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L’Alberta : la seule province favorisée par la nouvelle formule de financement

Une version de ce commentaire est parue dans l’aut’journal et Le Huffington Post Québec

Redéfinir l’objectif du Transfert canadien en matière de santéLe nouveau Directeur parlementaire du budget, Jean-Denis Fréchette, a récemment annoncé que la réforme du Transfert canadien en matière de santé (TCS) d’Ottawa et les réductions de dépenses assainissent les finances fédérales, à long terme. Toutefois, ce sont peut-être les provinces qui en feront les frais, puisque le plafonnement du TCS au taux de croissance économique risque de réduire la viabilité des finances provinciales.

Par ailleurs, ce n’est là qu’un seul aspect du TCS qui pourrait entraîner des effets néfastes sur les provinces. Le deuxième aspect, moins visible, est l’adoption d’une formule de financement purement per capita, laquelle portera un coup encore plus dur à la capacité de la vaste majorité des provinces à financer les soins de santé essentiels.

Dans le budget fédéral de 2007, le gouvernement Harper a annoncé que les fonds de TCS seraient alloués strictement à montant égal par habitant, et ce à compter de 2014. Cela signifie que chaque province recevra un montant de TCS selon la taille de sa population, peu importe le revenu et les conditions démographiques, géographiques ou autres vécues dans la province. Cette formule diffère de façon significative de la formule actuelle qui alloue des fonds du TCS selon l’importance de la population et les revenus des provinces.

La nouvelle formule de TCS semble, à prime abord, juste et équilibrée, mais dans les faits, les provinces auront beaucoup plus de difficulté à offrir des services de santé, vu les coûts inévitablement élevés de l’assurance-maladie. Par exemple, les provinces moins peuplées, dotées de grandes populations plus isolées vivant en régions rurales et éloignées, doivent dépenser plus d’argent pour livrer un panier de services comparable à celui offert dans les provinces plus populeuses. De même, les provinces dotées d’une plus grande population âgée font face à des coûts supérieurs.

Les « trois grands » transferts de fonds fédéraux aux provinces présentement en place, soit le TCS, le Transfert canadien en matière de programmes sociaux (TCPS) et la péréquation, ont été créés pour assurer la prestation de soins de santé et de services sociaux essentiels à tous les Canadiens et les Canadiennes, un objectif national que nous avons enchâssé dans la Charte canadienne des droits et libertés. En théorie, le TCS doit soutenir les cinq principes énoncés dans la Loi canadienne sur la santé : la gestion publique, l’intégralité, l’universalité, la transférabilité et l’accessibilité des services de santé. Ces principes favorisent un sentiment de citoyenneté commune, même si le régime d’assurance-maladie et la façon de gérer et de livrer les soins diffèrent d’une province à l’autre.

Combinée à un manque de volonté de respecter même les principes minimaux dictés par la Loi canadienne sur la santé, la nouvelle formule propose de l’argent sans aucune contrepartie. En fait, cette formule désargentera la vaste majorité des provinces tout en acheminant une véritable manne vers l’Alberta. Selon des prévisions pour 2014-2015, cette province recevra 954 millions de dollars de plus sous la nouvelle formule, soit 235 $ supplémentaires pour chaque homme, femme et enfant sur son territoire. Les autres provinces perdront les sommes suivantes : l’Ontario, 335 millions de dollars; la Colombie-Britannique, 272 millions de dollars; le Québec, 196 millions de dollars; Terre-Neuve, 54 millions de dollars; le Manitoba, 31 millions de dollars; la Saskatchewan, 26 millions de dollars; la Nouvelle-Écosse, 23 millions de dollars; le Nouveau-Brunswick, 18 millions de dollars; et l’Île-du-Prince-Édouard, 3 millions de dollars.

Bref, le gouvernement de l’Alberta est le seul gagnant. Serait-ce une récompense pour avoir mis en place le système de santé provincial le plus coûteux au Canada?

Pour remédier à cette situation, nous proposons une formule de rechange. Celle-ci prévoit des ajustements selon deux facteurs qui influencent le coût des soins : le vieillissement démographique et la dispersion géographique. Les provinces et les territoires dont la population est à la fois plus dispersée et plus âgée bénéficieraient de transferts plus élevés. Pensons au Labrador et aussi aux régions boréales et rurales du Manitoba et de la Saskatchewan. Les provinces dont la population est extrêmement jeune (Alberta) ou très urbanisée (Ontario) recevraient moins d’argent.

Si les sommes de TCS étaient réparties de cette façon, les provinces aux prises avec des frais de santé inévitablement plus élevés pourraient continuer à fournir des services de santé dont la qualité respecterait à peu près les cinq principes énoncés dans la Loi canadienne sur la santé. En d’autres termes, le TCS servirait à nouveau les objectifs d’une politique nationale et les fonds ne seraient pas aveuglément distribués en fonction d’un simple décompte démographique.

Les Canadiennes et les Canadiens veulent pouvoir compter sur le fait que leur citoyenneté leur procure plus qu’un droit de résider dans une province et qu’ils peuvent accéder aux services médicaux dont ils ont besoin, sans entraves financières, peu importe où ils élisent domicile. Le temps est venu de revisiter l’objectif initial du TCS.

Gregory Marchildon agit à titre d’expert-conseil à EvidenceNetwork.ca. Avec Haizhen Mou, il enseigne à la Johnson-Shoyama Graduate School of Public Policy, un centre interdisciplinaire de recherche, d’enseignement et de formation dans le champ des politiques et de l’administration publiques, qui est siuée à l’Université de Regina et à l’Université de la Saskatchewan.

octobre 2013


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