La solution : des soins dirigés par le personnel infirmier
Notre système de santé repose sur un modèle « à la demande », dans lequel les médecins et les hôpitaux fournissent des soins épisodiques et de courte durée. Ce système convient à la vaste majorité des citoyens, mais il répond mal aux besoins d’un bon nombre de personnes aux prises avec des maladies chroniques.
En tant qu’infirmière et universitaire, je m’intéresse en particulier à la manière dont les services sociaux et de santé peuvent s’harmoniser pour améliorer la vie des gens – et limiter les coûts. Selon moi, des problèmes surviennent quand les choses changent autour de nous, sans qu’évolue la sagesse populaire. Ainsi, l’augmentation de la prévalence des maladies chroniques au sein de la population canadienne est une situation à laquelle notre système de santé ne s’est pas encore adapté.
À vrai dire, nos coûteuses ressources de soins de santé ne bénéficient qu’à une très petite minorité.
Dans une série de rapports présentant les résultats des travaux de la Commission nationale d’experts de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, moi-même et mes collègues soulignons, entre autres, que la petite partie de la population qui utilise une part disproportionnée des services de santé actuels est constituée de personnes atteintes de maladies chroniques, telles que le diabète, les affections du cœur, les accidents cérébrovasculaires, l’arthrite et l’asthme.
Parmi ce groupe, toutefois, nous avons découvert que les pauvres, et un sous-groupe présentant des problèmes de santé mentale concomitants (anxiété, dépression, toxicomanie, troubles de la personnalité, schizophrénie, démence), sont ceux qui font le plus fréquemment appel à des soins de santé.
Par exemple, nous avons appris qu’en 2010, seulement 1 % de la population de l’Ontario (environ 130 000 personnes) utilisait 49 % des services hospitaliers et à domicile. Et que seulement 5 % de la population (environ 650 000 personnes) utilisait 84 % de ces services. La même tendance est observable d’un bout à l’autre du pays.
Dans notre étude, nous avons vérifié jusqu’à quel point ces personnes sont bien servies par leurs nombreuses demandes de soins – visites aux salles d’urgence, séjours à l’hôpital, rendez-vous chez des médecins de famille et spécialistes – et nous avons exploré d’autres modèles de soins susceptibles de mieux les servir à moindre coût.
Comment, autrement dit, pouvons-nous transformer notre manière de fournir des soins?
Nous avons découvert que des soins proactifs et ciblés, dirigés par le personnel infirmier et visant à soutenir les patients dans la prise en charge de leur propre maladie chronique ainsi que des circonstances qui s’y rapportent est un meilleur modèle que le modèle « habituel » des soins à la demande dirigés par les hôpitaux et les médecins. D’autres évaluations qualitatives ont révélé que, par rapport aux « soins habituels », les soins dirigés par le personnel infirmier sont soit plus efficaces et à coût égal ou inférieur, soit aussi efficaces et à coût moindre.
Ces modèles de soins dirigés par le personnel infirmier peuvent permettre d’économiser chaque année des millions de dollars consacrés aux soins de santé, en réduisant les réadmissions des personnes atteintes de maladies chroniques dans les hôpitaux.
Par exemple, en Ontario, une réduction de 10 % des 8 milliards de dollars alloués aux soins de courte durée dont bénéficie le 1 % des citoyens auquel est destinée presque la moitié des dépenses pour des soins à l’hôpital ou à domicile pourrait conduire à une économie potentielle annuelle de 800 millions de dollars – une somme qui pourrait être orientée vers la prise en charge des maladies chroniques dans la communauté ou à domicile.
Les recherches ont aussi montré qu’un programme de suivi posthospitalisation à l’intention des patients hospitalisés à la suite d’une défaillance cardiaque pouvait diminuer de plus de 60 % les réadmissions parmi ces personnes. On a aussi observé qu’un programme de soins de première ligne pour les patients asthmatiques réduisait de 50 % les visites à l’urgence.
Au-delà de la question de l’efficience, un modèle de services sociaux et de santé proactif, global et dirigé par le personnel infirmier représente une approche cohérente, car les infirmières et infirmiers, plus que tout autre professionnel de la santé, sont formés pour prendre en charge la santé des patients, en tenant compte des circonstances sociales qui déterminent la santé en général. Le personnel infirmier est aussi formé pour reconnaître les situations particulières qui requièrent le recours à d’autres experts membres de l’équipe de soins.
Au cours des 50 dernières années, nous avons compté sur un modèle de services de santé assurés et à la demande, dirigés par le médecin et axés sur les soins épisodiques et de courte durée. Pour les personnes qui souffrent de diverses affections chroniques, il est temps de sonder la valeur d’un modèle dirigé par le personnel infirmier et dans lequel le médecin est l’un des membres de l’équipe. Chaque membre de l’équipe peut dès lors se consacrer à ce qu’il fait le mieux, les infirmières et les infirmiers étant en mesure de mobiliser tous les services sociaux et de santé susceptibles d’améliorer, compte tenu de ses déterminants, la santé générale d’une personne.
En juillet, les premiers ministres des provinces et des territoires du Canada participeront à une rencontre du Conseil de la fédération, et un rapport du groupe de travail sur l’innovation en matière de santé, créé par le Conseil, figurera à l’ordre du jour.
Nous espérons que ce modèle de soins différent, où le personnel infirmier joue un rôle de premier plan, sera exploré et endossé en tant que réponse aux besoins croissants – et aux coûts – des patients atteints de multiples maladies chroniques.
Gina Browne est conseillère experte associée au réseau EvidenceNetwork.ca et professeure à la Faculté des sciences de la santé de l’Université McMaster. Elle est coauteure du rapport De meilleurs soins: une analyse des soins infirmiers et des résultats du système de santé, disponible sur le site Web de la Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé.
juillet 2012