer de réseaux de soutien social, d’apprendre des mécanismes d’adaptation bénéfiques et d’établir des liens solides.
Voici ce qu’il faut savoir au sujet du rapport entre santé et pauvreté :
1. Le Canada ne dispose pas de mesure officielle de la pauvreté. La façon dont on la mesure et la définit a des répercussions sur les politiques de réduction de la pauvreté et de ses effets sur la santé. Statistique Canada ne donne pas de définition de la pauvreté ni d’estimation sur le nombre de familles touchées au Canada. Le bureau publie plutôt des statistiques sur le nombre de personnes qui vivent avec un bas salaire, établi au moyen d’un éventail d’instruments comme la mesure de faible revenu (MFR), les seuils de faibles revenus (SFR) et le mesure du panier de consommation (MPC).
Depuis l’abolition par le gouvernement fédéral du recensement long obligatoire au profit de l’Enquête nationale auprès des ménages, il est difficile désormais de comparer les tendances à long terme en matière de revenus. En effet, le caractère volontaire de l’enquête risque d’aboutir à une sous-représentation des personnes à faible revenu.
2. Il existe un gradient social en santé. Des données substantielles et solides confirment l’existence d’un lien entre statut socioéconomique et niveau de santé : ce sont les personnes au bas de l’échelle qui portent le fardeau de maladie le plus lourd. Ce gradient social en santé concerne toute l’échelle socioéconomique de haut en bas. À titre d’exemple, si l’on examine le taux de mortalité cardiovasculaire au Canada en fonction de l’échelle des revenus, on constate que c’est dans le groupe où les revenus sont les plus faibles qu’il est le plus élevé; de plus, à mesure que le niveau de revenu augmente, le taux de mortalité diminue. Le même constat s’applique à des maladies comme le cancer, le diabète et la maladie mentale.
3. Le fait de vivre dans la pauvreté durant l’enfance prédispose à un certain nombre de maladies à l’âge adulte. Plus d’un enfant sur sept vit dans la pauvreté au Canada, ce qui place le Canada au 15e rang sur 17 pays développés comparables – un classement loin d’être enviable. Les enfants qui grandissent dans la pauvreté sont plus susceptibles d’avoir un faible poids à la naissance et de souffrir d’asthme, de diabète de type 2, de mauvaise santé buccale et de malnutrition. Ils risquent aussi de connaître à l’âge adulte des problèmes de toxicomanie et de santé mentale, des déficiences physiques, ainsi qu’une mort prématurée. Les enfants qui font l’expérience de la pauvreté sont moins enclins que les autres à obtenir leur diplôme d’études secondaires et plus susceptibles de vivre dans la pauvreté à l’âge adulte.
4. Les obstacles à l’accès et aux soins de santé sont plus nombreux lorsqu’on vit dans la pauvreté. On constate que les Canadiens à faible revenu sont plus nombreux à rapporter qu’ils n’ont pas reçu les soins dont ils avaient besoin au cours des 12 derniers mois. De plus, si l’on compare les membres des groupes aux revenus les plus faibles à ceux dans la tranche la plus élevée, les premiers sont 50 % moins susceptibles de consulter un spécialiste que les seconds; 40 % sont plus susceptibles d’attendre plus de cinq jours avant d’obtenir un rendez-vous chez un médecin. De plus, les premiers sont deux fois plus susceptibles de se rendre à l’urgence pour être soignés. Les chercheurs rapportent que les Canadiens qui gagnent les plus faibles salaires sont trois fois moins portés, en raison des coûts, à faire remplir leurs ordonnances que les autres; 60 % moins nombreux à pouvoir se prévaloir des examens médicaux requis.
5. Il existe un lien réciproque étroit entre pauvreté et santé. Cela signifie que les personnes dont l’accès aux revenus est limité sont souvent plus isolées que les autres sur le plan social; elles vivent davantage de stress et sont en moins bonne santé sur le plan mental et physique; elles profitent moins des services de développement de la petite enfance et de l’éducation postsecondaire. À l’inverse, les maladies chroniques, en particulier lorsqu’elles restreignent la capacité d’une personne à conserver un emploi fiable et stable, peuvent provoquer une spirale descendante vers la pauvreté. Les études montrent que la première situation (des gens vivant dans la pauvreté en mauvaise santé) se produit plus souvent que la deuxième (se retrouver dans la pauvreté à cause d’un mauvais état de santé).
Carolyn Shimmin est coordonnatrice du transfert des connaissances pour le site EvidenceNetwork.ca et le George and Fay Yee Centre for Healthcare Innovation.
July 2015