Une version de ce commentaire est parue dans La Presse, Options Politique et Le Huffington Post Québec 

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Notre système de santé est encore largement organisé autour des soins actifs (les soins d’urgence) et de « l’impératif thérapeutique », qui consiste à « réparer », lorsqu’une personne est malade, tout ce qu’on peut. Au dernier stade de la vie, toutefois, cette approche n’est pas forcément celle dont le patient et ses proches ont besoin ou celle de leur choix. Il s’ensuit que bien des patients en fin de vie ne bénéficient peut-être pas des meilleurs soins possible.

Lorsqu’on admet une personne à l’hôpital, on cherche le plus souvent à juguler les effets graves de la maladie dont elle souffre, plutôt que de lui prodiguer des soins de confort. Cela se produit même quand elle n’en a plus pour longtemps à vivre. Cette façon de faire entraîne parfois le recours à des médicaments ou à des interventions médicales peu utiles. Plus important encore, elle peut aussi décourager l’administration de médicaments de confort à des patients très anxieux ou souffrants.

À titre d’exemple, un comprimé destiné à faire baisser le taux de cholestérol a peu de chances d’être salutaire pour un patient atteint d’un cancer du poumon avancé, alors qu’un médicament contre la douleur ou l’essoufflement pourrait lui être bénéfique. Ou encore, il n’est probablement pas très utile pour une personne souffrant d’insuffisance cardiaque grave de prendre un médicament contre l’ostéoporose, tandis qu’un produit pour améliorer son sommeil ou son humeur pourrait lui faire le plus grand bien.

Le fait d’administrer des médicaments peu bénéfiques ou de ne pas offrir de médicaments de confort peut être néfaste et faire perdre un temps précieux; on pourrait même parler de soins médicaux médiocres. De plus, les interventions inutiles ou injustifiées coûtent cher au système de santé; cela concerne aussi l’usage des médicaments.

Les Canadiens vivent de plus en plus vieux. La présence simultanée de maladies chroniques comme le diabète et l’hypertension artérielle a provoqué un recours accru aux médicaments. Selon l’Institut canadien de l’information sur la santé (ICIS), les médicaments représentent la dépense la plus importante en matière de santé après les hôpitaux ‒ soit autour de 29 milliards de dollars par an.

Lorsqu’on examine de plus près la consommation des médicaments chez les personnes âgées, on relève une augmentation nette et constante du nombre de maladies chroniques que l’on traite de cette façon. Au Canada, plus de la moitié des aînés en prennent pour soigner deux maladies chroniques ou plus; un quart d’entre eux, pour en traiter trois ou davantage.

Si l’on étudie les demandes de remboursement des régimes publics d’assurance-médicaments, on constate une augmentation correspondante du nombre de produits consommés. Plus de 60 % des aînés prennent cinq médicaments de catégories distinctes ou plus et près de 20 %, dix médicaments ou plus. Enfin, 30 % des personnes âgées de 85 ans et plus en prennent 10 ou davantage, un chiffre saisissant.

On ne peut pas nier que les médicaments ont amélioré notre qualité de vie et prolongé sa durée. Mais à la fin du parcours, ceux qui servent à traiter les maladies chroniques ont-ils encore une utilité?

Une étude du le Réseau canadien des soins aux personnes fragilisées (CFN) et du Réseau universitaire de santé (RUS) de Toronto aborde précisément cette question. Nous avons constitué une équipe responsable du « rationnement des médicaments », qui réunit des médecins, des pharmaciens et des infirmières. Sa tâche consiste à évaluer la liste des produits prescrits aux patients souffrant d’une maladie à un stade avancé. Ses membres font des recommandations relatives à l’abandon des médicaments qui ne présentent aucun bienfait manifeste et proposent des médicaments de confort. Ces recommandations sont présentées ensuite au patient ou à son mandataire et des changements apportés avec leur consentement.

Les 60 patients et leurs proches qui ont participé à l’étude jusqu’ici ont réagi très positivement. Ils se sont dits heureux de bénéficier de conseils d’experts sur la pertinence de cesser de prendre des médicaments qui ne sont plus utiles.

On croyait auparavant que le fait de proposer l’abandon d’un médicament prescrit de longue date risquerait d’inquiéter les patients, comme s’il s’agissait d’un constat d’échec ou que le médecin baissait les bras. Nous avons constaté tout le contraire dans notre étude : les participants nous ont posé de nombreuses questions et n’ont pas hésité à exprimer leurs préoccupations ou leur désaccord. Ce faisant, ils auront contribué à la démarche et à l’amélioration des soins de fin de vie.

Une autre préoccupation s’est avérée sans fondement : celle de donner l’impression aux patients qu’on cherchait uniquement à économiser de l’argent. Jusqu’ici, nous avons observé qu’ils étaient très à l’aise avec l’idée d’abandonner certains médicaments et d’en adopter d’autres, car ils étaient convaincus que c’était la bonne décision.

Il est donc tout à fait pertinent de réévaluer les objectifs de traitement en fin de vie. Un entretien, même bref, avec le patient et son entourage pour parler des symptômes, des craintes, des besoins en matière de soutien et des préférences en matière de traitement permet souvent de définir d’excellents moyens d’améliorer la qualité des soins au dernier stade de la vie.

James Downar est médecin de soins intensifs et de soins palliatifs au Toronto General Hospital. Il préside le comité responsable de l’enseignement universitaire supérieur à la Société canadienne des médecins de soins palliatifs.

John Muscedere est conseiller auprès du site EvidenceNetwork.ca, médecin de soins intensifs et directeur scientifique au Réseau canadien des soins aux personnes fragilisées, un réseau sans but lucratif financé par le programme des réseaux de centres d’excellence, dédié à l’amélioration de traitement et de soins médicaux pour les aînés fragilisés canadiens.

Decembre 2015


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