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Il faut accroître les services de proximité et améliorer la formation des intervenants

Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Quebéc

High rates of emergency and police services signal many adults and adolescents with autism in Canada are in crisis

La population canadienne se plaint régulièrement des longues périodes d’attente à l’urgence. Et il y a longtemps que les experts des politiques de santé attirent notre attention sur le coût élevé des services d’urgence et son incidence sur un système de santé financé par les deniers publics.

On oublie souvent, dans ce débat, de parler des moyens susceptibles de réduire la fréquentation des salles d’urgence et des hôpitaux, en améliorant notamment les services sociaux et de santé offerts en amont aux personnes qui en ont le plus besoin. Selon ce que nous apprennent nos recherches, les adolescents et les adultes autistes en font partie.

Parue récemment dans les revues BMJ Open et Journal of Autism and Developmental Disorders, notre étude a suivi durant 12 à 18 mois 284 familles vivant avec un adolescent ou un adulte autiste. Nous les avons contactées sur une base régulière afin de savoir si elles avaient recouru aux services d’urgence, policiers ou hospitaliers durant cette période.

Les résultats sont stupéfiants.

Nous avons découvert une personne autiste sur quatre s’était présentée à l’hôpital pour une urgence et qu’une sur six avait eu une interaction avec la police pendant la période visée.

Le fait de compter au moins une visite à l’urgence au cours de l’année précédente s’est avéré le meilleur prédicteur du recours aux services hospitaliers d’urgence. Le constat est le même que l’urgence soit de nature médicale ou psychiatrique.

De plus, nous avons observé une augmentation du risque dans les cas où la famille avait subi au cours des mois précédents un stress important ou un événement marquant et qu’elle montrait au début de notre étude un niveau de détresse élevé.

En d’autres termes, nous avons relevé un certain degré de prédictibilité en ce qui concerne la possibilité de déterminer bien avant le fait lesquelles, parmi les familles à l’étude, étaient susceptibles de faire appel aux services d’urgence.

Nos conclusions rappellent, comme l’ont d’ailleurs démontré d’autres études, que les mesures de soutien social offertes aux adolescents et aux adultes autistes sont souvent inadéquates, peu importe la région où l’on vit, et qu’elles ne répondent pas aux besoins. Par conséquent, leurs familles se retrouvent trop souvent en état de crise.

Vu la situation, que pourrait-on offrir aux familles avant qu’une crise ne survienne? Si on leur consacrait des ressources dès la première urgence, est-ce qu’on ne pourrait pas prévenir les visites répétées à l’hôpital ou, à tout le moins, les anticiper?

Les ministères fédéraux et provinciaux responsables de la santé, de l’éducation et des services sociaux auraient avantage à améliorer les mesures de soutien proactif destinées à cette population négligée. En ce moment, les services en matière d’autisme sont souvent fragmentés et visent à parer au plus pressé.

Notre étude a aussi révélé certaines lacunes chez les prestataires de services d’urgence en matière de formation sur l’autisme.

Nous avons constaté que les adolescents et les adultes autistes qui nécessitent des services d’urgence ne vivent pas toujours une expérience très positive. On peut en conclure que les résultats ne sont pas toujours aussi optimaux qu’ils pourraient l’être. Les longues périodes d’attente à l’urgence, l’absence apparente de résultats probants, le recours à la contention chimique et physique comptent parmi les nombreuses expériences négatives rapportées par les parents.

Il est possible d’en faire davantage pour mieux répondre aux besoins des personnes atteintes de troubles du spectre autistique lorsqu’une urgence survient. Si l’on veut parvenir à adapter les services, il faut concentrer nos efforts de formation sur la compréhension et l’acceptation du phénomène, plutôt qu’uniquement sur l’intervention en situation de crise.

Pour que les policiers et le personnel d’urgence puissent assurer la sécurité de tous, il faudrait faire en sorte que les principaux intéressés et leurs familles leur fassent confiance et soient certains qu’ils comprendront la situation et seront sensibles à chaque cas particulier.

Les meilleures solutions découlent parfois de la collaboration avec les individus et les familles touchés par l’autisme. À l’Île-du-Prince-Édouard, une pompière elle-même autiste a décidé de former ses collègues afin qu’ils sachent reconnaître les enfants en état de crise et leur venir en aide. À Toronto, un chef de police avoue en avoir beaucoup appris sur le phénomène grâce à son propre fils.

Dans quelques régions au Canada, on trouve un registre des personnes vulnérables auquel les policiers ont accès. Il existe aussi des « cartes de crise », des fiches d’information personnelle et des passeports médicaux qui sont autant de moyens de communication conçus spécialement pour faciliter les rapports entre les familles et les prestataires de soins.

Malheureusement, un grand nombre de professionnels et de familles ne savent même pas que ces outils sont à leur disposition.

Sur le terrain, les familles nécessitent des ressources personnalisées à la hauteur des besoins de leur proche, dont la prestation serait suffisamment soutenue et cohérente. Néanmoins, il n’existe pas de formule universelle. À une échelle plus large, les principaux intervenants ont réclamé un cadre d’action sur l’autisme visant à recenser et à promouvoir des solutions fondées sur les preuves répondant à des problèmes complexes.

Le temps est venu d’investir, en tant que société, dans l’éducation des patients, des familles et des prestataires de services d’urgence, afin d’améliorer les résultats des soins prodigués aux personnes autistes. Mais mieux encore, concertons-nous afin d’offrir aux familles le soutien social et médical dont elles ont besoin pour éviter bon nombre des situations de crise qui peuvent survenir.

 

Yona Lunsky est experte-conseil auprès du site EvidenceNetwork.ca, professeure au département de psychiatrie de l’Université de Toronto et directrice du programme de recherche sur les troubles du développement et l’accès aux soins de santé (H-CARDD) au Centre de toxicomanie et de santé mentale

Jonathan A. Weiss est professeur associé au département de psychologie à l’Université York, psychologue clinicien et titulaire d’une chaire de recherche sur le traitement des troubles du spectre autistique et les soins aux patients, que financent les Instituts de recherche en santé du Canada en partenariat avec la Kids Brain Health Foundation, la Sinneave Family Foundation, l’ACTSA, Autism Speaks Canada et Santé Canada.

novembre 2017


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