Rester chez soi quand on est malade, une mesure judicieuse et une excellente décision d’affaires
Une version de ce commentaire est parue dans La Presse, Options Politique et Le Huffington Post Québec
Un manipulateur d’aliments qui se rend au travail avec une toux, un parent qui envoie son enfant malade à l’école ou une infirmière de salle d’urgence grippée qui prend des décisions rapides le cerveau embrumé. Pas besoin d’avoir un diplôme de médecine pour comprendre les effets contreproductifs de tels choix. Trop souvent, pourtant, ce sont les histoires que nous racontent nos patients et une foule d’autres personnes. Par peur de perdre une seule journée de salaire, un trop grand nombre d’individus n’ont d’autre option que se présenter au travail quand ils sont malades; autrement, ils ne réussiraient pas à joindre les deux bouts.
Pour analyser les raisons de cet état de choses, troquons le stéthoscope pour la toge et cherchons une explication en amont.
À l’exception de l’Île-du-Prince-Édouard, aucune province ni territoire ne garantit un nombre minimum de congés de maladie payés. À l’échelle du pays, ce sont les jeunes, les personnes âgées et les travailleurs à faible salaire qui sont les plus durement touchés par cette carence. Moins de la moitié des employés jeunes et âgés occupent un emploi qui leur garantit des congés de maladie payés. Plus votre salaire est faible, et moins grandes sont vos chances d’être couvert par une politique librement consentie par l’employeur à cet égard.
Même dans la province qui fait exception à la règle, lieu de naissance de la Confédération, la législation est terriblement inadéquate. Les résidents de l’île n’ont droit qu’à un seul et unique jour de congé de maladie payé par an, et ce, uniquement après avoir accompli cinq ans de service ininterrompu chez un même employeur. Pire encore, un grand nombre risquent de perdre leur emploi s’ils tombent malades subitement. Le Québec, en revanche, protège les travailleurs et travailleuses contre les licenciements pour congé de maladie sans solde. En Ontario toutefois, pas moins de 1,6 million de personnes ne jouissent d’aucune mesure de protection législative advenant un congédiement à la suite d’un congé de maladie de cette nature.
Mais le tableau n’est pas tout noir. Bien connue pour ses entreprises de haute technologie en démarrage et son économie de l’innovation, la ville de San Francisco a décidé de donner l’exemple en matière de congé maladie payé comme mesure de promotion de la santé de sa population.
Depuis 2007, l’administration municipale oblige tous les employeurs à accorder une heure de congé de maladie payé pour chaque tranche de 30 heures travaillées. Après avoir sondé plus de 700 employeurs et près de 1200 employés, les chercheurs constatent que cette disposition permet de mieux prendre soin de soi et de ses proches, et de rester notamment à la maison auprès d’un enfant malade. Fait encore plus encourageant, les deux tiers des employeurs appuient la nouvelle mesure et une vaste majorité rapporte que leur rentabilité n’en a pas souffert.
Toujours à San Francisco, on a observé que l’employé typique n’utilise que trois congés de maladie par an, même s’il a droit à cinq ou neuf selon les cas; un quart des employés n’en prend aucun.
Cette réussite n’a rien d’étonnant. En effet, la recherche démontre que les congés de maladie payés réduisent la durée de la maladie et le risque d’aggraver une maladie bénigne. De plus, on les associe à un taux plus élevé de retour rapide au travail à la suite d’une maladie grave comme un infarctus.
Même s’il s’agit d’un problème de longue date, les voix qui réclament un changement se font entendre de plus en plus fort.
En Ontario, le gouvernement provincial a demandé une révision de la Loi sur les normes d’emploi, car celle-ci n’a pas connu de remaniement depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Une coalition formée de médecins, d’infirmières, de chercheurs et de travailleurs a d’ailleurs lancé une campagne pour préconiser des changements s’inspirant du modèle adopté à San Francisco.
Partout au pays, des groupes de prestataires de soins et de travailleurs s’organisent pour obtenir que les choses changent.
Le phénomène du présentéisme (le fait d’aller au travail même quand on est malade) est endémique dans notre culture. On estime qu’il coûte de 15 à 25 milliards de dollars par an aux entreprises canadiennes. La protection du droit au congé de maladie est une façon de faire savoir aux employeurs et aux employés qu’il faut repenser notre conception du travail. Le fait de s’occuper de soi et de prendre le temps nécessaire pour se remettre d’une maladie améliore la santé de l’ensemble des travailleurs à court et à long terme, ainsi que le bénéfice net des entreprises qui les emploient.
Il est plus que temps de garantir le droit au congé de maladie pour l’ensemble des travailleuses et travailleurs canadiens.
Le Dr Danyaal Raza est omnipraticien au St. Michael’s Hospital de Toronto et membre du Decent Work and Health Network.
Le Dr Ryan Meili est omnipraticien à Saskatoon, expert-conseil auprès du site Evidence Network et fondateur de l’institut Upstream.
