Une association à la fois erronée et risquée
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En tant que démographe à la retraite, je suis fatigué de lire dans la presse canadienne d’innombrables articles sur le baby-boom qui ne citent que des sources américaines ou qui supposent à tort que le phénomène fut en tous points semblable des deux côtés de la frontière (voir cet article récent dans le Globe and Mail ).
Le fait d’assimiler le baby-boom canadien à celui des États-Unis est à la fois erroné et risqué.
Même s’il est assez juste de situer le phénomène durant la période de 1946 à 1964 aux États-Unis, on ne peut pas du tout affirmer la même chose pour le Canada. Lorsqu’on trace la courbe du nombre de naissances vivantes chez nous, on constate sans trop de peine que le « boom » correspond plutôt aux années 1952 à 1965 (inclusivement). Il s’agit également de la seule période dans toute l’histoire canadienne où le nombre de naissances vivantes a dépassé les 400 000. Fait intéressant, ce chiffre n’a pas été surpassé depuis 1965 malgré la croissance rapide de la population de base.
Au Canada, le boom des naissances a atteint un sommet en 1959, alors qu’aux États‑Unis, il a culminé en 1957. En 1946, le nombre de naissances vivantes s’élevait à 343 504 dans notre pays – largement sous la barre des 400 000 qui nous servent de critère.
Quelle importance cela a-t-il?
Je suis né au Canada en 1949, ce qui signifie que je n’appartiens pas à la génération des baby-boomers. Je n’ai pas connu la surpopulation dans les classes à l’école. J’ai été admis à l’université sans trop de mal (en 1967) et je n’ai éprouvé aucune difficulté à trouver du travail à ma sortie en 1971.
J’ai acheté ma première maison en 1975, tout juste avant que les prix n’atteignent des sommets vertigineux et que les taux hypothécaires explosent. J’ai reçu mon premier chèque de Sécurité de la vieillesse à l’âge de 65 ans, tel que promis.
Par contre, les personnes nées plusieurs années après moi (entre 1952 et 1965, soit la période qu’on peut véritablement qualifier de baby-boom au Canada) ont connu toutes sortes de problèmes en raison de leur année de naissance. Elles ont vécu le fractionnement des horaires à l’école et les classes portatives. Rapidement, les notes requises pour être admis à l’université ont été rehaussées. À l’époque où les membres de cette génération ont obtenu leur diplôme, le taux de chômage dépassait les 25 % chez les jeunes. Au moment ils ont acheté leur première maison, les prix avaient fortement augmenté et les taux hypothécaires se situaient autour de 18 %. Enfin, si vous êtes né en 1958 ou après, il vous faudra attendre jusqu’à deux ans de plus avant d’obtenir vos prestations de Sécurité de la vieillesse.
Voilà les raisons pour lesquelles il est erroné de penser, d’un point de vue statistique, qu’on peut assimiler le boom des naissances au Canada à celui des États-Unis. Mais pourquoi est-il risqué de le faire?
Tout d’abord, le fait de supposer que le baby-boom est un phénomène d’après-guerre nous fait sauter à une conclusion erronée lorsque nous tentons d’en établir la cause. Au Canada, il n’est pas attribuable au retour au pays de soldats avides d’affection. Il est plutôt le résultat d’une période de grande prospérité économique qui s’est étendue de 1952 à 1965 et qui a permis aux mères de rester à la maison et d’élever des familles nombreuses.
Ensuite, ce raisonnement conduit à des conclusions erronées. Si vous prenez comme âge unique la cohorte des naissances de 1946 pour définir le baby-boom, vous vous figurerez que les membres de cette population atteindront l’âge de 69 ans en 2015. Autrement dit, l’âge où ils seront « vieux ». Mais si vous ancrez le baby‑boom, comme il se doit, en tenant compte de son apogée et de sa mi-parcours, vous choisirez l’année 1959 et conclurez qu’en 2015, les baby‑boomers auront 56 ans. Qu’est-ce que cela signifie? Que la majorité d’entre eux font toujours partie de la population active et que le rapport de dépendance ne culminera qu’en 2024 – soit dans une décennie. Par ailleurs, l’âge moyen de la retraite recule de façon constante depuis 2001; bon nombre de personnes au Canada la prennent après l’âge de 65 ans, si bien qu’il est fort possible que notre marché du travail subisse une grande transformation à partir de 2024.
Ainsi, le tsunami n’est pas encore à notre porte – du moins pas pour le moment. Il nous reste du temps pour anticiper ses répercussions sur l’économie, tant en ce qui concerne le ralentissement de la croissance du PIB que l’augmentation rapide des coûts en matière de soins de santé et de sécurité sociale.
Les baby-boomers peuvent donc espérer dévaler les pentes de ski pendant encore quelques belles années avant que les choses ne se mettent à dégringoler.
Robert Brown est expert-conseil auprès du site EvidenceNetwork.ca, professeur d’actuariat à la retraite de l’Université de Waterloo et président sortant de l’Association actuarielle internationale.
Janvier 2015
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