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Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec

Comparaison des systèmes de soins de santé canadien et américainUne chose sur laquelle les Américains et les Canadiens s’entendent est que les uns ne veulent pas du système de santé des autres, et vice versa. En vérité, la majorité des Américains ne savent pas comment fonctionne le système de santé du Canada et les Canadiens connaissent mal le système de santé américain.

Ce que savent les Américains vient principalement des propos négatifs que tiennent les politiciens et autres commentateurs qui depuis des années s’opposent à l’instauration d’une assurance maladie nationale. Il y a deux décennies, le New York Times rapportait que les Canadiennes devaient attendre pour obtenir un test Pap, une déclaration réfutée avec vigueur par l’ambassadeur du Canada, qui avait répliqué en affirmant dans une lettre envoyée au rédacteur en chef du Times : « Vous et les Américains en général avez la liberté de décider du système de santé à choisir, à éviter ou à adapter, mais ce choix ne doit pas s’appuyer sur des opinions sans lien avec les faits. »

Oui, il y a des listes d’attente pour accéder à certains services, mais non, les Canadiens ne traversent pas la frontière en masse pour obtenir des soins aux États-Unis. 

Il y a de la désinformation chez les Canadiens également. Partout où je suis allée, des Canadiens m’ont dit croire, selon ce qu’ils avaient vu et entendu principalement à CNN et à Fox, que l’Obamacare devait apporter aux Américains une protection universelle en matière de santé comparable à celle dont ils bénéficient au Canada.

Quand je leur ai expliqué que la loi n’était qu’un autre rapiéçage d’une protection qui est une véritable courtepointe, et que la Commission des finances du Congrès estimait qu’il y aurait encore 30 millions de personnes sans assurance, leur réaction a été de me répondre : « Ce n’est pas ce qu’on entend dans les médias d’information ». Et c’est avec étonnement qu’un ancien sous-ministre de la Santé du Nouveau-Brunswick m’a dit : « Après tout cela, vous aurez encore 30 millions de personnes sans protection! »

Faire la distinction entre l’opinion et les faits, comme le conseillait vivement l’ambassadeur du Canada il y a longtemps, c’est ce que j’ai essayé de faire tout au long de mon récent voyage dans ce pays. À certains égards, le système de soins de santé canadien est extrêmement différent de celui des États-Unis, mais à d’autres égards, les deux se ressemblent beaucoup et devront relever des défis similaires dans les années à venir.

Ce qui nous n’avons pas en commun

Bien que l’Affordable Care Act (ACA [loi sur les soins abordables]) des États-Unis ait pour objectif d’accroître le nombre de personnes ayant une assurance maladie en offrant des subventions et en obligeant tous les Américains à se doter d’une telle assurance sous peine de se voir imposer une pénalité, la notion d’universalité demeure dans ce pays un objectif très lointain. La Loi canadienne sur la santé, de son côté, vise l’universalité : tous les citoyens doivent être protégés par le régime d’assurance gouvernementale de leur province selon des modalités et des conditions uniformisées. Les Canadiens bénéficient d’une protection où qu’ils soient soignés dans leur province d’origine, et en aucun cas il y a limitation de l’accès aux médecins et aux hôpitaux comme condition à une prestation intégrale. Au Canada, il n’existe aucun obstacle financier aux soins offerts dans les points de service, comme il y en a et continuera d’en avoir aux États-Unis.

Les Canadiens ne paient pas une coassurance de 30 % ou 50 % s’ils subissent une intervention non hospitalisée ou se rendent dans une clinique de soins d’urgence, des frais de plus en plus courants aux États-Unis. Ils n’ont pas à craindre de devoir payer une énorme facture s’ils doivent recourir aux services d’un médecin ou d’un hôpital ne faisant pas partie du réseau. Dans le système de santé public situé au nord de la frontière, l’accès des patients aux services médicaux est établi en fonction de leurs besoins et non de leur capacité de payer. Si on utilise le mot « ration », on pourra dire qu’au Canada les rations sont distribuées en fonction des besoins, alors qu’aux États-Unis elles le sont en fonction du prix et continueront de l’être après la mise en œuvre de l’ACA.

Parce qu’il est financé par l’État, le système de soins de santé canadien est plus équitable. Personne au Canada ne doit choisir entre se procurer une assurance platine et obtenir une protection supérieure ou se procurer une police moins chère et devoir assumer 60 % des frais soi-même. Les polices étagées offertes dans les marchés de l’assurance maladie des États, appelés State Health Insurance Exchanges, ne font que reconduire les inégalités sociales dans le système américain. Les gens bénéficient de prestations extrêmement variables selon le lieu où ils vivent, leur âge, l’endroit où ils travaillent et combien ils sont en mesure de payer pour une assurance maladie.

Ce n’est pas le cas au Canada, sauf en ce qui concerne la protection liée aux médicaments sur ordonnance. Les régimes d’assurance médicaments sont plutôt inégaux au Canada et la difficulté d’accès à ceux-ci laisse environ 10 % de la population sans protection. Il n’existe pas de régime universel d’assurance médicaments, bien qu’il soit obligatoire de se doter d’une assurance médicaments dans deux provinces (par le biais d’un employeur ou dans le cadre d’un régime public). Environ 40 % de la population est assurée par l’entremise d’un employeur. Les personnes qui n’ont pas les moyens de payer la prime d’assurance reçoivent une subvention du gouvernement. En ce sens, l’assurance médicaments dans ces provinces est semblable à l’Obamacare. Cependant, recevoir des prestations d’assurance médicaments ne signifie pas nécessairement avoir une protection adéquate, comme l’affirme le chroniqueur en santé du Globe and Mail André Picard, selon qui : « La grande différence par rapport au reste du système canadien est qu’il y a très peu de régimes d’assurance médicaments qui offrent une protection intégrale ».

Pendant mon voyage, j’ai beaucoup plus entendu parler des déterminants sociaux que je peux en entendre parler aux États-Unis. Presque toutes les personnes que j’ai interviewées ont mentionné les tristes statistiques concernant les populations autochtones et la nécessité d’améliorer l’accessibilité et la qualité des soins. J’ai peine à me souvenir de la dernière fois où j’ai entendu quelqu’un parler des problèmes médicaux des Autochtones américains ou de la qualité des soins offerts par les services de santé autochtones des États-Unis.

J’ai demandé à Michael Decter, expert en politiques sur la santé et ancien sous-ministre de la Santé de l’Ontario, quelle serait sa liste de souhaits pour le système de soins de santé canadien. Ce qui figurait en tête de sa liste n’était pas un meilleur financement du système, mais plutôt une meilleure éducation destinée à améliorer le sort des personnes autochtones. Il existe une corrélation entre l’éducation et une bonne santé. Son deuxième souhait était une protection pour les médicaments. Les temps d’attente si notoire des hôpitaux canadiens n’occupaient pas une position très élevée dans la liste de ses priorités. En fait, il ne les a pas même mentionnés comme constituant un problème. 

Trudy Lieberman a été présidente de l’Association of Health Care Journalists et collabore à la rédaction de la Columbia Journalism Review. Elle est également une associée du Center for Advancing Health, où elle tient un blogue sur les frais à payer pour obtenir des soins de santé. 

janvier 2014

Article publié avec la permission de l’Association of Health Care Journalists, http://healthjournalism.org/.


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