Bâtir l’avenir des soins de santé

Par Gregory Marchildon

Assurer uniquement le financement de la première phase

En tant que premier ministre de la Saskatchewan, Tommy Douglas a joué un rôle important dans la mise en place de l’assurance-hospitalisation universelle en 1947, puis du régime universel de soins médicaux en 1962. Sans l’ombre d’un doute, ces deux expériences d’avant-garde ont servi de canevas à ce que nous appelons maintenant le régime universel d’assurance-maladie au Canada. Il ne faut pas oublier que pour M Douglas, la réorganisation du financement du système de manière à ce que tout le monde puisse avoir accès à des soins médicalement nécessaires ne constituait que la première étape.

La seconde phase essentielle reposait sur une restructuration de fond en comble du réseau de services afin d’y faire davantage de prévention de la maladie et de promotion de la santé et d’étendre les soins au-delà des hôpitaux et des médecins. M. Douglas a admis qu’il s’agissait là de la phase la plus difficile. Il a toujours espéré et voulu que les Canadiens relèvent le défi après son retrait de la vie politique.

Le fait que nous ayons accompli très peu de progrès pour ce qui est de la deuxième phase du régime d’assurance-maladie au cours des deux dernières décennies n’est pas vraiment de sa faute. Comme ce n’est pas non plus celle des chefs politiques qui se sont servis du modèle de M. Douglas en Saskatchewan pour mettre sur pied un régime national d’assurance-maladie, que ce soit de John Diefenbaker (un Conservateur) à Lester B. Pearson (un Libéral).

Il y a au moins trois aspects du modèle d’assurance-maladie de M. Douglas qui méritent d’être reconnus, puisqu’ils constituent le fondement solide sur lequel nous pouvons asseoir la prochaine phase du régime d’assurance-maladie. Le premier est l’universalité, l’un des cinq principes en vertu de la Loi canadienne sur la santé. Pour M. Douglas, l’universalité était le pilier de sa réforme.

Par contre, l’accès à une assurance-maladie privée repose sur la « capacité de payer » ainsi que sur le profil de risque pour la santé de la personne. Même si une assurance-santé fournie par l’employeur permet d’éviter ou d’atténuer cet état de fait, l’accès est alors régi par le type d’emploi occupé.

M. Douglas a replacé ce système dans une formule financée par les contribuables qui permettait qu’une protection soit offerte à tout le monde, sans tenir compte de l’emploi, de l’âge et des troubles médicaux antérieurs. Après sa réforme majeure, l’accès aux soins de santé est désormais fondé sur les « besoins » plutôt que sur la « capacité de payer » ou le lieu de travail de la personne.

Bien qu’acceptée par presque tous les Canadiens aujourd’hui, la notion d’universalité constituait un changement controversé à l’époque. À cet égard, l’histoire donne une leçon salutaire à propos des affirmations outrancières que soutenait la puissante coalition contre l’assurance-maladie lors de la grève des médecins en Saskatchewan en 1962. Contrairement à ce que prétendaient la profession médicale, les compagnies d’assurances, les groupes d’entreprises et presque tous les gouvernements provinciaux à cette époque, l’assurance-maladie a permis d’améliorer la vie de la grande majorité des Canadiens, y compris des médecins.

La deuxième dimension essentielle de l’assurance-maladie canadienne a trait à l’administration publique. À l’inverse de ce que l’on tient souvent pour acquis, cette notion ne correspond pas à la prestation publique. Mais cela signifie plutôt qu’un système d’assurance-maladie financé par les deniers publics doit rendre des comptes à ceux qui paient la note et utilisent les services, à savoir les contribuables et les citoyens par l’entremise de leurs représentants élus.

Nous désignons notre système sous l’appellation de « payeur unique » pour le distinguer des autres systèmes où les gouvernements s’approprient et gèrent presque tous les aspects du système de prestation. À la fin des années 40, par exemple, le gouvernement du Royaume-Uni a pris les rênes de tous les hôpitaux lors de la mise en place du Service national de la santé. Loin d’être un idéologue, M. Douglas n’a jamais voulu que le gouvernement s’approprie ou contrôle tous les aspects de la prestation à condition qu’il y ait une obligation de rendre des comptes aux assemblées législatives élues sur le financement public.

Ce qui m’amène à la troisième dimension essentielle, ce que j’appellerai le legs de Douglas-Diefenbaker-Pearson; et c’est la nature fédérale-provinciale du régime universel d’assurance-maladie au Canada.

Il s’agit d’un système dans lequel les provinces ont la responsabilité de gérer leur système respectif tandis que le gouvernement fédéral a pour mission de doter les provinces de mesures incitatives de manière à adhérer à quelques normes communes. Il n’est pas question ici de microgestion.

De plus, aucun des cinq principes de la Loi canadienne sur la santé n’empêche les provinces d’être davantage inspirées par l’esprit d’entreprise lors de la prestation de services de santé de meilleure qualité en temps plus opportun. En vertu du système actuel, on ne peut obliger les provinces à se conformer aux principes nationaux, notamment la transférabilité; au lieu de cela, les transferts fédéraux en espèces et la possibilité d’un retrait partiel les incitent à le faire. Mais, certes, cela constitue le minimum auquel nous pouvons nous attendre des provinces pour les milliards de dollars qu’elles reçoivent des transferts de fonds fédéraux pour la santé.

Sans ce rôle minimal du gouvernement fédéral, les conditions de l’accès aux soins de santé varieraient d’une province à l’autre et la transférabilité deviendrait une farce. C’est précisément ce que nous risquons de perdre lorsque les gouvernements fédéraux successifs procèdent à des transferts en espèces pour les soins de santé en n’accordant peu d’importance, voire aucune, à l’intégrité des principes de la Loi canadienne sur la santé.

Sur cette question, plus que jamais, nous avons besoin de la vision de M. Douglas, de sa volonté politique et de sa compréhension équilibrée de notre fédération. Plutôt que de revenir en arrière, avant l’avènement de l’assurance-maladie, nous pouvons axer nos efforts sur la tâche bien plus importante de réformer le système de soins de santé de sorte que la qualité de vie de tous les Canadiens s’en trouvera améliorée et non seulement celle d’un petit nombre de privilégiés.

Gregory Marchildon est expert-conseil à EvidenceNetwork.ca. Il est également titulaire d’une chaire de recherche du Canada et professeur à la Johnson-Shoyama Graduate School of Public Policy, à l’Université de Regina et ancien directeur administratif de la Commission Romanow. 

février 2012

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