Le Canada en retard sur d’autres pays
Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec
La mise au point de nouvelles thérapies aura permis à notre système de santé de faire d’énormes progrès : en témoignent l’insuline pour contrôler le diabète, les antibiotiques pour lutter contre les infections, la chimiothérapie contre le cancer. Toutefois, ces traitements peuvent aussi provoquer des effets nocifs, voire la mort, si bien qu’il faut en soupeser les avantages et les risques.
Mais comment faire pour prendre une décision éclairée en l’absence de données probantes, lorsqu’on soigne des enfants ? La plupart des gens seraient en effet étonnés d’apprendre qu’au Canada, bon nombre des médicaments administrés aux enfants n’ont pas fait l’objet d’études suffisantes ni reçu d’approbation formelle pour les maladies pour lesquelles on les prescrit couramment.
C’est un dilemme quotidien pour les pédiatres canadiens. Nous finissons parfois par prescrire un traitement à un jeune patient sans savoir précisément s’il lui sera bénéfique. À l’inverse, il arrive que nous nous abstenions d’administrer un médicament susceptible de l’être parce qu’il n’a fait l’objet d’aucune étude le démontrant. Dans les cas de maladies graves, il est parfois nécessaire de recourir à un traitement sans en connaître les risques éventuels pour l’enfant.
Quand les choses se passent mal, comme ce fut le cas récemment lorsque des bébés nourris au sein sont morts parce que leur mère prenait de la codéine, l’indignation est générale, et avec raison. Pareilles tragédies ne devraient jamais se produire. Nous savons que la catégorie de médicaments pour enfants qui connaît aujourd’hui la plus grande croissance concerne le trouble d’hyperactivité avec déficit d’attention (THADA). Or le Toronto Star a rapporté au cours des dix dernières années au moins 600 incidents graves associés aux effets secondaires causés par ce type de produit, qui ont été fatals dans certains cas.
Comment un médecin peut-il continuer à prescrire ou à refuser de prescrire un médicament à un enfant sans en connaître d’abord les répercussions possibles ? Pourtant, telle est la situation aujourd’hui au Canada.
Malheureusement, notre pays est à la traîne dans le dossier de la sécurité et de l’efficacité des médicaments pour enfants. D’autres pays ont reconnu le risque sérieux qu’ils posent et investi dans des réseaux scientifiques qui s’emploient à combler les lacunes en matière de données et de connaissances. Le Royaume-Uni en est l’exemple le plus probant : en 2006, il a établi le Medicines for Children Research Network en le dotant de fonds conséquents, affirmant ainsi sa volonté de protéger la santé des enfants. Les retombées sont spectaculaires : en deux ans, le nombre d’études sur la sécurité et l’efficacité des médicaments pour enfants a doublé, pour atteindre les 300.
En Europe et aux États-Unis, des changements législatifs ont fourni un incitatif à la réalisation d’études qui s’intéressent en particulier aux traitements destinés aux enfants. Il reste toutefois beaucoup de travail à faire pour corriger la situation, puisque les enfants se voient encore prescrire couramment des médicaments mal adaptés à leurs besoins.
Au Canada, les spécialistes admettent eux aussi l’existence du problème et on voit peut être poindre à l’horizon une lueur d’espoir. En effet, Santé Canada a commandé au Conseil des académies canadiennes un rapport sur les produits thérapeutiques pour enfants, qui devrait être publié en septembre prochain. Il traitera des méthodes à préconiser pour déterminer la sécurité et l’efficacité des nouveaux traitements destinés aux enfants. Il analysera aussi la position du Canada par rapport à ce qui se fait ailleurs dans le monde.
Ce rapport ne représente que la première étape d’une série de mesures nécessaires.
Le gouvernement Harper a exprimé clairement sa volonté de considérer les mères et les enfants comme une priorité. Il se voit aujourd’hui offrir une occasion unique d’améliorer la santé de nos enfants. En effet, un investissement dans la collecte de données, les pratiques exemplaires et l’amélioration des règlements se traduira par la production de connaissances indispensables — tout en attirant des investissements étrangers.
La preuve ? L’expérience du Royaume-Uni démontre que le fait d’investir dans une infrastructure-réseau dédiée à la recherche clinique pousse l’industrie pharmaceutique et les établissements publics à caractère scientifique à s’investir à leur tour. Par la suite, les résultats découlant de tout le travail accompli sont mis en pratique par les prestataires de santé dans le cadre de leurs interventions quotidiennes, conduisant ainsi à l’amélioration des résultats de santé chez les enfants malades.
Le Canada occupe une position avantageuse qui devrait lui permettre de bien rentabiliser son investissement, puisqu’on y trouve déjà des réseaux de collaboration dédiés à la recherche sur différentes maladies. De plus, les organisations ayant pour vocation première de veiller à la santé des enfants entretiennent déjà des rapports de collaboration et de coordination exceptionnels.
En investissant dès aujourd’hui, le Canada pourrait sauter du dernier au premier rang et devenir le chef de file mondial de la recherche sur les produits thérapeutiques destinés aux enfants et aux adolescents.
Martin Offringa est professeur de pédiatrie à l’Université de Toronto, néonatologiste et chercheur principal en sciences de la santé de l’enfant au Hospital for Sick Children.
Terry P. Klassen est conseiller auprès du site EvidenceNetwork.ca, pédiatre urgentiste et épidémiologiste clinique. Il est président-directeur général et directeur scientifique du Manitoba Institute of Child Health, ainsi que président fondateur du Groupe de recherche en urgence pédiatrique du Canada.
Les deux auteurs siègent parmi de nombreux autres experts au sein du comité chargé de l’étude sur les produits thérapeutiques pour enfants menée par le Conseil des académies canadiennes.
Mai 2014
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