Pourquoi certains Canadiens tombent-ils entre les mailles du filet ?
Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec
Les émissions de télévision montrent souvent des images de gens faisant une entrée théâtrale à l’urgence. Ils sont étendus sur des civières propulsées à toute vitesse dans les corridors et sont accompagnés de médecins et d’infirmières aux mines inquiètes, qui courent à leurs côtés. Une scène dramatique. En fait, la façon dont la plupart des patients quittent l’urgence n’est pas aussi spectaculaire. Au Canada, chaque année, les urgences font plus de 14 millions de consultations, et parmi celles-ci, environ 85 pour cent se terminent par un congé.
La mauvaise nouvelle, c’est que trop de patients ne reçoivent pas de soins de suivi adéquats après leur passage à l’urgence, une situation qui peut entraîner des décès.
Des études menées en Ontario ont démontré qu’une absence de soins adéquats à la suite d’une consultation à l’urgence est un fait fréquent. En effet, 30 pour cent des patients atteints d’une maladie chronique ne bénéficient pas des soins d’un médecin dans les 30 jours suivant leur congé de l’urgence. Cela est dû en partie au fait que, au Canada, moins de un médecin de premier recours sur trois dit être avisé du passage de ses patients à l’urgence. Si les médecins ne savent pas que leurs patients ont été traités à l’urgence, comment peuvent-ils fournir des soins de suivi adéquats?
Il existe de plus en plus de données probantes indiquant qu’un patient atteint d’une maladie chronique, comme le diabète, l’emphysème ou l’insuffisance cardiaque, qui voit son médecin de famille ou un spécialiste dans les 30 jours suivant son congé de l’urgence risque beaucoup moins de décéder ou d’être hospitalisé. Les patients peuvent souvent recevoir leur congé en toute sécurité après une évaluation de leur condition à l’urgence mais un suivi est presque toujours recommandé puisque leur état exige d’autres examens et une gestion continue de la maladie chronique pour éviter que leur état n’empire, même après la prestation de bons soins à l’urgence.
Les patients vus par leur médecin après avoir obtenu leur congé de l’urgence sont plus susceptibles de prendre les médicaments et de subir les examens diagnostics dont ils ont besoin que les personnes privées de soins de suivi. Un suivi rapide peut donc diminuer les facteurs de risque.
En tant qu’urgentiste praticien, je sais combien il est difficile de travailler en étant constamment préoccupé par l’objectif de renvoyer les patients chez eux rapidement. Il m’est arrivé d’être appelé par un pharmacien quelques heures après le congé d’une patiente âgée a qui j’avais prescrit des antibiotiques pour une pneumonie. Cet antibiotique ne pouvait être combiné à un autre médicament qu’elle prenait. Bien que je connaissais le danger de la prise conjointe de ces médicaments, je n’avais pas relevé cette incompatibilité, étant préoccupé à expédier le congé de la patiente un jour où la salle d’urgence était particulièrement bondée. Sans la vigilance du pharmacien, cette erreur aurait pu avoir de graves conséquences.
Dans une récente analyse publiée dans la revue Healthcare Quarterly (en anglais), j’ai souligné le fait que nous pouvons améliorer la formation et la pratique cliniques en mettant l’accent sur l’importance des soins de suivi après un passage à l’urgence. Par ailleurs, il est tout aussi important de mettre en place des moyens qui permettent aux patients (et aux urgentistes) de prendre en charge leur propres soins de suivi.
D’importantes innovations sont en cours. La plupart d’entre nous pouvons maintenant faire des réservations au restaurant et à l’hôtel et prendre rendez-vous chez le coiffeur par Internet. Ne serait-il pas merveilleux si vous (ou l’urgentiste) pouviez prendre rendez-vous pour obtenir des soins de suivi essentiels auprès de votre médecin avant de quitter l’urgence ? Il semble que ce sera bientôt possible en Alberta, où l’on vient tout juste de mettre en place un système électronique d’orientation qui permet de faire des aiguillages et d’en assurer le suivi. Toutefois, cet outil n’est pas encore disponible dans les autres provinces du pays.
Les professionnels de la santé reconnaissent le problème et des efforts ont été faits pour améliorer la communication au moment de donner au patient son congé. Par exemple, on utilise des listes de contrôle au moment de donner un congé et un document contenant des instructions pour le suivi. Il importe aussi de prendre le temps nécessaire de s’assurer que le patient ou la famille ait bien compris l’information reçue. Or, la planification d’un congé de l’urgence demeure, au mieux, incomplète.
Pour l’instant, l’urgentiste devrait passer plus de temps auprès du patient avant de lui accorder son congé afin de s’assurer que celui-ci comprenne bien que le suivi est aussi important que les soins reçus à l’urgence.
Les médecins à qui on demande de recevoir des patients après un passage à l’urgence doivent être tenus de recevoir ceux dont le statut est prioritaire, et ce dans des délais raisonnables. Ils doivent comprendre l’importance du rôle qu’ils jouent dans les efforts pour assurer aux patients des analyses médicales et des traitements appropriés.
Les hôpitaux doivent aussi participer à ces efforts en s’assurant que les résultats des analyses faites à l’urgence ainsi que les notes cliniques soient facilement accessibles aux médecins de premier recours et aux spécialistes. En l’absence de cette information, le classement des patients par priorités à des fins de suivi par le médecin de premier recours ou un spécialiste est, au mieux, approximatif.
Les hôpitaux, les régions sanitaires et le gouvernement auraient les moyens de surveiller les taux de suivi après un congé de l’urgence à l’aide de données facilement accessibles, et ce à un coût minime. Compte tenu de l’absence de surveillance, de déclaration des taux de suivi ou de mesures incitatives pour assurer les suivis, il est difficile de déterminer quelles sont les forces qui pourraient inciter les fournisseurs de soins à se pencher sur ce dossier.
En raison d’une mauvaise intégration des soins, les patients sortant des urgences qui retournent dans la communauté tombent souvent entre les mailles du filet, ce qui les rend a risque de devoir retourner consulter aux urgences. Cette lacune constitue un important raté de notre système de santé, un raté qui coûte très cher à la collectivité.
Michael J. Schull agit comme conseiller auprès d’EvidenceNetwork.ca, est président et directeur général de l’Institut de recherche en services de santé et professeur au Département de médecine à l’Université de Toronto. Il est également urgentiste praticien au Sunnybrook Health Sciences Centre, à Toronto.
Visionnez deux affiches, 1 et 2 basées sur l’article
septembre 2014
This work is licensed under a Creative Commons Attribution 4.0 International License.