Une somme de 11 milliards de dollars peut-elle mettre fin à l’itinérance au Canada?

Par Jino Distasio

Il y a lieu d’espérer

Une version de ce commentaire est parue dans La Presse et Le Huffington Post Québec

Can $11 billion end homelessness in Canada?

Dans les villes nord-américaines comme New York, San Francisco, Montréal, Vancouver, Toronto et d’innombrables autres, nous nous sommes habitués à voir les sans-abris se promener parmi nous, souvent dans l’ombre, montrant des signes visibles de dépendance, de maladie mentale ou de désespoir. En d’autres termes, nous sommes devenus insensibles aux expériences quotidiennes de personnes visiblement sans abri dans nos villes et nos communautés.

Aussi, on voit peu de différence dans les villes d’Europe ou d’Australie qui, à l’instar des villes d’Amérique du Nord, sont incapables de lutter contre l’itinérance chronique par des politiques, des programmes ou des fonds qui offrent des solutions à long terme pour améliorer le bien-être et la stabilité du logement.

Le dernier recensement de sans-abris  de Montréal (mars 2015) révèle que plus de 3000 personnes luttent pour trouver un abri, dont une proportion d’environ 60 % de sans-abris chroniques.

Or, un changement est dorénavant possible.

Dans le budget de 2017, on a prévu une somme considérable de 11 milliards de dollars pour le logement et l’itinérance à la grandeur du pays. Cela ne fait aucun doute que cet argent aura un grand impact. Cependant, si nous voulons vraiment réduire l’itinérance à long terme, ces fonds ne doivent pas uniquement servir à créer des logements abordables, mais également à soutenir des stratégies de réduction de la pauvreté et des initiatives actuelles en santé mentale et en rétablissement.

Pour créer le maximum d’impact, il faut financer un large éventail de projets de soutien pour s’assurer de diminuer le nombre de 35 000 itinérants canadiens qui n’ont pas de place où se réfugier la nuit. Ce financement historique et la publication imminente de la Stratégie nationale sur le logement (SNL) nourrissent l’espoir.

Il est important de tenir compte de notre point de départ.

Il ne fait aucun doute que cet investissement fédéral changera les vies simplement en réinvestissant dans un ensemble de logements abordables qui, d’un point de vue national, ont reçu peu d’attention depuis les années 1990. C’est à cette même période que la population des sans-abris du Canada a rapidement augmenté dans les villes qui n’ont pas réussi à s’attaquer aux causes profondes de la pauvreté et de l’itinérance.

Pourquoi les programmes précédents ont-ils échoué?

En ne tenant pas compte des causes profondes, nous avons souvent adopté une approche réductrice de l’itinérance, en construisant des abris, sans investir dans des services connexes. La vision préliminaire de la Stratégie nationale est que « tous les Canadiens [aient] accès à un logement répondant à leurs besoins et qui est abordable. Le logement est la pierre angulaire du développement de communautés durables et inclusives ». Cette vision est un bon début, mais on doit veiller à ce qu’aucun Canadien ne soit laissé pour compte, particulièrement les personnes en situation d’itinérance chronique.

Il existe un modèle réussi pour lutter contre l’itinérance.

Dans le cadre du projet Chez Soi, on a analysé la santé mentale et l’itinérance au Canada et suivi 2150 personnes sur une période de six ans (de 2008 à 2014). En rassemblant une gamme de services de soutien et de logement, nous avons mis fin à l’itinérance pour un nombre important de personnes qui luttaient précédemment pour leurs besoins en matière de santé et d’hébergement. Cette étude marquante a été le point de départ du premier modèle de logements du projet Chez soi au Canada qui est passé de cinq à plus de soixante villes.

À Montréal, Chez soi a réussi à fournir un logement et un soutien à 276 personnes sur une période de 20 mois. Compte tenu des taux élevés de sans-abris chroniques, l’idée d’un « logement d’abord » constitue une approche idéale.

Cette intervention éprouvée est également devenue la norme mondiale pour soutenir les personnes qui luttent contre la maladie mentale et l’itinérance, car des centaines de villes de plusieurs pays s’en sont maintenant inspirées.

Pourquoi sommes-nous donc si lents à mettre fin à l’itinérance?

Nous avons fait un bon travail avec de nouvelles politiques et des organismes responsables de « mettre fin à l’itinérance » au Canada, mais des plans bien ficelés ont souvent trouvé un faible soutien en argent et en ressources.

N’oublions pas que la diminution de l’État-providence, les mesures d’austérité, la désinstitutionnalisation, la mondialisation accrue et l’écart salarial croissant qui ont profondément augmenté les écarts de revenus au Canada concourent tous à accroître l’itinérance et la pauvreté dans notre pays.

Les Autochtones restent également disproportionnellement représentés parmi la population des sans-abris. Nous savons que les impacts de la colonisation, des pensionnats et des interactions avec les services à l’enfance et à la famille ont grandement influencé les circonstances actuelles des communautés autochtones. Ce sont des blessures profondes que nous portons en tant que Canadiens. Reconnaissons que la Commission de la vérité et de la réconciliation a appelé à l’action pour faire progresser la réconciliation au Canada. »

Alors, où allons-nous partir de maintenant?

Onze milliards de dollars peuvent contribuer à guérir la vie de ceux qui en ont le plus besoin au Canada. Avec ces fonds et une solide stratégie nationale de logement, nous pouvons changer les choses.

Ne laissons pas les vents de l’austérité à l’échelle mondiale saper nos efforts vers une réflexion et des soins avant-gardistes. Nous avons des preuves et nous ne manquons pas de ressources. Utilisons donc cet investissement, non seulement pour le logement, mais aussi pour améliorer la santé, mettre fin à la pauvreté et nous mettre sur la voie de la réconciliation. Mettons fin à l’itinérance, un Canadien à la fois.

Jino Distasio est un conseiller expert auprès d’EvidenceNetwork.ca, professeur agrégé de géographie à l’Université de Winnipeg et directeur du Institute of Urban Studies.  

Mai 2017 

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