Une version de ce commentaire est parue dans Huffington Post Quebec

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Hippocrate aurait prétendument dit « que ton aliment soit ta seule médecine! » Je conteste cette citation; la nourriture n’est pas une médecine.

J’entends déjà les gens me dire : « mais Dylan, tu as un diabète de type 1 et un doctorat en sciences de la nutrition humaine. Tu sais sûrement que la nourriture a de puissants effets sur la santé. »

Oui, je le sais, mais les aliments ne sont quand même pas des médicaments.

La maxime d’Hippocrate est probablement une citation inexacte que beaucoup de gens ont intérêt à continuer de promouvoir. Trop souvent, la citation est utilisée par des personnes sans scrupule pour vendre des absurdités nutritionnelles comme une désintoxication ou une purification révolutionnaire. Cette citation est également souvent utilisée par des personnes réputées qui tentent de promouvoir l’importance de sains régimes, mais elles devraient s’abstenir de le faire pour ne pas qu’on les confonde avec des charlatans.

Or, en quoi le fait de considérer la nourriture comme médicament est-il erroné? Cette façon de voir les choses ne rend service ni à l’alimentation ni à la médecine.

La nourriture est tellement plus qu’une médecine. Elle est intrinsèquement liée aux interactions sociales, humaines et communautaires. La nourriture, c’est la culture, l’amour et la joie. Faire de l’alimentation une médecine lui retire tous ces attributs positifs.

Une saine relation avec les aliments est essentielle à la santé d’une personne, mais pas parce qu’ils ont des propriétés médicinales. Les aliments ne sont pas seulement du carburant, ils sont plus que des nutriments. Ils ne sont pas consommés uniquement pour réduire notre risque de maladie.

Voir les aliments comme des médicaments peut contribuer à créer une obsession de l’apport en macronutriments, à diviniser ou à diaboliser certains aliments et à transformer l’alimentation en un processus sans joie et stressant.

Les gens ont tendance à surévaluer les effets immédiats de ce qu’ils mangent en pensant qu’un « super aliment » peut avoir des bienfaits instantanés, tout en sous-évaluant les effets à long terme de ce qu’ils consomment au cours de leur vie.

Certes, les aliments que nous mangeons aujourd’hui peuvent avoir de petites et subtiles influences sur la santé, mais ils deviennent puissants si on les consomme durant toute une vie. Pourtant, l’alimentation n’est qu’un des facteurs qui interagissent et influencent la santé. L’environnement,  l’activité physique  et la génétique  jouent également des rôles importants.

Un autre argument pour contrer cette pensée : les personnes qui sont complètement en santé doivent continuer à manger.

Les médicaments sont des substances que nous utilisons pour maintenir la santé et prévenir ou traiter des maladies. Pour rester en vie, je prends tous les jours un médicament. Je pourrais manger les meilleurs aliments quotidiennement, mais sans mon médicament, je mourrais quand même. Si je suis vivant aujourd’hui et capable d’écrire cet article, c’est uniquement grâce à ce médicament essentiel (un merci tout spécial à Frederick Banting et à Charles Best, les inventeurs de l’insuline). Nous vivons plus longtemps  que jamais en raison de la santé publique et de la médecine moderne.

Au moment où Hippocrate a prononcé ces paroles, la plupart des gens ayant eu une maladie grave sont décédés. Les Grecs anciens ne savaient rien des bactéries ou des virus, et beaucoup de gens croyaient que la maladie était une punition des dieux.

Bien que cette croyance ait été abandonnée en chemin, la conception de la nourriture comme médecine nous ramène aux temps anciens où on faisait un lien entre maladie et punition : si vous tombez malade, c’est parce que vous avez suivi un mauvais régime alimentaire. Or, les personnes malades n’ont pas besoin de ce fardeau supplémentaire.

La notion de nourriture-médicament peut avoir un autre effet insidieux. Les gens renoncent parfois à des traitements médicaux qui sauvent des vies en faveur de thérapies dites alternatives, comme des régimes alimentaires à base de jus ou autres, pour essayer de guérir le cancer, le sida et d’autres maladies graves.

Chaque fois que j’entends l’histoire d’une personne qui choisit un type d’alimentation ou de traitement dit « alternatif » plutôt que la médecine moderne, ce faux adage résonne à mon oreille.

La pseudoscience et le charlatanisme apprécient cette croyance voulant que l’aliment soit la seule médecine, car elle les aide à vendre leurs suppléments nutritionnels, leurs livres sur l’alimentation et leurs séances de thérapie. Et c’est une raison suffisante pour cesser de citer Hippocrate à tort et à travers.

La nourriture est la nourriture, la médecine est la médecine et les deux sont vraiment extraordinaires.

  

Dylan MacKay, PhD, est biochimiste nutritionnel au Richardson Center for Functional-Foods-and-Nutraceuticals du département des sciences de la nutrition humaine à l’Université du Manitoba, à Winnipeg et conseiller expert auprès d’EvidenceNetwork.ca.

Juillet 2017

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