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Les répercussions de l’« effet Angelina Jolie » sur le dépistage du cancer du sein  

Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec

 

L’appui des célébrités et le dépistage médical Est-ce une bonne idée d’entreprendre une expédition de chasse génétique pour savoir si on est « à risque » de développer une maladie particulière ?

Cette question a pu encore une fois être examinée lorsque plus tôt cette année, le U.S. Preventive Services Task Force (groupe de travail sur les services de prévention des États-Unis [USPSTF]), un groupe indépendant de scientifiques ayant pour rôle de formuler des recommandations en matière de dépistage médical, a publié une mise en garde indiquant que le dépistage d’une mutation des gènes BRCA associée au cancer du sein n’est pas conseillé et n’est pas susceptible d’apporter un avantage chez les femmes qui présentent un risque faible.

Le USPSTF réagissait sans nul doute à l’effet Angelina Jolie, cette actrice célèbre qui s’est soumise à un test génétique afin de déterminer si elle était porteuse des mutations liées aux gènes BRCA1 ou BRCA2, parce qu’elle croyait être davantage susceptible de développer un cancer du sein. Issue d’une famille avec de lourds antécédents en matière de cancer du sein, Mme Jolie s’était laissé dire qu’elle appartenait à une catégorie de femmes « plus à risque » que la moyenne et qu’il serait bénéfique pour elle de se soumettre à un tel test. Par la suite, après avoir été informée qu’elle était porteuse des gènes défectueux, elle a décidé de subir une double mastectomie, c’est-à-dire une ablation complète des deux seins, puis elle a écrit un article à ce propos dans le New York Times.

Cet article a non seulement propulsé les ventes de tests génétiques pour le cancer du sein dans la stratosphère, mais il a également poussé une multitude de femmes à aller chez leur médecin en lui disant, un peu comme dans le film Quand Harry rencontre Sally, « donnez-moi la même chose qu’elle ». Le journal britannique the Mirror rapportait également que les organismes de bienfaisance œuvrant dans le domaine de la lutte contre le cancer du sein ont assisté à une hausse fulgurante des demandes d’information de femmes s’interrogeant à propos de l’ablation des seins, demandes qui se sont multipliées par quatre.

Peut-être en réaction à cet engouement déraisonné, les spécialistes américains ont publié une recommandation ferme selon laquelle les femmes sans antécédents familiaux liés à une mutation des gènes BRCA1 ou BRCA2 ne devraient pas tenter d’obtenir des services de consultation génétique systématique ou un test génétique. 

L’empressement de nombreuses femmes à demander à subir un test génétique découle de l’obsession de notre culture pour les célébrités, d’une grande peur du cancer du sein et d’une sincère impression de sagesse qu’évoque pour nombre d’entre nous la maxime « mieux vaut être trop prudent que pas assez ». Il est probable que la grande majorité des nouvelles clientes faisant la file pour subir un test génétique font partie de la catégorie des « inquiètes asymptomatiques », c’est-à-dire des femmes qui ne sont en rien susceptibles d’être porteuses des rares mutations génétiques en cause et qui par conséquent ne tireront aucun avantage de ce type de dépistage, et pour qui finalement l’ablation préventive des seins serait une option extrêmement mal avisée.

Ce n’est pas la première fois que les autorités en matière de santé publique portent attention aux conseils de prévention venant d’une célébrité. Les gens qui travaillent dans le domaine du dépistage parlent également de l’« effet Katie Couric » lorsqu’il est question de l’impact énorme que peut avoir sur le public une personne célèbre, Mme Couric ayant subi en direct une colonoscopie pendant l’émission Today. Ce geste posé par Mme Couric a permis de mettre l’extraordinaire pouvoir d’influence d’une vedette au service de l’enjeu du dépistage du cancer du côlon et a prouvé encore une fois que pratiquement rien n’est plus efficace que l’appui d’une célébrité quand vient le temps de susciter avec grande force l’intérêt du public pour une question de santé.

En fait, les spécialistes en communication des enjeux de santé publique analysent la colonoscopie de Mme Couric comme un cas classique de moyen efficace d’amener les gens à sortir de leur confort pour se rendre chez un médecin et y subir des examens qui autrement les rebuteraient. Lorsqu’on constate que seulement 50 % des Canadiennes et des Canadiens de plus de 50 ans participent de façon systématique à un programme de dépistage régulier permettant de déceler et de prévenir les lésions du côlon possiblement mortelles, on peut probablement dire que l’appui exprimé publiquement par Mme Couric a contribué à une bonne chose : augmenter considérablement le nombre de personnes demandant et subissant un dépistage du cancer du côlon.

Néanmoins, le récent avis du USPSTF concernant le dépistage génétique et le cancer du sein demeure tout à fait juste, comme le démontrent les chiffres. Approximativement, de deux à trois femmes sur mille ont la même anomalie génétique qu’Angelina Jolie, et chez les femmes présentant un « risque très élevé » d’être porteuse d’une mutation des gènes BRCA, comme les Juives ashkénazes, la proportion est d’environ deux sur cent.

Selon les spécialistes, seules les femmes dont au moins une membre de la famille est porteuse d’une mutation connue et possiblement nuisible du gène BRCA1 ou BRCA2 devraient recevoir des services de consultation et être soumises à un test.

Toutes les autres, à savoir la vaste majorité des femmes, ne devraient pas subir de test. 

Il est difficile de savoir si les recommandations mesurées d’un groupe d’éminents spécialistes comme l’USPSTF pourront faire le poids face à l’extraordinaire pouvoir d’influence d’une grande célébrité, laquelle, faut-il le rappeler, n’a jamais incité les autres femmes à subir un test génétique, mais a plutôt raconté sa propre expérience et défendu la nécessité de faire « un choix éclairé ». Quoi qu’il en soit, il ne faut pas se laisser étourdir par le magnétisme d’une célébrité et se lancer dans des examens de dépistage seulement parce qu’il existe une infime possibilité que l’on soit « très à risque ». 

Alan Cassels est expert-conseil à EvidenceNetwork.ca et chercheur dans le domaine des politiques sur les médicaments à l’Université de Victoria en Colombie-Britannique. Il est également l’auteur du livre Seeking Sickness: Medical Screening and the Misguided Hunt for Disease.


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