Preparé pour EvidenceNetwork.ca par Dr. Lee Tunstall
Vue d’ensemble
Le système de santé des Pays-Bas est fréquemment évoqué comme un exemple de régime universel efficace et accessible qui a réussi à intégrer un important mécanisme de marché concurrentiel. Un rapport publié en juin 2014 par le Commonwealth Fund classe celui-ci dans la moyenne parmi les 11 pays recensés dans le document.
D’un point de vue historique, le système néerlandais a connu trois vagues de développement. Des années 1940 à 1970 environ, on assiste à l’adoption d’un modèle de régime universel d’assurance-maladie pour tous les citoyens. La deuxième vague, soit de 1970 à 1990, fut marquée par l’adoption de politiques destinées à contenir l’augmentation des coûts de la santé. La troisième vague, qui s’est amorcée vers 2000 et se poursuit jusqu’à aujourd’hui, reflète une volonté du gouvernement de promouvoir l’efficacité du système par le biais de la « concurrence dirigée ».
Le système de santé actuel comporte trois grands « volets ». Le premier, qui concerne les soins de longue durée, est encadré par la Loi sur les frais médicaux exceptionnels (AWBZ); en 2013, il a coûté près de 27 milliards d’euros. Le deuxième et principal volet concerne l’assurance-maladie de base. Il est régi par la Loi sur l’assurance-maladie (ZVW) et son coût atteignait 41 milliards d’euros en 2013. Le troisième volet prévoit un régime d’assurance-maladie complémentaire, mais qui est facultatif.
Le système d’assurance (sociale)
En 2006, le gouvernement néerlandais a adopté une série de réformes destinées à confier un rôle plus important aux assureurs de soins médicaux. Il s’agit du seul pays à s’être inspiré du concept de « concurrence dirigée » (proposé par Alain Enthoven) en vue d’instaurer une réforme du régime d’assurance-maladie de base (le deuxième volet). Ce modèle désigne un marché d’assureurs privés parmi lesquels le consommateur peut exercer un choix, mais qui sont réglementés par l’État.
L’assurance-maladie de base
En ce qui concerne l’assurance-maladie de base, tous les citoyens sont tenus de souscrire une assurance-maladie, mais ils peuvent opter pour l’assureur de leur choix parmi un certain nombre qui se font concurrence. Le pays compte actuellement quatre grandes sociétés d’assurances qui fournissent une protection médicale à 90 % de la population. Pour être en mesure d’offrir un éventail de choix aux consommateurs, ces assureurs ont la possibilité de négocier avec les prestataires de soins, jusqu’à un certain degré, des éléments comme le prix, le volume et la qualité des soins. On les autorise à réaliser un profit, mais aujourd’hui un seul d’entre eux est une société à but lucratif. Les assureurs ont l’obligation d’accepter les nouveaux demandeurs; ils n’ont pas le droit de refuser quiconque sur la base de l’âge ou de l’état de santé. En outre, ils doivent facturer une prime commune dont le montant est établi par certaines communes au sein de régions géographiques données.
- Les jeunes de moins de 18 ans, les demandeurs d’asile et les immigrants illégaux qui n’ont pas les moyens de payer de prime sont pris en charge par l’État.
Dans le but d’aider les assureurs à gérer les coûts liés à l’obligation d’assurer les personnes à risque élevé, le gouvernement a instauré un fonds de l’assurance-maladie. Les employeurs néerlandais versent à chaque paie une contribution équivalente à 7,75 % du salaire de l’employé, qui est affectée à ce fonds. Les contributions sont ensuite réparties entre les assureurs en fonction d’un système d’ajustement des risques. Essentiellement, le fonds sert à compenser ces derniers pour le risque élevé associé à certains individus.
Les consommateurs sont libres de changer d’assureur tous les ans s’ils le désirent, puisque les contrats sont d’une durée maximale d’un an. Les personnes âgées semblent les moins enclines à le faire, car elles craignent de ne plus pouvoir bénéficier des mêmes prestations d’assurance complémentaire chez un nouvel assureur. À la différence de la protection de base, ce dernier régime n’est pas obligatoire, si bien que les assureurs peuvent refuser des personnes ou exiger des primes plus élevées. Plus de 90 % de la population néerlandaise souscrit une assurance complémentaire facultative.
