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La rente longévité offre une solution

Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec

Le régime à prestations déterminées est dépasséLe monde du revenu de retraite est en pleine mutation et la plupart d’entre nous sont maintenant sans filet de sécurité. En 1986, une part importante de la main-d’œuvre canadienne, soit 39 %, bénéficiait d’un régime de retraite soutenu par l’employeur. La plupart de ces régimes (92 %) étaient à prestations déterminées. Les travailleuses et travailleurs connaissaient donc le montant des prestations qu’ils allaient toucher à leur retraite. En 2010, seulement 29 % de cette main-d’œuvre bénéficiaient d’un régime de retraite d’employeur, dont seulement 75 % à prestations déterminées.

Dans le secteur privé, la situation est pire. Seulement 25 % de ses travailleuses et travailleurs bénéficient de régimes de retraite soutenus par l’employeur et un peu plus de la moitié de ceux-ci (56 %) sont à prestations déterminées.

Autrement dit, près de la moitié (44 %) des travailleuses et travailleurs du secteur privé qui ont la chance de bénéficier d’un régime de retraite d’employeur adhèrent à des régimes à prestations déterminées, dont le seul facteur connu est le montant qu’ils contribuent à un fonds d’épargne-retraite. Normalement, la travailleuse ou le travailleur choisit la manière dont ces fonds sont investis, et au moment de la prise de retraite, la « rente » est le montant d’argent contenu dans le fonds, et non un revenu mensuel déterminé.

Quant aux 75 % des travailleuses et travailleurs du secteur privé qui ne bénéficient pas d’un régime de retraite d’employeur, ils dépendent des épargnes qu’ils ont faites dans le cadre du REER. Ils ont le double défi de choisir la façon dont ils investissent cette épargne et la façon d’en tirer un revenu à leur retraite.

Si vous épargnez pour votre retraite, l’un des facteurs inconnus avec lequel vous devez composer est votre longévité.

Certes, vous pouvez acheter une rente viagère pour éliminer le risque lié à la longévité, mais cette option est coûteuse, notamment parce que les taux d’intérêts sont plus bas que jamais et que les compagnies d’assurances prennent pour acquis que les travailleuses et travailleurs vivront très vieux.

Donc, quelle est la solution?

À la mi-avril, le gouvernement du Québec a publié un rapport d’un comité d’experts présidé par Alban D’Amours, intitulé : Innover pour pérenniser le système de retraite. L’une des nombreuses initiatives présentées dans le rapport de 220 pages est tout à fait novatrice et propose le concept de « rente longévité ».

Cette rente fonctionnerait de la façon suivante. Si le gouvernement du Québec mettait en œuvre l’initiative proposée dans le rapport D’Amours, les travailleuses et travailleurs verseraient 1,65 % de leur revenu, et l’employeur une somme équivalente, dans un fonds, pendant la période de vie où ils auront entre 18 et 74 ans (pas de revenu, pas de cotisation). La rente serait capitalisée selon ces mêmes revenus, au taux de 0,5 % par année, pour un remplacement total du revenu de 28,5 % des revenus crédités.

La rente serait payable annuellement et à vie à compter de 75 ans (mais garantie pendant au moins cinq ans). La capitalisation tant des cotisations et que de la rente seraient assujetties à un plafond qui correspond au maximum des gains admissibles (MGA) pour l’année, soit 51 000 $ en 2013 (indexés sur les salaires).

À titre d’exemple, une travailleuse qui gagne exactement le MGA pour l’année contribuerait 843 $ par année (l’employeur fournissant une somme équivalente) et aurait droit à une rente annuelle de 14 564 $ (indexée) à partir de l’âge de 75 ans, à vie (et garantie pour au moins cinq ans).

Pour les travailleuses et travailleurs qui participent à un régime à prestations déterminées ou un REER, ce scénario offre un énorme potentiel.  Au lieu d’être obligé de planifier votre revenu de retraite pour qu’il perdure pendant une durée de vie indéterminée, vous pourriez planifier votre prélèvement avec beaucoup plus de précision, en sachant qu’à 75 ans, vous bénéficieriez d’une rente supplémentaire annuelle de 14 564 $. Cette rente s’ajouterait à vos prestations du RRQ, de la SV et possiblement à un SRG.

Le résultat : les particuliers n’auraient qu’à assurer leur propre revenu de retraite du moment où ils cessent de travailler jusqu’à l’âge de 75 ans, et non jusqu’à la fin de leurs jours, comme c’est le cas aujourd’hui (plus précisément, jusqu’à une limite inconnue, selon votre espérance de vie).

Ce scénario mérite d’être sérieusement étudié par le gouvernement du Québec, qui n’a pas encore approuvé la proposition, et aussi par le gouvernement fédéral du Canada.

Contrairement à la plupart des changements apportés aux régimes de retraite, cette proposition pourrait être adoptée au palier fédéral dès demain, sans que les provinces n’aient à donner leur approbation. De plus, l’infrastructure est déjà en place : la gestion des rentes pourrait être attribuée à la Régie des rentes du Québec et l’investissement des actifs capitalisés serait géré par la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Comme on pouvait le prévoir, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante s’est opposée à la proposition puisque ses membres ne veulent pas débourser un montant supplémentaire annuel de 843 $ (par employé). Vous pouvez aussi vous attendre à ce que les institutions financières qui profitent de votre dépendance à leurs produits s’y opposeront.

Ceci dit, j’espère sincèrement que les Québécoises et Québécois, ainsi que tous les Canadiens et Canadiennes, participeront à un débat profond et ouvert sur cette approche novatrice.

Robert L. Brown agit comme expert-conseil à EvidenceNetwork.ca et est boursier de l’Institut canadien des actuaires, dont il a déjà été président. Il a œuvré également comme professeur en science actuarielle à l’Université de Waterloo pendant 39 ans.

mai 2013


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