Le code et l’aménagement routiers : des enjeux de santé publique
Une version de ce commentaire est parue dans le Soleil et Le Huffington Post Québec
Des Canadiens s’entretuent sur nos routes, en plein jour. Les meurtriers sont en général identifiés, mais rarement poursuivis. En outre, ces morts pourraient être facilement évitées.
De qui parle-t-on ?
Les victimes sont des gens qui marchent et les coupables des gens qui conduisent. Tous sont des gens ordinaires, comme vous et moi.
Plus de 300 piétons sont tués par des automobilistes chaque année au Canada. Montréal et le Québec s’en sortent mieux que le reste du Canada, affichant le taux le plus bas au pays par 100 000 habitants. Cependant, environ 310 piétons ont été tués dans la province entre 2010 et 2014.
Il n’y a pourtant aucune fatalité. La plupart des collisions entre piétons et automobiles sont, pour ainsi dire, « intentionnelles » – et l’intention est politique.
Examinons tout d’abord qui est en cause dans ces collisions. D’après le rapport du coroner en chef de l’Ontario pour 2015, 35 % des morts de piétons sont sans contredit attribuables à un manquement au code de la route de la part des automobilistes (par exemple, un refus de priorité ou l’utilisation du trottoir pour rouler), tandis que dans 33 % des cas la cause n’a pas pu être déterminée et dans 32 % elle est possiblement liée à un non-respect des règles par les piétons (par exemple, la rue a été traversée alors que le feu de circulation ne le permettait pas) combiné à un manque d’attention des conducteurs.
Le fond de l’affaire est que la plupart de ces morts auraient pu être évitées. Les faits montrent que les piétons fauchés par des voitures ne sont pas tous de jeunes risque-tout ou des enfants filant inopinément sur la route, comme on le croit souvent à tort. En fait, 35 % des piétons fauchés sont des personnes âgées, alors que le poids de celles-ci dans la population n’est que de 13 %, et seulement 3 % des décès concernent des enfants.
Le piéton type fauché par une voiture tentait simplement de traverser la rue à un carrefour.
Il convient également de tenir compte du rôle des voitures (et non des conducteurs) dans les morts de piétons : les voitures sont de plus en plus lourdes et de plus en plus hautes. La part de marché des camionnettes a augmenté de manière spectaculaire depuis 1980. Neil Arason, auteur de l’ouvrage No Accident, montre que les camionnettes augmentent le risque de décès des piétons et des cyclistes en cas de choc d’au moins 50 % par rapport aux voitures standards.
En d’autres termes, le code de la route est maintenant obsolète et n’est plus en phase avec les risques mortels que représentent nos nouveaux véhicules surdimensionnés.
Une solution extrêmement simple consiste à baisser la limite de vitesse en ville, ce qui, on le sait bien, réduit drastiquement le risque de décès en cas de collision avec un piéton. Les études menées sur le sujet indiquent que l’application (et le contrôle) d’une réduction de la vitesse maximale à 30 km/h dans les zones urbaines (centres-villes et quartiers résidentiels) et dans les zones rurales où il y a beaucoup de piétons contribue de manière considérable à diminuer le nombre de piétons perdant la vie à la suite d’un accident.
À 30 km/h, le risque d’accident et la probabilité que le choc soit fatal sont tous les deux minimes. Dès que la vitesse augmente, les deux augmentent également de manière spectaculaire.
Des données récentes (2009-2013) sur la ville de Toronto illustrent à quel point la limite de vitesse influe sur la mortalité piétonnière :
- dans les zones où la limite de vitesse est de 30 km/h, aucun piéton n’a été tué;
- dans les zones où la limite de vitesse est de 40 km/h, 12 piétons ont été tués;
- dans les zones où la limite de vitesse est de 50 km/h, 44 piétons ont été tués;
- dans, les zones où la limite de vitesse est de 60 km/h, 77 piétons ont été tués.
Si nous diminuons la limite de vitesse de 50 à 30 km/h, nous réduirons le nombre de morts de piétons à 1/7 du nombre actuel. Les expériences menées en Europe montrent aussi que des limites de vitesse plus basses diminuent non seulement les décès, mais aussi les cas de blessures graves.
On objecte souvent que de baisser les limites de vitesse augmentera les temps de déplacement. En fait, la longueur des temps de déplacement est nettement plus attribuable aux embouteillages qu’aux limites de vitesse. Par exemple, la vitesse moyenne d’un automobiliste durant les heures de pointe à Toronto est de seulement 18,6 km/h, en raison de la congestion. Des simulations de la circulation routière laissent entendre qu’une réduction à 30 km/h de la limite de vitesse en milieu urbain augmenterait de seulement 5 % les temps de déplacement.
Bien évidemment, une réduction des limites de vitesse ne saurait à elle seule être suffisante si l’aménagement urbain dans son ensemble n’est pas revu de façon à donner la priorité aux piétons. Arason et d’autres auteurs ayant réfléchi aux meilleurs aménagements possible pour assurer la sécurité des piétons suggèrent premièrement de rétrécir les voies de circulation en agrandissant les trottoirs (ou en en construisant lorsqu’il n’y en a pas), une solution qui a en outre l’avantage de décourager l’utilisation des voitures surdimensionnées, et deuxièmement d’interdire le virage à droite lorsque le feu est rouge, une pratique qui, adoptée à Montréal depuis longtemps, évite de faire en sorte que les automobilistes portent toute leur attention sur les voitures venant de la gauche et fauchent des piétons qui traversent parfaitement dans leur droit.
De plus, un tel aménagement urbain donnant la priorité aux piétons encouragerait les gens à marcher davantage en ville, et un plus grand nombre de personnes à pied aurait pour effet d’assagir les automobilistes et de les habituer à donner la priorité aux piétons et aux cyclistes.
Nos zones résidentielles devraient être conçues comme des espaces prévus en premier lieu pour les piétons, dans lesquels ces machines dangereuses que sont les automobiles sont tolérées, mais ne doivent pas faire la loi. Il est grand temps de redessiner nos villes en mettant le piéton au cœur du projet.
Michel Grignon est un expert pour Evidence Network et professeur agrégé à l’Université McMaster à Hamilton (Ontario).
Octobre 2016