Il devrait y avoir un prix à payer pour la protection par brevet des médicaments d’origine

Par Marc-André Gagnon

L’AECG pourrait entraîner un gonflement des prix des médicaments pour les Canadiens

Une version de ce commentaire est parue dans Le Droit, L’aut’journal et Bulletin d’Aylmer

Les négociations en cours de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Europe ont remis les brevets pharmaceutiques sous les projecteurs. Il a été suggéré d’améliorer la protection par brevet des médicaments d’origine pour gagner la faveur des compagnies pharmaceutiques et encourager les investissements, mais le coût pour les consommateurs canadiens pourrait être disproportionné par rapport aux avantages obtenus.

Le système d’innovation dans l’industrie pharmaceutique canadienne est actuellement défaillant. Les dépenses pour la recherche et le développement (R&D) pharmaceutique dans ce pays ont beaucoup diminué ces dernières années et de nombreux laboratoires de recherche ont fermé leurs portes — alors que les compagnies pharmaceutiques investissent de plus en plus dans les pays émergents.

L’industrie déclare maintenant que si le Canada veut conserver les investissements dans la R&D, il doit se servir des négociations en cours de l’AECG pour étendre la protection par brevet.

Cette solution semble oublier que l’industrie pharmaceutique canadienne bénéficie déjà de la générosité de l’État.

Au Canada, les compagnies pharmaceutiques peuvent récupérer environ la moitié de toutes les dépenses de R&D au moyen des crédits d’impôt. Les Canadiens paient 20 % de plus pour les médicaments d’origine que les Français ou les Anglais, gonflant les coûts de 2,1 milliards de dollars par année. Comparez ce montant à celui des dépenses pour la R&D de l’industrie pharmaceutique : environ 992 millions de dollars par année (avant les crédits d’impôt).

Malgré tous ces avantages commerciaux importants, le ratio des dépenses de R&D par rapport aux ventes, une mesure courante de l’intensité de la R&D dans le secteur, a baissé de moitié depuis 1997 au Canada. Il s’établit maintenant à 5,6 %, le plus bas niveau depuis 1988.

Les négociations pour la mise en place de l’AECG sont confidentielles. Toutefois, des fuites des projets de l’accord présentent différentes demandes de l’Europe pour que le Canada modifie son régime de propriété intellectuelle pour les médicaments d’origine, alors que ces clauses n’auraient pas d’effet sur la réglementation européenne existante.

Les différentes demandes sont très techniques : le rétablissement de brevet pour permettre le respect du délai réglementaire pour l’approbation; la prolongation de l’exclusivité des données pour encourager la recherche sur les médicaments existants; des certificats de protection supplémentaire pour encourager les essais cliniques pédiatriques; le droit de faire appel en vertu du système de liaison de brevets issu du règlement concernant les avis de conformité.

La complexité de ces questions, qui fait le bonheur des avocats spécialisés en propriété intellectuelle, empêche généralement le grand public de prendre part au débat. Il faut simplement se rappeler que chaque demande étendrait le pouvoir de monopole des compagnies pharmaceutiques au Canada, d’une façon ou d’une autre.

Une étude réalisée en 2011 a estimé que la mise en œuvre des changements suggérés en ce qui a trait à la protection par brevet pourrait en effet accroître l’investissement de R&D de 345 millions de dollars. Le problème, c’est que cela aurait aussi pour effet de faire monter le coût des médicaments pour les Canadiens de 2,8 milliards de dollars de plus par année. Les entreprises de médicaments d’origine soutiennent que c’est le coût à payer par les Canadiens s’ils souhaitent jouer sur le même terrain de jeu que les Européens.

Cet argument est problématique pour plusieurs raisons.

On trouve en Europe diverses formes de prolongation de la protection par brevet qu’on ne trouve pas au Canada, mais l’inverse est vrai aussi car le Canada dispose d’un système de liaison de brevets qui n’existe pas en Europe. Toutefois, le problème ne se rapporte pas uniquement à la durée de la protection par brevet, c’est aussi une question du prix que doivent payer les consommateurs canadiens pour les médicaments pendant que ceux-ci sont protégés par un brevet.

Il n’y a aucune bonne raison pour laquelle le Canada devrait payer 20 % de plus que la France ou le Royaume-Uni pour ses médicaments d’origine.

Comme le gouvernement conservateur a beaucoup tenu dans le passé à défendre la protection par brevet, on peut s’attendre à ce qu’Ottawa soit prêt à accepter les demandes de l’Europe pour l’AECG. Si c’est le cas, alors nous devrions envisager des moyens pour nous assurer que les Canadiens en aient pour leur argent.

Il existe un moyen simple de générer des avantages compétitifs et d’établir une industrie pharmaceutique solide : imposer des conditions à la prolongation de la protection par brevet.

En 1987, sous Mulroney, le Canada a prolongé la protection par brevet des produits pharmaceutiques à la condition que les compagnies pharmaceutiques affectent au moins 10 % de leurs ventes à la R&D au Canada. Cela a fonctionné — jusqu’en 2001. Le ratio atteint maintenant seulement 5,6 %. Si Ottawa veut de nouveau prolonger la période de protection par brevet, il doit imposer un nouvel ensemble de conditions, et les faire respecter.

Voici une modeste suggestion: toute prolongation du brevet pour les médicaments d’origine devrait reposer sur la condition qu’une partie importante des revenus additionnels réalisés par suite de la prolongation soit réinvestie dans la R&D au Canada. Toute entreprise manquant à cette condition devrait rembourser tout revenu additionnel réalisé.

Le Canada devrait exiger des entreprises pharmaceutiques qu’elles réinvestissent un pourcentage important (disons 50 %) de leurs ventes supplémentaires dans les dépenses pour la R&D au Canada (sans crédits d’impôt). Cette mesure contribuerait grandement à nos capacités de R&D, créerait des emplois et accroîtrait l’assiette fiscale.

Dans ces conditions, nous pourrions mettre en place un système de brevets générant d’importantes dépenses de recherche, au lieu de seulement accroître les bénéfices pour les actionnaires, pendant que les entreprises axent leurs ressources sur le marketing.

La protection accordée par les brevets est un droit octroyé par les pouvoirs publics. Ces derniers ne devraient donc pas hésiter à négocier les conditions établissant comment seront utilisés les revenus additionnels tirés de la protection accrue par brevet dans l’intérêt de toute la population canadienne.

Marc-André Gagnon est conseiller expert auprès d’EvidenceNetwork.ca et professeur adjoint à la School of Public Policy and Administration de l’Université Carlton. 

août 2012

 

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