L’État continue de jouer un grand rôle en matière de soins médicaux de base, mais il a cessé d’administrer directement le régime de santé pour s’attacher à en surveiller à quelque distance la qualité, l’accessibilité et l’abordabilité. Il prend en charge la majorité des soins de prévention et des activités de promotion de la santé. Il chapeaute aussi un certain nombre d’agences de surveillance qui tentent de gérer les conditions du marché au sein même du système. Le plus grand rôle de l’État consiste peut-être à veiller à ce que toute la population ait les moyens de souscrire une assurance de base. Les personnes et les familles à bas revenu reçoivent ainsi des subventions à caractère fiscal qui prennent la forme d’allocations de santé. Près des deux tiers des ménages néerlandais sont admissibles à ce programme.
Que couvre le régime d’assurance-maladie de base aux Pays-Bas?
Voici les services pris en charge dans le cadre du régime de base :
- soins médicaux : visites chez un omnipraticien, soins hospitaliers, consultation d’un spécialiste avec ordonnance médicale;
- certains soins en matière de santé mentale;
- soins dentaires pour les jeunes de moins de 18 ans; soins dentaires spécialisés et dentiers pour les personnes de 18 ans et plus;
- services ambulanciers;
- protection de la maternité, y compris les soins postnatals et les services d’une sage-femme;
- la plupart des médicaments;
- services d’une nutritionniste;
- certains soins spécialisés comme l’orthophonie;
- programmes de cessation du tabagisme.
Accent sur les soins de première ligne
Le système de santé néerlandais accorde une priorité à la relation entre le patient et son médecin. Le médecin de famille constitue le point d’accès aux services; il est le seul à pouvoir diriger les patients vers les services spécialisés, par exemple en santé mentale ou en cardiologie.
En moyenne, les gens consultent leur médecin de famille plus de six fois par an; chaque médecin prend en charge environ 2 350 patients. La plupart des omnipraticiens ne travaillent pas seuls. En 2012, ils étaient seulement 25 % à posséder leur propre cabinet; 39 % étaient associés à un autre médecin, alors qu’un autre 36 % exerçaient la médecine en groupe au sein d’une clinique comptant deux médecins ou plus. On préconise une approche intégrée fondée sur le travail d’équipe; un grand nombre de professionnels de la santé collaborent et mettent en commun des ressources, ce qui permet d’offrir aux patients un point de service unique. Ces prestataires de soins sont rémunérés pour les services qu’ils dispensent, ainsi qu’en fonction du nombre de patients par clinique (capitation).
Par ailleurs, on mise fortement sur le travail des infirmières praticiennes et des auxiliaires professionnels. De nombreux médecins se sont associés à des consortiums ayant pour vocation de prodiguer des soins à l’extérieur des horaires réguliers. Enfin, les médecins de famille et les universitaires collaborent fréquemment à des projets de recherche visant à améliorer les soins de santé primaires.
Le régime d’assurance des soins de longue durée
Aux Pays-Bas, les trois quarts des personnes qui reçoivent des soins de longue durée ont plus de 65 ans, mais toute personne qui nécessite des soins continus en raison d’une maladie chronique ou d’une incapacité physique ou mentale peut en bénéficier. Ce volet comprend la prestation à domicile des services de maintien et des soins infirmiers, ainsi qu’en résidence. Après une évaluation des besoins de la personne, la prestation des services est coordonnée par le biais d’un réseau de fournisseurs (Zorgkantoren). Ces derniers sont indépendants, mais certains entretiennent une association étroite avec les assureurs. Au lieu de se voir forcés de déménager dans une résidence ou une maison de soins infirmiers, certains patients peuvent choisir d’acheter eux-mêmes des services à domicile; ils reçoivent alors des allocations prévues dans le cadre d’un budget pour soins personnels. D’autres bénéficient de services en nature, c’est-à-dire dont la prestation est coordonnée et assurée par un tiers.
Le régime d’assurance des soins de longue durée est financé par le biais de déductions salariales établies en fonction du revenu. Leurs bénéficiaires sont tenus de participer aux coûts suivant un calcul compliqué basé sur leurs revenus (programme lié aux ressources).
Ce volet subira une réforme en janvier 2015. La Loi sur les frais médicaux exceptionnels (ABWZ) sera remplacée par une loi sur les soins de longue durée (WIz) s’appliquant aux personnes incapables de se maintenir à domicile. Les services de maintien à domicile seront transférés aux municipalités et ajoutés à la Loi sur l’accompagnement social (Wmo) déjà en place. Les soins infirmiers à domicile, quant à eux, seront organisés et dispensés par les assureurs.