Il est grand temps de garantir le droit au congé de maladie pour l’ensemble des travailleurs et travailleuses
Par Danyaal Raza et Ryan MeiliRester chez soi quand on est malade, une mesure judicieuse et une excellente décision d’affaires
Une version de ce commentaire est parue dans La Presse, Options Politique et Le Huffington Post Québec
Un manipulateur d’aliments qui se rend au travail avec une toux, un parent qui envoie son enfant malade à l’école ou une infirmière de salle d’urgence grippée qui prend des décisions rapides le cerveau embrumé. Pas besoin d’avoir un diplôme de médecine pour comprendre les effets contreproductifs de tels choix. Trop souvent, pourtant, ce sont les histoires que nous racontent nos patients et une foule d’autres personnes. Par peur de perdre une seule journée de salaire, un trop grand nombre d’individus n’ont d’autre option que se présenter au travail quand ils sont malades; autrement, ils ne réussiraient pas à joindre les deux bouts.
Pour analyser les raisons de cet état de choses, troquons le stéthoscope pour la toge et cherchons une explication en amont.
À l’exception de l’Île-du-Prince-Édouard, aucune province ni territoire ne garantit un nombre minimum de congés de maladie payés. À l’échelle du pays, ce sont les jeunes, les personnes âgées et les travailleurs à faible salaire qui sont les plus durement touchés par cette carence. Moins de la moitié des employés jeunes et âgés occupent un emploi qui leur garantit des congés de maladie payés. Plus votre salaire est faible, et moins grandes sont vos chances d’être couvert par une politique librement consentie par l’employeur à cet égard.
Même dans la province qui fait exception à la règle, lieu de naissance de la Confédération, la législation est terriblement inadéquate. Les résidents de l’île n’ont droit qu’à un seul et unique jour de congé de maladie payé par an, et ce, uniquement après avoir accompli cinq ans de service ininterrompu chez un même employeur. Pire encore, un grand nombre risquent de perdre leur emploi s’ils tombent malades subitement. Le Québec, en revanche, protège les travailleurs et travailleuses contre les licenciements pour congé de maladie sans solde. En Ontario toutefois, pas moins de 1,6 million de personnes ne jouissent d’aucune mesure de protection législative advenant un congédiement à la suite d’un congé de maladie de cette nature.
Mais le tableau n’est pas tout noir. Bien connue pour ses entreprises de haute technologie en démarrage et son économie de l’innovation, la ville de San Francisco a décidé de donner l’exemple en matière de congé maladie payé comme mesure de promotion de la santé de sa population.
Depuis 2007, l’administration municipale oblige tous les employeurs à accorder une heure de congé de maladie payé pour chaque tranche de 30 heures travaillées. Après avoir sondé plus de 700 employeurs et près de 1200 employés, les chercheurs constatent que cette disposition permet de mieux prendre soin de soi et de ses proches, et de rester notamment à la maison auprès d’un enfant malade. Fait encore plus encourageant, les deux tiers des employeurs appuient la nouvelle mesure et une vaste majorité rapporte que leur rentabilité n’en a pas souffert.
Toujours à San Francisco, on a observé que l’employé typique n’utilise que trois congés de maladie par an, même s’il a droit à cinq ou neuf selon les cas; un quart des employés n’en prend aucun.
Cette réussite n’a rien d’étonnant. En effet, la recherche démontre que les congés de maladie payés réduisent la durée de la maladie et le risque d’aggraver une maladie bénigne. De plus, on les associe à un taux plus élevé de retour rapide au travail à la suite d’une maladie grave comme un infarctus.
Même s’il s’agit d’un problème de longue date, les voix qui réclament un changement se font entendre de plus en plus fort.
En Ontario, le gouvernement provincial a demandé une révision de la Loi sur les normes d’emploi, car celle-ci n’a pas connu de remaniement depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Une coalition formée de médecins, d’infirmières, de chercheurs et de travailleurs a d’ailleurs lancé une campagne pour préconiser des changements s’inspirant du modèle adopté à San Francisco.
Partout au pays, des groupes de prestataires de soins et de travailleurs s’organisent pour obtenir que les choses changent.
Le phénomène du présentéisme (le fait d’aller au travail même quand on est malade) est endémique dans notre culture. On estime qu’il coûte de 15 à 25 milliards de dollars par an aux entreprises canadiennes. La protection du droit au congé de maladie est une façon de faire savoir aux employeurs et aux employés qu’il faut repenser notre conception du travail. Le fait de s’occuper de soi et de prendre le temps nécessaire pour se remettre d’une maladie améliore la santé de l’ensemble des travailleurs à court et à long terme, ainsi que le bénéfice net des entreprises qui les emploient.
Il est plus que temps de garantir le droit au congé de maladie pour l’ensemble des travailleuses et travailleurs canadiens.
Le Dr Danyaal Raza est omnipraticien au St. Michael’s Hospital de Toronto et membre du Decent Work and Health Network.
Le Dr Ryan Meili est omnipraticien à Saskatoon, expert-conseil auprès du site Evidence Network et fondateur de l’institut Upstream.