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Le jeu de la culpabilisation n’est pas une solution constructive au problème de l’obésité

Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec et Le Soleil

La tarification en fonction du poids est une mesure injuste

Cette semaine, on discutait fort dans les médias sur la question de savoir si les personnes atteintes d’obésité devraient payer leur billet d’avion plus cher que les autres passagers. C’est l’annonce d’un transporteur des îles Samoa qui a lancé le débat, ce dernier ayant décidé de fixer le prix des billets en fonction du poids. Bharat Bhatta, un économiste norvégien, a amené de l’eau au moulin en proposant pour sa part qu’on impose un supplément aux passagers les plus lourds et qu’on offre un rabais aux plus légers.

L’argument qui est mis de l’avant, c’est que les personnes de grande taille occupent plus de place que les autres et font grimper la consommation de carburant. Un raisonnement qui promet de récolter beaucoup d’appuis : il semble logique que les personnes qui « choisissent » d’être obèses assument les conséquences de leur gloutonnerie et de leur paresse.

Mais pourquoi s’arrêter aux déplacements en avion? Voici d’autres idées sur les moyens que pourraient prendre les entreprises pour facturer un supplément aux personnes de grande taille :

1. Courses en taxi : pour la surconsommation d’essence, mais aussi la détérioration des amortisseurs (pour autant que les taxis en soient réellement équipés);

2. Chambres d’hôtel : pour la surutilisation des matelas, mais aussi la quantité d’eau, de savon et de serviettes nécessaires à la toilette d’une surface corporelle étendue;

3. Abonnements au gym : pour l’usure des tapis roulants et de l’équipement;

4. Manèges des parcs d’attractions : pour le surplus d’espace et d’électricité, ainsi que le temps requis pour monter à bord et en sortir;

5. Parties de baseball : pour compenser le fait d’occuper un siège supplémentaire et d’obstruer la vue;

Pourquoi ne pas en effet ajouter ces éléments à la liste des extras que paient déjà les personnes obèses? Assurance-maladie et assurance-vie, vêtements adaptés, voitures de grandes dimensions, mobilier solidifié…

Voilà qui les incitera enfin à voir clair et à commencer à perdre ces kilos en trop.

Mais, un instant! Quelqu’un a-t-il pris la peine de souligner que les taux d’obésité sont sensiblement plus élevés dans les quartiers à faible revenu et que l’obésité diminue déjà les possibilités de trouver un emploi et d’obtenir une promotion, peu importe vos capacités?

Les mesures de tarification « au poids » supposent que la taille corporelle est une question de choix et de responsabilité. Malheureusement, ce n’est pas le cas pour la plupart des gens.

Laissez-moi l’affirmer sans détour : l’obésité n’est pas qu’une simple affaire de paresse, d’indulgence excessive ou de manque de volonté. Elle résulte d’un ensemble de facteurs complexes et diversifiés qui ont une incidence sur la prise de poids, dont la génétique, les médicaments, le stress, la dépression, les dépendances, les troubles de l’alimentation et du sommeil ainsi que les bactéries présentes dans le tube digestif – pour ne nommer que ceux-là.

Un autre fait vient confirmer l’idée que l’obésité est un phénomène sur lequel s’exerce un contrôle personnel largement inférieur à ce qu’on voudrait bien croire : moins d’une personne sur vingt qui suit un régime d’amaigrissement est susceptible de conserver la moindre perte de poids. On n’a pas encore déterminé hors de tout doute si ces échecs sont dommageables pour la santé, mais une chose est indéniable : ils le sont pour l’amour‑propre.

Les politiques de tarification au poids pourraient avoir un certain nombre de conséquences imprévues; par exemple, la possibilité que des gens s’affament ou consomment une quantité excessive de diurétiques, de laxatifs ou d’agents anorexiques (dont le tabac) pour perdre du poids avant de monter à bord. De telles pratiques malsaines sont déjà courantes chez les athlètes de compétition qui pratiquent des sports comportant des catégories de poids (par ex., la boxe et la lutte). Elles pourraient mettre en danger la vie des patients qui prennent des médicaments pour contrôler la pression artérielle ou le diabète, des cas où la moindre tentative d’amaigrissement peut augmenter les risques pour la santé, notamment en ce qui concerne les accidents vasculaires cérébraux et les comas hypoglycémiques.

Un seul atterrissage d’urgence à cause d’un patient diabétique qui aurait décidé de sauter le petit‑déjeuner en vue de la pesée pré-départ risque fort d’anéantir toute économie réalisée par le transporteur (sans parler du dérangement pour les autres passagers).

En dernière analyse, tout ceci est une question d’équité.

Si les transporteurs aériens décident de considérer leurs passagers comme une cargaison, alors une politique de tarification au poids pourra sembler justifiée. Par contre, si l’idée est de fournir un service de transport à des êtres humains, c’est le prix moyen des billets (et la taille moyenne des sièges) qu’il faudrait hausser. C’est la seule façon de répartir équitablement les coûts et le seul moyen équitable d’offrir le service à l’ensemble de la clientèle.

Le jeu de la culpabilisation n’est pas une solution constructive au problème de l’obésité.

Arya M. Sharma, MD, est expert-conseil auprès d’EvidenceNetwork.ca, professeur et titulaire d’une chaire sur l’obésité à l’Université de l’Alberta, et directeur scientifique du Réseau canadien en obésité.

avril 2013


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