Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec et Le Soleil

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La période des impôts est de retour et mon cabinet fonctionne à plein régime. Je ne suis pas comptable, mais plutôt médecin de famille. Mes patients n’occupent pas les fonctions de cadre supérieur dans une banque, ils vivent en grande partie dans la pauvreté. Plusieurs sont sans-abri ou assistés sociaux. Pourtant, je me fais un devoir de rappeler à tous mes patients, sans exception, de produire leur déclaration de revenus.

S’agit-il d’un cas de confusion d’identité professionnelle? Est-ce que je mélange REER et ECG? Je ne crois pas. Il est question ici d’une puissante intervention en santé.

Rena, l’une de mes patientes, qui souffre d’hypertension, d’un mal de dos chronique et de dépression et avec qui j’ai passé un nombre incalculable d’heures, m’a dit un jour : « Docteur, si voulez vraiment que j’aille mieux, trouvez-moi de l’argent ».

Rena travaille à temps plein au salaire minimum et gagne un peu moins de 20 000 $ par année. Avec ce revenu, elle fait de son mieux pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa petite fille. Toutefois, elle n’a pas toujours produit assidûment ses déclarations de revenus. Si elle l’avait fait, elle aurait reçu des crédits d’impôt provinciaux et fédéraux de plus de 8 000 $ par année. Ceux-ci auraient pu contribuer grandement à améliorer un petit peu sa situation, notamment sa santé.

Le fait de suggérer à Rena de produire sa déclaration de revenus équivaut à lui prescrire un revenu. Et pour sa pression sanguine ou son humeur, une prescription de revenu peut s’avérer aussi puissante qu’une ordonnance de médicaments.

Cette approche se fonde sur des données probantes.

Le lien entre la santé et le revenu est solide et constant – presque tous les problèmes de santé sérieux, y compris les maladies du cœur, le cancer, le diabète et les maladies mentales, se manifestent plus souvent et ont les pires conséquences chez les personnes qui gagnent les plus faibles revenus. À mesure que les gens améliorent leur revenu, leur santé prend du mieux. Par conséquent, si le revenu de mes patients progresse, il devrait en être de même pour leur état de santé.

Les études démontrent que cette approche en matière de prestation de soins de santé fonctionne. Au Royaume-Uni, les omnipraticiens collaborent avec des « conseillers en droits de l’aide sociale » depuis deux décennies. Ces conseillers s’occupent d’aider les patients à faible revenu à avoir accès aux prestations de revenu auxquelles ils ont droit. Dans les études à court terme qui ont été entreprises jusqu’à maintenant, il a été démontré que ces programmes amélioraient le revenu des patients et leur sentiment de bien-être.

Plus près de chez nous, une étude menée à Dauphin, au Manitoba dans les années 1970, qu’a récemment analysée l’économiste du secteur de la santé Evelyn Forget, indiquait qu’un supplément du revenu offert à toute une ville avait permis de réduire les visites à l’hôpital, le taux de natalité et les hospitalisations pour maladie mentale, les accidents et les blessures.

Il est vrai que la réponse la plus efficace pour contrer la pauvreté réside dans des interventions à une échelle beaucoup plus grande que mes tentatives auprès de mes patients pour les inciter à produire leur déclaration de revenus. En fait, cela s’applique également à plusieurs affections que nous soignons. Nous pouvons lutter contre les maladies du cœur avec des médicaments pour réguler le cholestérol et la pression sanguine, mais qu’en est-il de la réduction des gras saturés dans les aliments transformés? La metformine et l’insuline permettent d’améliorer le contrôle du diabète, mais que dire de restreindre l’accès aux boissons sucrées?

Nous faisons de notre mieux pour traiter chaque patient et sa maladie dans notre pratique tout en plaidant en faveur de changements politiques beaucoup plus vastes. La même approche s’impose pour contrer la pauvreté. En tant que médecins, nous devons, et nous pouvons, prescrire un revenu tout en prônant des politiques vraiment efficaces pour lutter contre la pauvreté.

Je continuerai de recommander à mes patients de faire plus d’exercice et de manger plus sainement, mais en cette période des impôts, je passerai également du temps à prescrire des déclarations de revenus. Le revenu constitue un puissant facteur déterminant de la santé, plus encore que les médicaments que je prescris. Je ferai tout mon possible pour qu’il ait un effet positif sur la santé de mes patients.

Gary Bloch exerce comme médecin de famille à l’Hôpital St. Michael de Toronto en plus de présider le Comité sur la pauvreté et la santé du Collège des médecins de famille de l’Ontario. Il agit également à titre d’expert-conseil à EvidenceNetwork.ca.

mars 2013

Pour un encadré :

Un guide sur les comptoirs de préparation des déclarations de revenus par des bénévoles pour les personnes à faible revenu se trouve à : http://www.cra-arc.gc.ca/tx/ndvdls/vlntr/clncs/on-fra.html

Un guide du patient sur l’amélioration du revenu se trouve à : http://www.healthprovidersagainstpoverty.ca/system/files/Patients_Income_Brochure.pdf

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