Médicaments: Un gaspillage annuel de deux milliards

Par Marc-André Gagnon

Le canada se classe au troisième rang des pays où leur prix est le plus élevé

Une version de ce commentaire est parue dans Le Soleil

Les Canadiens croient que leurs médicaments sont bon marché. Sinon, pourquoi tous ces Américains traverseraient-ils la frontière pour venir les acheter ici ? Pourtant, le Canada reste depuis 2006 le troisième des pays les plus chers derrière nos voisins du Sud et l’Allemagne.

Pourquoi nos médicaments brevetés coûtent-ils si chers? La loi sur les brevets de 1987, très généreuse pour l’industrie pharmaceutique, a augmenté la durée de protection des brevets de 17 à 20 ans tout en restreignant le recours aux licences obligatoires, une pratique qui réduisait le profit sur les médicaments brevetés. En contrepartie, les compagnies pharmaceutiques canadiennes se sont engagées à dépenser 10% de leurs revenus en recherche et développement (R&D). En résumé, Ottawa a accepté de payer plus cher les médicaments pour garantir des emplois et augmenter l’investissement en R&D dans le secteur pharmaceutique.

Chien de garde

Pour s’assurer que les pharmas respectent leur engagement et qu’elles n’abusent pas de leur pouvoir de monopole, la loi sur les brevets a aussi créé le Conseil d’examen des prix des médicaments brevetés (CEPMB), dont le mandat était notamment de fixer des limites au prix des nouvelles molécules.

Si le CEPMB joue effectivement un rôle de chien de garde, le cadre technique dont il dispose pour limiter les prix pose problème. Concrètement, le Conseil fixe la limite de prix d’un médicament selon la valeur médiane de sept pays « comparateurs ».

Là où le bât blesse, c’est que cette sélection inclut les quatre pays où ils coûtent le plus cher en dehors du Canada, soit les États-Unis, l’Allemagne, la Suisse et laSuède.

Dès lors, comme les compagnies pharmaceutiques n’ont aucun intérêt à fixer le prix de leurs médicaments en bas de la limite, ce système nous condamne à rester parmi les cinq pays où ils sont le plus chers au monde.

Subventions déguisées

Le CEPMB a exploré la possibilité d’élargir la sélection de pays comparateurs pour y inclure six autres pays dont la situation ressemble à celle du Canada. Si les limites de prix étaient fixées à partir de la médiane de ces 13 pays (plutôt que sept), le Canada passerait du troisième au septième rang. Cela se traduirait par des réductions d’environ 15 % sur le prix des médicaments brevetés, soit une économie de deux milliards de dollars par an.

Aujourd’hui, les Canadiens acceptent de gonfler artificiellement le prix des médicaments brevetés afin d’encourager la R&D privée au pays, qui totalise 1,2 milliard. Si nous prenons en compte les généreuses subventions à caractère fiscal accordées aux compagnies, le montant net déboursé par les pharmas canadiennes n’est plus que de… 533 millions. Pour dire les choses clairement, les Canadiens déboursent deux milliards de plus en subventions déguisées dans le seul but que l’industrie génère environ un demi-milliard de dépenses en R&D. Un véritable non-sens économique!

Sans compter que, depuis 2001, les compagnies ne respectent plus leur promesse d’un ratio de 10 % de R&D par rapport aux ventes. Alors que le ratio de l’investissement en R&D a augmenté dans les autres pays «comparateurs», il n’a cessé de diminuer d’année en année au Canada : en 2009, il était de 7,5 %, bien au-dessous du seuil promis des 10 %. Les choses n’iront pas en s’améliorant : en décembre 2010, Paul Lévesque, pdg de Pfizer Canada, a expliqué que les règles ont changé depuis 1987 et que l’industrie ne se sent plus dans l’obligation de remplir son engagement.

Si les firmes ne respectent pas leur part de l’engagement, on comprend mal pourquoi le gouvernement fédéral devrait respecter la sienne. On comprend mal pourquoi on ne sélectionnerait pas les pays « comparateurs » de manière plus rationnelle. Et surtout, on comprend mal pourquoi les Canadiens devraient continuer de gaspiller annuellement deux milliards de dollars sans contrepartie.

Marc-André Gagnon est professeur adjoint en politiques publiques à l’Université Carleton, et il est expert associé avec EvidenceNetwork.ca.

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