Les interventions musicales donnent des résultats positifs, étayés de preuves. Pourquoi alors ne les utilisons-nous pas plus souvent?
Pendant que j’écris ce texte, mon fils s’exerce au piano, et c’est le son le plus doux à mes oreilles. Il a passé deux ans à travailler lentement, en restant au même niveau, mais peu importe; il s’améliore et les bienfaits de la musicothérapie et des leçons de musique sont évidents et mesurables. Ma seule préoccupation est de ne pas avoir commencé plus tôt.
Mon fils souffre de troubles du spectre de l’autisme, une déficience neurodéveloppementale souvent traitée dans les médias comme un trouble de la communication ou un problème de comportement. Or, la réalité est plus complexe. L’autisme, ai-je appris avec le temps, est un « désordre du corps entier » qui peut aussi affecter la motricité fine et globale, altérer la fonction sensorielle, provoquer des troubles de sommeil et gastro-intestinaux et causer une difficulté à communiquer verbalement et à interagir socialement, ainsi que des comportements rigides et répétitifs.
À l’âge de 10 ans, mon fils a encore de la difficulté à utiliser correctement une fourchette et à attacher ses boutons ou un lacet. Ce n’est pas un retard intellectuel qui rend ces tâches difficiles ‑ à trois ans, il pouvait lire des cartes et à 4 ans, mémoriser des horaires ou des parcours d’autobus complexes ‑ mais les doigts qui manquent de tonus et de dextérité.
On ne parle pas beaucoup de cet aspect de l’autisme.
Il a passé des années en ergothérapie à utiliser des stratégies basées sur le jeu pour améliorer son développement moteur et musculaire, et cela a eu beaucoup de succès. Or, en vieillissant, c’est la musique qui permet une amélioration considérable.
Nous avons d’abord essayé la musicothérapie; notre fils a travaillé avec un thérapeute formé pour atteindre des objectifs cliniques (et non musicaux), comme une meilleure communication. Puis nous nous sommes tournés vers des leçons de piano plus formelles destinées aux enfants autistes.
Lorsqu’il a commencé, ses mains reposaient à plat sur les touches, et plusieurs doigts ne pouvaient se mouvoir individuellement sans qu’il ait d’importants efforts à déployer. Il a fallu des semaines pour que ses doigts s’écartent, se plient et appuient sur les touches à volonté. Et encore des mois pour commencer à courber les doigts afin de créer un arrondi de la main et donner à chaque doigt plus de puissance pour enfoncer les notes une à une.
Semaine après semaine, les résultats se confirmaient, accompagnés d’un sentiment d’accomplissement dans l’apprentissage de la musique et la maîtrise de nouvelles pièces, et aujourd’hui, une capacité à jouer avec les deux mains en même temps.
D’autres parents se souviennent, les larmes aux yeux, des premiers pas de leur enfant. Dans mon cas, ces simples gammes au piano jouées sans difficulté, la fluidité des doigts se frayant un chemin le long du clavier m’émeuvent tout autant.
Nous avons constaté d’autres effets bénéfiques importants de la pratique musicale. Sa durée d’attention a commencé à s’allonger, et pas seulement au piano, dans d’autres contextes aussi. Sa confiance générale s’est améliorée et son niveau de stress a diminué. Et il tire une grande fierté à faire autre chose que de la thérapie, une activité que les autres enfants font aussi.
La question que je me pose, c’est pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt. À vrai dire, parmi tous les experts en autisme que nous avons consultés au début, et ils étaient nombreux, personne n’a mentionné que la musique pouvait l’aider. Il n’en a jamais été question.
C’est étonnant, car il existe des données scientifiques pour corroborer ce fait.
Une méta-analyse Cochrane des études portant sur le pouvoir des interventions musicales auprès de personnes atteintes de troubles du spectre autistique a révélé que la musicothérapie améliorait l’interaction sociale, les capacités de communication verbale et non verbale, l’initiation d’un comportement, la réciprocité socio-émotionnelle, les aptitudes sociales et la qualité des relations parents-enfants, sans oublier la joie qu’elle procure. Les chercheurs ont de fait étudié la fréquence et la durée de la joie.
La joie! Aucun autre traitement de l’autisme sur lequel j’ai lu n’a inclus la « joie » comme un résultat mesurable.
Dans une autre analyse, on a souligné le potentiel de l’apprentissage de la musique chez les enfants autistes pour améliorer l’attention conjointe, la perception multi-sensorielle, le développement moteur et la capacité à favoriser les liens sociaux. Cet apprentissage sollicite également de multiples zones du cerveau, notent les auteurs, et pourrait éventuellement favoriser la connectivité entre les différentes régions du cerveau.
L’analyse se termine par un appel aux praticiens de la santé et de l’éducation à « diversifier les interventions sur l’autisme » et à promouvoir l’utilisation d’approches basées sur la musique. Je ne pourrais pas être plus d’accord.
Certaines études montrent que les enfants autistes peuvent déjà avoir une mémoire et une perception du ton améliorée. Il s’agit donc de miser sur les forces potentielles.
D’autres études ne portant pas spécifiquement sur l’autisme montrent que l’apprentissage de la musique améliore ce que les chercheurs appellent la discrimination auditive et rythmique. La musique peut également augmenter les niveaux de dopamine et améliorer les humeurs. La musicothérapie a également été associée à l’amélioration de la santé mentale, à la réduction de l’anxiété, à l’amélioration du sommeil et même à l’amélioration de la démarche dans une gamme d’autres troubles.
Et pour en rajouter, les interventions musicales ne démontrent aucun effet secondaire négatif.
Fait important, les interventions musicales n’ont pas pour but de « guérir » ou de « réparer » la personne atteinte d’autisme. La musique offre plutôt un moyen d’expression, de croissance et de développement, dans le respect de leur rythme et de leur voix.
Associée de recherche à l’Institut Simone de Beauvoir de l’Université Concordia, à Montréal, Kathleen O’Grady est mère d’un enfant autiste. Elle est également rédactrice en chef du site EvidenceNetwork.ca.
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