Le système de santé public doit évoluer
Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec
Cette semaine, les ministres de la Santé du pays se rassembleront à Banff en vue de se pencher sur des questions d’intérêt commun et d’explorer les possibilités de collaboration. Le Régime d’assurance-médicaments, un programme qui couvrirait les coûts de tous les médicaments d’ordonnance par la voie d’un système financé à même les fonds publics au lieu d’une prise en charge par les individus, sera certainement à l’ordre du jour.
Les décideurs parlent souvent de « fruits facilement accessibles », des politiques à faibles perturbations et à gains rapides. Or, de tels fruits sont rares dans le milieu de la santé canadien. Les défis sont complexes, la mise en œuvre de solutions est difficile et souvent coûteuse.
Un Régime d’assurance-médicaments n’est pas encore perçu comme un fruit facilement accessible, mais ce fruit n’est peut-être pas si haut juché dans l’arbre, contrairement à ce que pensent nos ministres.
La couverture et les coûts des médicaments d’ordonnance s’avèrent des défis importants dans le monde des soins. Le Canada est le seul pays développé doté d’un régime d’assurance-santé universel dépourvu d’une couverture universelle en matière de médicaments d’ordonnance. Par conséquent, un Canadien sur dix n’a pas les moyens de se payer les médicaments prescrits par son médecin. Or les Canadiens dépensent plus pour les médicaments que les citoyens de tout autre pays comparable.
Nous pouvons relever les défis liés aux politiques régissant le domaine pharmaceutique en réformant la façon dont nous achetons les médicaments et la manière de les payer, à condition que nos gouvernements œuvrent conjointement. Malheureusement, la collaboration n’est pas toujours au rendez-vous dans l’arène des politiques publiques canadiennes.
Le Régime d’assurance-maladie canadien a été conçu dans les années 1950 et 1960 comme un partenariat entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Ces instances ont mis en place un régime d’assurance-santé universel comportant plusieurs étapes, en commençant par l’hospitalisation, puis les soins médicaux.
Aujourd’hui, les innovations dans le domaine pharmaceutique ont transformé les soins de santé. Nous pouvons maintenant traiter de nombreuses maladies qui, jadis, auraient nécessité des hospitalisations. La population étant vieillissante et les technologies pharmaceutiques étant en constante évolution, les coûts des médicaments d’ordonnance et leur couverture seront des enjeux de plus en plus importants au pays.
Actuellement, il n’existe au Canada aucune norme nationale régissant la couverture des médicaments. Nous dépendons d’une mosaïque d’interlocuteurs privés ou publics qui paient la note mais qui sont souvent en conflit les uns avec les autres, au détriment des patients.
La présence d’une telle mosaïque génère de profondes inégalités. Un citoyen atteint d’une maladie chronique pourrait avoir à payer des centaines de dollars, voire plus de mille dollars par année, selon la province dans laquelle il réside. Il pourrait aussi n’avoir rien à payer s’il bénéficie d’un régime d’assurance-médicaments privé au travail.
La solution la plus plausible à ce problème serait d’intégrer les médicaments d’ordonnance à notre régime d’assurance-maladie public, comme nous l’avons fait pour les soins des médecins et les hospitalisations. Les Canadiens n’auraient pas à débourser davantage. En fait, si le Canada adoptait des pratiques plus rationnelles en matière de produits pharmaceutiques et la façon dont ils sont achetés et prescrits, nous pourrions payer les coûts des médicaments d’ordonnance les plus essentiels et médicalement indispensables. Cela s’appliquerait pour tous les citoyens, à peu de frais ou sans coûts supplémentaires pour les gouvernements.
Comment est-ce possible?
La réponse réside dans les pays développés, partout dans le monde. Du R.-U. à la Nouvelle-Zélande, en passant par les É.-U. et leur administration des anciens combattants, les systèmes de santé des pays comme le nôtre sont dotés de régimes de médicaments d’ordonnance exhaustifs. Ces régimes coûtent les mêmes sommes ou moins par habitant que celles que nous dépensons en fonds publics pour couvrir qu’une part de notre population.
Ces autres systèmes de santé obtiennent davantage avec moins d’argent, et ce pour deux raisons. Premièrement, ils utilisent le pouvoir d’achat d’un payeur unique pour obtenir les médicaments aux meilleurs prix, et ils négocient dur. Par exemple, le R.-U. paie 22 pourcent de moins pour ses médicaments de marques déposées, comparativement au Canada. Par ailleurs, il attire cinq fois plus de capitaux pharmaceutiques, par rapport au nombre d’habitants.
Deuxièmement, ces pays recrutent la participation des médecins prescripteurs et des patients pour promouvoir l’utilisation rationnelle et efficiente des médicaments d’ordonnance. Cette démarche améliore les résultats pour le patient et réduit la demande pour d’autres types de soins tout en contenant les coûts.
En l’absence d’un leadership de la part du fédéral, les provinces et les territoires ont fait de leur mieux pour cueillir les fruits facilement accessibles en vue d’améliorer la couverture et réduire les coûts des médicaments d’ordonnance. Les provinces collaborent plus que jamais pour établir les prix des médicaments génériques et négocier les prix des médicaments de marques déposées.
Toutefois, l’amélioration du régime d’assurance-médicaments au profit de tous les Canadiens s’avérera un exercice difficile sans la participation du gouvernement fédéral.
Le fédéral pourrait mener ce dossier comme aucune province ou territoire ne pourrait le faire en appuyant la création d’une liste nationale unique qui regrouperait les médicaments couverts par l’assurance-médicaments et offerts à tous les Canadiens. Il pourrait également mobiliser le pouvoir d’achat de la population entière et obtenir le maximum pour l’argent investi dans l’achat des médicaments.
Les ministres doivent « viser haut » cette semaine, dans leurs efforts pour régler cette question, en espérant que le gouvernement fédéral sera de la partie. Le fruit est mûr et prêt à cueillir.
Danielle Martin est médecin et vice-présidente au Women’s College Hospital, à Toronto.
Steve Morgan agit comme conseiller-expert auprès d’EvidenceNetwork.ca. Il est professeur et directeur du Centre for Health Services and Policy Research, à l’Université de la Colombie-Britannique.
octobre 2014
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