Des médicaments hors de prix

Par Alan Cassels

Pourquoi les médecins canadiens continuent-ils à prescrire les médicaments les plus coûteux?

Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec

Comme j’écris des ouvrages portant sur la médecine, les gens me posent souvent des questions d’ordre médical importantes comme par exemple pour savoir « qui sont tous ces gens si bien habillés dans la salle d’attente de mon médecin ».

Cette question mérite d’être éclaircie. Après des recherches très approfondies sur le sujet, je peux affirmer avec certitude que ces personnes si bien habillées avec leur iPad et leur luxueux porte-document sont des enseignants.

En fait, il ne s’agit pas d’enseignements au sens propre du terme, de celles et ceux qui ont pour mission d’insuffler un peu de sagesse dans la tête de nos enfants, mais d’enseignants d’une autre nature qui offrent des cours particuliers à nos médecins et à leurs élèves.

La vente des produits pharmaceutiques est une activité extrêmement concurrentielle et les laboratoires savent qu’ils doivent se présenter sous leur meilleur jour. Ce meilleur jour est souvent incarné par un représentant pharmaceutique souriant dont le travail consiste à éduquer nos médecins sur les derniers médicaments fraîchement sortis des laboratoires.

Au Canada, l’industrie pharmaceutique dépense annuellement près de 3 milliards de dollars pour commercialiser ses produits. Les deux tiers de cette somme sont consacrés aux salaires des représentants commerciaux, qui rendent régulièrement visite à nos médecins, et aux échantillons qui agrémentent leurs cours particuliers.

Si cela vous dérange de savoir que nos médecins tirent leurs connaissances sur les nouveaux médicaments de la bouche des représentants commerciaux, force est de constater que c’est le système en place actuellement. Cette pratique doit être réformée de toute urgence.

La majorité des médecins nient l’importance des représentants commerciaux, mais un événement récent m’a fait réaliser brutalement que les équipes commerciales ont le pouvoir d’incliner le stylo qui rédige l’ordonnance. Le médicament le plus vendu dans le monde, une molécule contre le cholestérol, commercialisée sous le nom de Lipitor ou de Tahor, vient de tomber dans le domaine public, c’est-à-dire, que le brevet vient d’expirer.

L’expiration du brevet que détenait le laboratoire Pfizer sur le Lipitor a permis aux fabricants de génériques de commercialiser cette molécule sous le nom d’atorvastatine à un prix parfois inférieur de 75 % au prix régulier.

Si comme moi une frugalité tout écossaise coule dans vos veines, vous vous diriez sans doute : « La bonne affaire! Je vais acheter le générique et faire des économies. » Après tout, il s’agit de la même molécule, peu importe si le générique est d’une forme ou d’une couleur différente.

Mais voilà le problème : pensez-vous qu’une fois que le Lipitor, tant aimé, est tombé dans le domaine public, les médecins canadiens, qui prescrivent 1,2 milliard de dollars de ce médicament chaque année, se sont mis à prescrire le générique atorvastatine?

Absolument pas. Pourtant, chez nos voisins américains, dès qu’une grande marque passe dans le domaine public, la vente du générique s’envole. Dans ce cas précis, 70 % des patients américains se sont vu prescrire le générique atorvastatine. Pourquoi? Tout simplement parce qu’aux États-Unis, les régimes d’assurance médicaments encouragent la prescription des génériques, et bon nombre de médecins prescriront des génériques qui coûtent beaucoup moins cher.

Les médecins canadiens, quant à eux, ne sont pas suffisamment encouragés par les régimes d’assurances médicament. Au Canada, plus de la moitié des patients qui prenaient du Lipitor se sont vu prescrire du Crestor, un nouveau médicament breveté, dont les avantages, comparativement au générique atorvastatine, restent à prouver. Ce qui est certain, par contre, c’est qu’il coûte bien plus cher qu’un générique.

L’influence des représentants pharmaceutique pour que les marques brevetées restent ancrées dans l’esprit de nos médecins ne doit pas être sous-estimée. Même lorsque les gouvernements provinciaux mettent des règles en place pour encourager l’usage des génériques, les effets sont limités, car de nombreuses personnes sont couvertes par leur régime d’assurance privé qui ne possède pas de telles règles.

C’est regrettable, car avec la conjoncture économique, les consommateurs, tout comme les gouvernements et les entreprises, qui sont pressurés de tous côtés, aimeraient des médicaments abordables et des régimes d’assurance médicament viables.

Il faut que nos décideurs politiques, ainsi que ceux qui administrent les régimes d’assurance médicaments publics et privés, mettent en oeuvre des politiques simples pour réduire les coûts des médicaments. Ils doivent entrer dans la danse et éduquer les patients, tout comme les médecins, sur le rapport qualité-prix et l’équivalence des génériques.

L’éducation de nos médecins ne peut plus dépendre de l’industrie pharmaceutique, car ces cours particuliers coûtent de plus en plus cher à la collectivité.

Alan Cassels est un chercheur sur les politiques en matière de médicaments à l’Université de Victoria et expert-conseil à EvidenceNetwork.ca, une ressource Internet complète et non partisane conçue pour aider les journalistes couvrant les questions de politique en matière de santé au Canada.

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