Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Quebec

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THE CANADIAN PRESS/Andrew Vaughan

Il est temps de sortir du carcan de l’ARC

 

Éliminer les obstacles, un rapport récemment publié par le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie dans lequel sont formulées des recommandations pressantes, est un puissant appel à l’action pour améliorer l’accès aux mesures d’appui fédérales sous-utilisées : le crédit d’impôt pour personnes handicapées (CIPH) et le régime enregistré d’épargne-invalidité (REEI).

En effet, certains de nos concitoyens les plus vulnérables doivent surmonter de multiples obstacles pour avoir droit au CIPH et au REEI, notamment les critères d’admissibilité qui ne cadrent pas avec la réalité quotidienne d’un handicap et qui sont plus stricts pour les personnes ayant des déficiences fonctionnelles mentales par rapport à celles ayant un handicap physique. De plus, le processus de demande est laborieux et peut donner lieu à des coûts cachés, à des décisions arbitraires concernant l’admissibilité et à une certaine opacité en matière de réclamation et d’appel.

Pour les Canadiens ayant un handicap, qui sont presque deux fois plus susceptibles de vivre dans la pauvreté que les autres Canadiens, des programmes comme le REEI sont essentiels. Ce programme aide les personnes gravement handicapées et leurs familles à épargner pour l’avenir et il a été reconnu comme l’un des régimes d’épargne les plus progressistes au monde. Pourtant, la réalité est moins belle qu’elle laisse croire : moins de 15 % des Canadiens ayant un handicap admissible ont accès à ce programme.

La bureaucratie est le plus grand obstacle à lever. Et on attend depuis longtemps que la ministre Lebouthillier et Revenu Canada prennent leurs responsabilités et appliquent des mesures concrètes à cet égard.

D’ailleurs, il n’est pas logique de confier au personnel de Revenu Canada la tâche de déterminer en premier lieu l’admissibilité complexe à des programmes d’épargne et de soutien du revenu plus que nécessaires. La ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social et le ministre des Finances doivent se porter garants des recommandations du Sénat.

L’expérience que vivent les personnes handicapées en raison de l’extrême fragmentation des programmes et des supports n’est pas banale.

Si vous êtes un Canadien à faible revenu et gravement handicapé, vous devez prouver votre situation d’invalidité à votre gouvernement provincial pour réclamer une pension d’invalidité, puis « prouver » à nouveau votre état au gouvernement fédéral pour être admissible au CIPH afin de créer un REEI. Remplir ces demandes ne se fait pas sans coût; les gens peuvent payer des centaines de dollars à leurs médecins pour remplir un formulaire attestant de leur handicap (parfois, chaque année) – une attestation qui ne correspond pas aux normes mondiales de détermination de handicap. De plus, de nombreuses succursales bancaires ne sont tout simplement pas favorables à la création d’un REEI en personne.

On ne comprend pas pourquoi une personne qui satisfait aux critères stricts en matière de soutien provincial aux personnes handicapées n’aurait pas droit d’office au CIPH et au REEI. L’une des recommandations du rapport du Sénat est que toutes les personnes déjà admissibles à un programme provincial pour personnes handicapées puissent être automatiquement inscrites au REEI.

Pour cela, une collaboration entre les ministères et entre les différents paliers de gouvernement est essentielle. Des recommandations de cette nature ne sont pas nouvelles au Canada. De fait, dans un rapport de 1998 intitulé L’UNISSON : Une approche canadienne concernant les personnes handicapées, les ministres ont convenu que « des programmes plus efficaces et mieux coordonnés serviraient davantage les Canadiens handicapés et le pays dans son ensemble ».

Le fait que cet énoncé tienne encore la route aujourd’hui, soit deux décennies plus tard, démontre qu’aucune action efficace n’a réussi à soutenir cette vision intergouvernementale.

Comment pouvons-nous corriger cette déplorable inaction? Le gouvernement libéral fédéral actuel est-il en mesure de faire bouger les choses? Nous sommes en droit de l’espérer.

À court terme, le gouvernement fédéral doit exiger que le ministère des Finances, l’Agence du revenu du Canada et Emploi et Développement social Canada adoptent les recommandations formulées dans le rapport du Sénat pour assurer au besoin une collaboration entre eux.

À long terme, le Canada doit désespérément se doter d’un ministère fort et autonome qui soit directement responsable du vaste ensemble de politiques en matière d’invalidité, notamment les mesures de soutien et la législation fondée sur les droits. Ce ministère devrait collaborer avec les provinces pour déterminer la meilleure façon de simplifier les mesures de soutien fédérales et provinciales.

Enfin, toutes les parties doivent se rendre compte que le système actuel va à l’encontre des Canadiens souffrant d’un handicap. Nier à ce groupe déjà défavorisé l’accès aux mesures de soutien dont ils ont besoin et auxquelles ils ont droit ne cadre pas avec notre vision d’un Canada inclusif.

 

Jennifer Zwicker est directrice des politiques de santé à l’École de politique publique et professeure adjointe au département de kinésiologie de l’Université de Calgary.

Stephanie Dunn est chercheuse adjointe à la division des politiques de la santé de l’École de politique publique de l’Université de Calgary. Toutes deux agissent comme conseillères expertes auprès d’EvidenceNetwork.ca, attaché à l’Université de Winnipeg.

Septembre 2018


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