Coûts
Individus
La prime d’assurance de base coûte environ 100 € par mois (145 $ CAN) par personne. À celle-ci s’ajoute une contribution de 7,75 % du revenu imposable, évoquée plus haut, jusqu’à concurrence de 50 853 € (environ 73 000 $ CAN). Enfin, la contribution destinée aux soins de longue durée représente 12,65 % du revenu imposable jusqu’à concurrence de 33 363 €.
Les consommateurs paient une franchise de 360 € (environ 510 $) par an pour les soins médicaux, qui couvre aussi la plupart des médicaments. Cette franchise ne s’applique pas aux visites chez le médecin de famille ni aux soins de protection de la maternité, dont le coût est entièrement pris en charge. Les assureurs offrent parfois un rabais de 10 % aux consommateurs inscrits à un régime collectif.
Employeurs
Les employeurs versent une contribution de 7,75 % du revenu de l’employé, destinée au système d’ajustement des risques.
Gouvernement
L’État néerlandais continue d’assumer une part considérable des coûts du système de santé. Même s’il est difficile d’évaluer précisément la valeur totale des dépenses (incluant les soins de longue durée), on l’estimait en 2011 à 11,9 % du PIB. À titre comparatif, ce pourcentage atteignait 11,2 % au Canada la même année. On constate une nette augmentation des coûts, puisque quatre ans plus tôt, soit en 2007, les dépenses en santé ne représentaient que 8,9 % du PIB néerlandais.
En 2007, le système de santé était financé en grande partie par les primes et contributions obligatoires (à hauteur de 66 %, dont 36 % pour les soins de base et 31 % pour les soins de longue durée); suivaient les contributions des particuliers (14 %, dont 10 % en frais directs et 4 % pour l’assurance complémentaire volontaire), du gouvernement (14 %) et d’autres sources (6 %).
Quel est le rendement du système néerlandais?
Le système de santé des Pays-Bas affiche un bon rendement, mais il a aussi ses problèmes. Selon ce que révèle un rapport d’évaluation du rendement daté de 2014, malgré un degré d’accessibilité élevé, de plus en plus de gens s’abstiennent d’y recourir en raison des frais qui leur sont imposés, particulièrement lors des visites chez le médecin de famille. Les coûts ne cessent d’augmenter, mais à un rythme plus lent que par les années précédentes. Même si la qualité des soins semble très élevée, on relève parfois des différences marquées entre les fournisseurs. En particulier, le réseau des soins de longue durée subit des pressions attribuables à la demande accrue et au manque de personnel qualifié.
On rapporte des résultats variables en ce qui concerne les effets de la concurrence dirigée et l’évaluation du rendement par les différents régimes. La qualité des données comparatives demeure une préoccupation.
Malgré le fait que les dépenses gouvernementales en matière de santé ont augmenté substantiellement depuis les réformes, les nouveaux assureurs de soins médicaux ont réussi à mettre en place un bon système d’achat de médicaments, grâce à une stratégie d’appel d’offres qui aura permis d’économiser 348 millions d’euros en 2008.
Soulignons également une tentative de libre fixation des prix s’appliquant aux services dentaires non couverts par le régime de base, mais qui s’est soldée par un échec. L’expérience amorcée en janvier 2012 n’a duré qu’une année; elle a conduit à des situations risquées sur le plan de l’accessibilité et de l’abordabilité.
Enjeux qui se dessinent pour le système de santé néerlandais
La question de savoir si les réformes de 2006 ont réussi reste à débattre. Même si tous sont d’accord sur la nécessité d’instaurer d’autres changements, on ne s’entend pas sur leur nature. Les coûts ne cessent d’augmenter, vu que les assureurs ne font pas montre d’efficacité ou d’économie dans l’impartition des services de santé. Même si on relève certaines améliorations à ce chapitre, notamment en ce qui concerne les médicaments, les choix offerts aux patients et l’égalité d’accès ont pâti.
Par ailleurs, on constate une augmentation du nombre de personnes qui ne souscrivent pas une assurance obligatoire; de plus, nombreux sont ceux qui accusent un retard dans le paiement de leur prime. Rien que pour rattraper les fautifs, cette situation coûte de l’argent au système. Les assureurs sont tenus d’accepter, s’ils en font la demande, les personnes expulsées d’un programme au bout de six mois pour défaut de paiement. On craint que certains individus ne répètent le même stratagème jusqu’à ce qu’ils aient fait le tour de tous les assureurs.
