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Une version de ce commentaire est parue dans Options Politiques et Le Huffington Post Québec  

L’interminable saga des frais médicaux accessoires au Québec

Le 26 janvier dernier, le règlement abolissant les frais accessoires est entré en vigueur au Québec, si bien que la province respecte désormais la législation fédérale en la matière. En effet, la Loi canadienne sur la santé stipule que l’argent versé par Ottawa aux provinces (appelé « Transfert canadien en matière de santé ») est conditionnel à l’interdiction de facturer des frais pour toute intervention médicalement requise assurée par un régime public.

Les provinces qui n’obtempèrent pas à cette condition risquent de voir leur versement amputé d’un montant équivalent aux frais accessoires payés par les patients sur leur territoire.

Dans les faits, le Québec avait été l’une des premières provinces à prohiber les frais accessoires en 1970. Toutefois, des décennies de sous-financement du système de santé et de simple laisser-aller de la part des gouvernements fédéral et provinciaux quant à la mise en vigueur de cette interdiction ont abouti à un recours systématique à ce type de facturation pour certains services de santé assurés par les régimes publics, en particulier dans les centres urbains.

En prenant la décision de bannir les frais accessoires, le Québec a enfin agi pour assurer la protection des intérêts des patients — et en appliquant la loi également, faut-il le rappeler. D’autres provinces devraient en prendre note.

Reste à savoir : pourquoi avoir pris cette décision maintenant?

Tout a commencé il y a deux ans environ, avec la proposition controversée de « normaliser les frais accessoires » par le biais du projet de loi 20. Le printemps suivant, un rapport critique du Vérificateur général du Québec soutenait que la province ne s’acquittait pas bien de son rôle en matière d’encadrement des frais accessoires. Entre-temps, Jean-Pierre Ménard, avocat spécialisé dans la défense des droits des patients, déposait une poursuite contre le fédéral en réclamant que ce dernier prenne les mesures requises, au vu des violations flagrantes de la Loi canadienne sur la santé, pour obliger le Québec à en respecter les dispositions.

Le gouvernement fédéral semble avoir saisi le message, puisque le ministre de la Santé Jane Philpott a réagi en menaçant le Québec d’amputer rétroactivement le montant versé au titre du Transfert canadien en matière de santé s’il refusait d’abolir les frais accessoires – une réduction qui se serait chiffrée entre 50 millions $ et 83 millions $ annuellement.

Au terme d’un échange de propos acrimonieux avec Ottawa, le gouvernement québécois a finalement déclaré en septembre dernier qu’il abolirait tous les frais accessoires dès janvier 2017. Voilà donc où nous en sommes aujourd’hui dans ce dossier.

Cette décision est une bonne nouvelle à de nombreux égards.

L’abolition des frais accessoires met un terme à un système injuste et inefficace suivant lequel

le fait d’avoir de l’argent ou une assurance privée permettait à une personne de se faufiler en tête de la file d’attente et de passer devant les autres, peu importe l’urgence de la situation sur le plan médical.

Par ailleurs, les patients avaient du mal à s’y retrouver, car on leur demandait de payer — au moment où ils étaient les plus malades et vulnérables ‒ des frais dont ils ne savaient même pas s’ils étaient autorisés par la loi. Parfois, ces frais variaient énormément, comme l’illustre le célèbre exemple des gouttes pour les yeux vendus par les ophtalmologistes, dont la fourchette de prix s’étendait de 20 $ à 300 $.

Mais le système de santé n’est pas au bout de ses peines pour autant.

Durant les semaines qui ont précédé l’entrée en vigueur du règlement, les syndicats de médecins ont regimbé contre l’abolition des frais accessoires. On rapporte que des médecins ont annoncé leur intention de se désaffilier du système public en guise de protestation; on cite également des témoignages de patients à qui l’on a conseillé de trouver une compagnie qui agirait en leur nom en tant que tiers payeur privé, dans le but de contourner l’interdiction.

On sent un climat d’incertitude et d’appréhension dans la population, car un grand nombre de personnes craignent de se retrouver dans une situation pire qu’avant. Le malheur, c’est que toute cette controverse tient en bonne partie à une question d’argent, plutôt que de soins aux malades.

Il y a si longtemps que les frais accessoires prolifèrent au Québec qu’on ne peut pas évidemment s’attendre à ce que la situation évolue du jour au lendemain — ou sans quelques grincements de dents.

Ce sera maintenant au tour du gouvernement québécois de se présenter au bâton.

Il lui faudra non seulement intensifier ses efforts pour clarifier les choses à la fois pour les patients et les médecins et veiller à faire respecter son règlement, mais il devra aussi assumer de nouvelles responsabilités. À titre d’exemple, pour aider la réforme à passer auprès des médecins qui risquent de subir des pertes financières, Québec leur fournira dorénavant les fournitures médicales qu’ils achetaient autrefois eux-mêmes (et qu’ils facturaient aux patients).

Or, bon nombre de médecins se sont inquiétés du fait que les services pourraient en souffrir, puisqu’ils n’ont toujours pas reçu le matériel promis.

Les enjeux sont de taille.

De nombreux écueils pourraient nuire à l’obtention des résultats escomptés sur le plan de la transparence et de l’équité en matière d’accessibilité. Ce n’est pas seulement l’accès aux services médicalement requis qui est en jeu ici. À terme, l’interdiction pourrait pousser encore davantage de médecins et de patients vers un système de santé parallèle, dans l’éventualité où le gouvernement ne démontrait pas sa volonté ferme d’offrir des services de santé publics de qualité.

 

Amélie Quesnel-Vallée est experte-conseil auprès du site EvidenceNetwork.ca et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politiques et inégalités sociales de santé à l’Université McGill.

Février 2017


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