En tant que cliniciens professionnels et éthiquement responsables, nous nous devons de ne causer aucun tort et à faire tout ce que nous pouvons pour traiter la douleur ressentie par nos patients. Lors de leur arrivée sur le marché il y a quelques décennies, les opioïdes analgésiques semblaient répondre à ces deux impératifs.
Nous savons maintenant que la commercialisation pour le traitement de la douleur chronique de ces puissants médicaments ne reposait pas sur des preuves scientifiques solides et que le risque de dépendance physique, de toxicomanie et d’abus est en fait important et beaucoup plus élevé qu’on l’avait cru initialement. Nous sommes maintenant aux prises avec une crise de santé publique : les surdoses et les décès dus aux opioïdes touchent chaque année un nombre croissant de Canadiens.
Selon un rapport récent, on estime qu’en Ontario seulement, plus de 9 millions d’ordonnances d’opioïdes ont été délivrées en 2015‑2016, ce qui représente une augmentation d’un demi-million en trois ans.
Comme professionnels, nous devons faire partie de la solution au problème et commencer à casser la tendance. Nous faisons face à un problème complexe auquel il n’y a pas de solution simple.
La salle d’examen ou le chevet des patients sont de bons endroits où commencer. Nos échanges avec les patients nous permettent de discuter de divers moyens de gérer la douleur, comme des solutions de rechange aux opioïdes et aux médicaments, avant d’envisager de prescrire un opioïde. Il faut aussi discuter des risques et des bienfaits associés à chaque option.
Dans le cadre de la campagne Prescrire des opioïdes avec soin, lancée par Choisir avec soin, des organismes professionnels représentant entre autres des médecins, des pharmaciens et des dentistes, dressent une liste de situations cliniques où des preuves scientifiques démontrent qu’il n’est pas justifié de prescrire des opioïdes, et que ceux-ci peuvent faire plus de mal que de bien.
Par exemple, le Collège des médecins de famille du Canada recommande aux patients de ne pas continuer à prendre des opioïdes après la période postopératoire immédiate, qui dure généralement trois jours ou moins et dépasse rarement sept jours.
La médecine dentaire en est un autre exemple. Nous savons que les dentistes rédigent plus du tiers des nouvelles ordonnances d’opioïdes. L’Association canadienne des dentistes d’hôpital affirme qu’il faut prescrire des opioïdes (comme la codéine) après une chirurgie dentaire seulement s’il est impossible de gérer la douleur au moyen de médicaments plus sécuritaires comme l’ibuprofène (AdvilMD) ou l’acétaminophène (TylenolMD).
Il faut prendre le temps de réfléchir aux cas où les patients ont besoin d’opioïdes et à ceux où ils n’en ont pas besoin : c’est là un moyen important de lutter contre la crise des opioïdes. Ce faisant, il ne faut toutefois pas oublier notre obligation professionnelle de traiter la douleur de nos patients. Des estimations récentes indiquent que de 15 % à 20 % des adultes du Canada souffriraient de douleur chronique.
Il importe de signaler qu’il faut évaluer et prendre en charge attentivement les patients qui prennent déjà de fortes doses d’opioïdes. Le sevrage des opioïdes doit se dérouler sur une longue période, durant laquelle nous devons faire preuve de prudence et offrir du soutien. Le sevrage brutal des opioïdes peut faire plus de mal que de bien à un patient.
En tant que cliniciens, nous devons prendre le temps de discuter avec nos patients des moyens possibles de traiter leur douleur au lieu de sauter sur le bloc d’ordonnances pour leur offrir une solution rapide. Des décennies de données probantes ont démontré que cette solution rapide a des conséquences à long terme désastreuses pour les patients et la société. Il est aussi urgent d’avoir davantage accès à d’autres options de traitement de la douleur financées par le secteur public et reposant sur des éléments de preuve, comme le recours à des équipes multiprofessionnelles mieux équipées pour faire face à des situations complexes.
La Dre Wendy Levinson est présidente de la campagne Choisir avec soin, conseillère experte auprès du réseau EvidenceNetwork.ca et professeure de médecine à l’Université de Toronto.
Diplômé de l’Université Laval en médecine familiale, le Dr Laurent Marcoux a consacré sa carrière à la médecine clinique et administrative Il occupe actuellement les fonctions de président de l’Association médicale canadienne pour 2017-2018.
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