Les choix sont réduits pour les individus à faible revenu ou dont la santé est déficiente, étant donné que les assureurs cherchent à attirer des consommateurs éduqués en bonne santé. Cette situation conduit à une sorte de sélection du risque chez les assureurs. Ces derniers ont aussi la possibilité de fusionner avec les prestataires de services et peuvent ainsi exploiter leurs propres pharmacies ou cliniques.
On craint en outre que les personnes à faible revenu qui reçoivent des allocations de santé au comptant n’utilisent ces sommes pour autre chose.
L’augmentation des coûts de la santé est attribuable également à la multiplication des cliniques spécialisées (santé des hommes, acné, ménopause, etc.) et aux débats sur les prestations qui seront couvertes par le régime de base.
Les réformes de 2006 avaient pour but d’inaugurer un mécanisme de marché dans lequel un grand nombre d’assureurs pourraient négocier des contrats avec les prestataires de soins dans la perspective d’améliorer la qualité des services dispensés aux consommateurs. Or la qualité n’a pas constitué le ressort essentiel des négociations jusqu’ici. À l’avenir, il faudra instaurer de nouveaux moyens d’évaluer tant la qualité des services que leurs résultats sur la santé.
Experts disponibles pour entrevues
Dr. Ewout van Ginneken
Systèmes de santé et politiques européennes
011-49-30-31429483|[email protected]
André den Exter, PhD
Université Erasmus Rotterdam, Pays-Bas
Système de santé néerlandais et lois de l’Union européenne en matière de santé
011-31-10-408186 | [email protected]
Colleen Flood, LLB, LLM, SJD
University de Toronto
Système de santé néerlandais, lois, politiques et financement en matière de santé
416-978-5241 | [email protected] | @ColleenFlood2
Sur les raisons pour lesquelles le Canada ne devrait pas chercher à imiter le système néerlandais et laisser le régime public d’assurance-maladie se détériorer, consulter : https://evidencenetwork.ca/archives/?p=19385#sthash.3130Hcbd.dpuf
Sur les raisons pour lesquelles le Canada ne devrait pas tenter de concurrencer les États‑Unis au chapitre du pire système de santé au sein du monde développé, lire : https://evidencenetwork.ca/archives/?p=19414#sthash.UhV7t5GF.dpuf
Lectures complémentaires
L’article d’Alain Enthoven qui a inspiré la réforme de la santé aux Pays-Bas : A.C. Enthoven, « Consumer-Choice Health Plan: A National-Health-Insurance Proposal Based on Regulated Competition in the Private Sector », New England Journal of Medicine, 298, 13 (1978), p. 709-720.
Pour un regard historique sur le système de santé néerlandais, voir : Ralf Götze, « The changing role of the state in the Dutch healthcare system ».
Pour des analyses et des descriptions à jour, consulter la page sur les Pays-Bas dans le site de l’Observatoire européen des systèmes et des politiques de santé.
Pour d’autres points de vue sur les réformes de 2006 :
- M. Hendriks et autres, « Dutch healthcare reform: did it result in performance improvement of health plans? A comparison of consumer experiences over time », BMC Health Services Research 2009, 9, p. 167.
- K. G.H. Okma, « Recent Changes in Dutch Health Insurance: Individual Mandate or Social Insurance? »
- M. van den Berg et autres, « Health care performance in the Netherlands: Easy access, varying quality, rising costs », Eurohealth, 16, 4 (2010).
- C. van Weel et autres, « Health Care in The Netherlands. »
Comparaisons du régime néerlandais avec d’autres grands systèmes de santé dans le monde :
Au sujet des soins continus (Loi sur les frais médicaux exceptionnels [AWBZ]), voir E. van Ginneken et al., « Personal healthcare budgets: what can England learn from the Netherlands? », BMJ 344 (2012). p. e1383.
E. van Ginneken et Katherine Swartz, « Implementing Insurance Exchanges — Lessons from Europe », New England Journal of Medicine, 367, 8 (2012)
E. van Ginneken et al., « Health Insurance Exchanges In Switzerland and The Netherlands Offer Five Key Lessons for the Operations of US Exchanges Health Affairs », 32, 4 (2013), p. 744-752.
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