Pourquoi le processus est-il aussi long?
Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec
Huit adultes sur dix au Canada aimeraient accéder à leur dossier médical en ligne, mais moins d’un dixième de la population qui peut le faire, selon une nouvelle étude publiée dans la revue Healthcare Papers.
Le décalage est tout aussi grand dans le cas d’autres services en ligne comme la gestion des rendez‑vous, les consultations médicales ou le renouvellement des ordonnances; la population aimerait s’en prévaloir, mais une majorité n’y a pas accès.
Comment expliquer cette situation, alors qu’il semble qu’on peut pratiquement tout faire en ligne de nos jours?
Prenons un service en apparence simple : les consultations en ligne. Le courrier électronique, voire le courriel sécurisé, est une technologie bien établie dont des millions de personnes se servent au quotidien. Malgré cela, proposer des consultations en ligne est une tâche qui s’avère complexe. Dans les cadres où le barème des honoraires, les lois ou les directives médicales exigent que le patient soit présent, l’adoption d’un service de ce genre risque d’être plus lent. Dans les milieux où il devient pratique courante, on tend à le considérer comme un service clinique et à aménager le temps de travail en conséquence. Cela implique qu’il faut modifier la séquence des tâches et les modes de prestation. Dans le même ordre d’idées, il faut aussi parfois adapter les méthodes professionnelles, l’éducation des patients et les lignes directrices de façon à ce que les consultations soient sécuritaires, efficaces et utilisées à bon escient.
On compte bien quelques succès au Canada, mais ils sont circonscrits à certains secteurs. En Colombie-Britannique, par exemple, 360 000 personnes se sont inscrites à un service qui permet de consulter en ligne ses résultats de laboratoire. Au Sunnybrook Health Sciences Centre de Toronto, des milliers de patients accèdent à leur dossier médical grâce au système MyChart mis sur pied par l’établissement. En Nouvelle-Écosse, un projet pilote d’accès au dossier médical personnel a été pris d’assaut autant par les patients que par les médecins.
Néanmoins, la population et les prestataires de soins s’attendent à davantage.
Mon expérience personnelle me permet de témoigner des avantages que procurent les services informatisés. Il y a quelques années, alors que je vivais au Danemark, mon ophtalmologue m’avait prescrit un antibiotique pour une infection oculaire, qui n’avait pas donné de résultat. En appelant à son bureau, j’ai appris qu’elle était absente. J’ai alors décidé d’envoyer un courriel sécurisé à mon médecin de famille en lui demandant une solution de rechange. Moins d’une heure plus tard, il m’avait répondu.
Mon médecin avait consulté mon dossier électronique pour savoir ce que sa collègue m’avait ordonné et il m’a prescrit un autre antibiotique que j’ai pu trouver à la pharmacie locale. J’ignore si cela a eu une incidence sur mon état de santé à long terme, mais la rapidité et la simplicité de la démarche m’ont semblé inestimables – sans compter que je n’ai pas eu à errer à l’aveuglette à la recherche d’un autre médecin.
On est de plus en plus d’accord sur le mérite des solutions informatiques proposées aux consommateurs en matière de santé. Les choses commencent à bouger. L’été dernier, lors du Conseil général de l’Association médicale canadienne, les médecins ont voté en faveur de la création et de l’utilisation de systèmes de communications sécurisées entre prestataires de soins et patients. Par ailleurs, un certain nombre de provinces planifient la mise en place d’un portail en ligne pour ces derniers. Il reste toutefois beaucoup de pain sur la planche.
S’appuyant sur des données d’enquête, le Conference Board du Canada est parvenu à la conclusion suivante : si la population avait eu accès à des services en ligne pour consulter leur médecin, accéder à leurs résultats d’examen ou renouveler leurs ordonnances, ce sont près de 47 millions de visites en personne qui auraient été évitées et plus de 70 millions d’heures qui auraient été épargnées pour la seule année 2011.
Il y a lieu de penser que ce genre de solution peut améliorer la qualité des soins, les résultats de santé, l’accès au service, l’efficacité et l’équité. Rien ne le garantit toutefois. Pour y parvenir, il faudra adopter des orientations et un cadre adéquats. L’informatisation des services en matière de santé doit tenir compte des différences entre les patients et les milieux de soins, ainsi que de l’infrastructure numérique dans son ensemble et des moyens de réaliser les bienfaits escomptés.
Les services les plus prisés sont ceux qui mettent les patients en relation avec les équipes qui les prennent en charge. Par conséquent, ils doivent être axés sur l’usager et aménagés en tenant compte de la sécurité des patients et du respect de la vie privée, de l’organisation des tâches et de la charge de travail des prestataires de soins, ainsi que du cadre réglementaire et juridique.
L’objectif de réduire l’écart entre la demande et l’offre en matière de services en ligne nécessitera une action réfléchie et bien coordonnée, car il s’agit du seul moyen pour que le plus grand nombre de patients, et non seulement une poignée de férus d’informatique, profitent des retombées. Les individus et les organisations devront se concerter et collaborer, ce qui n’est pas toujours l’une des grandes forces du système de santé. Le fait que nous soyons de plus en plus nombreux à être persuadés qu’il faut miser sur le pouvoir des solutions numériques pour améliorer la santé et la prestation des soins, nous permet de croire que le progrès est à nos portes.
Conseillère auprès du site EvidenceNetwork.ca, Jennifer Zelmer est vice-présidente d’Inforoute Santé du Canada, un organisme à but non lucratif qui travaille avec ses partenaires afin d’accélérer la création, l’adoption et l’utilisation efficace d’outils de santé numériques partout au Canada.
novembre 2014
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