Une contestation judiciaire intentée en Colombie-Britannique sera entendue sous peu
Une version de ce commentaire est parue dans Le Devoir, Le Huffington Post Québec et Droit-Inc
Selon la plus récente étude réalisée par le Fonds du Commonwealth, le système de santé canadien n’occupe qu’un misérable avant-dernier rang parmi les onze principaux pays industrialisés étudiés. Mince consolation, seuls les États-Unis obtiennent de moins bons résultats. Cette piètre performance apporte déjà de l’eau au moulin de ceux qui cherchent à accroître le rôle du secteur privé dans le système de santé. Ces derniers affirment, comme ils l’ont toujours fait, que si seulement les Canadiens acceptaient un accroissement de la prestation de soins privés, les files d’attente diminueraient et les salles d’urgence se désengorgeraient. Pour les médecins, les infirmières, les patients et le public, l’expansion des services privés ne permettrait peut-être pas de réaliser l’utopie, mais créerait assurément une situation plus avantageuse que celle qui existe à l’heure actuelle.
Il est vrai que le système de santé du Canada est fragmenté et manque de coordination. Trop souvent, des personnes malades passent entre les mailles du filet, et le système échoue lamentablement à traiter les patients atteints de multiples maladies. Et trop souvent, notre système arrive mal à répondre aux préoccupations des patients et de leur famille. Le Canadien moyen pourrait donc être tenté de croire que tous ces appels à la privatisation ne sont pas sans fondement. Mais il n’est pas dit qu’il a raison.
Tout d’abord, ce que ne semblent pas comprendre les commentateurs qui interviennent dans le débat sur le système de santé, c’est que nous offrons déjà au pays une combinaison de services de santé publics et privés. Ce qui distingue le système de santé canadien n’est pas la petite proportion de services privés qu’il comporte, mais plutôt l’importante quantité de soins privés qu’il offre déjà. En effet, les besoins en matière de soins de santé des Canadiens sont couverts par le système public dans une proportion de 70 % seulement, ce qui est très inférieur à ce que l’on constate au Royaume-Uni (84 %), en Norvège (85 %) et même en France (77 %).
De plus, les Canadiens se munissent davantage d’une assurance-maladie privée que les Américains. Comment cela est-il possible?
Notre système de santé n’assure pas une couverture universelle (publique) des médicaments sur ordonnance, contrairement à presque tous les autres pays développés du monde. De plus, le Canada fournit une couverture inadéquate des soins à domicile et des soins de longue durée, lesquels sont couverts de façon plus complète par de nombreux autres systèmes de santé, comme au Japon, en Allemagne, en Belgique et en Suède.
Malheureusement, notre système de santé ressemble plus au système américain que ce que la plupart d’entre nous pourraient croire. En ce qui a trait aux médicaments d’ordonnance et aux soins à domicile et de longue durée, notre approche est la même qu’aux États-Unis : certaines personnes sont couvertes par une assurance-maladie privée à laquelle elles souscrivent par l’entremise de leur employeur, certaines autres, comme les bénéficiaires de l’aide sociale et les personnes âgées, sont couvertes par le gouvernement et, enfin, une grande partie de la population n’est pas assurée du tout.
Notre système est également similaire à celui des États-Unis — et différent de celui de nombreux autres pays qui obtiennent de meilleurs résultats au chapitre des indicateurs de santé — en ce qu’il rémunère les médecins à l’acte. Cela signifie que ceux-ci sont libres de travailler le nombre d’heures qu’ils veulent, aux moments qui leur conviennent et à l’endroit qu’ils choisissent, sans égard aux besoins des patients.
Au lieu de chercher à adopter les politiques des systèmes les plus performants, le Canada semble reculer. En septembre, une contestation constitutionnelle du régime de santé sera entendue par les tribunaux de la Colombie-Britannique. La clinique privée qui intente cette poursuite est résolue à accroître la présence du secteur privé dans le système de santé canadien. Si elle a gain de cause, les médecins seront autorisés à facturer aux patients les montants qu’ils désirent, en plus des sommes qu’ils reçoivent déjà du gouvernement pour certains soins de santé (surfacturation). Les patients qui en ont les moyens pourront souscrire des assurances privées pour couvrir les coûts de cette surfacturation.
Alors où est le problème? Ces mesures rapprocheraient le système de santé canadien encore un peu plus du système de santé le moins efficace de tous les pays développés, soit celui des États-Unis.
L’aspect le plus précieux du système de santé canadien est son engagement à restreindre l’offre privée de soins hospitaliers et médicaux qui sont nécessaires sur le plan thérapeutique. Nous ne laissons pas nos médecins doubler leur rémunération, et nos soins de santé essentiels sont offerts à tous les citoyens, quel que soit leur revenu. Or, c’est cet engagement qui est désormais menacé par la requête déposée en C.-B., et que les auteurs de la poursuite disent être la cause des problèmes qui accablent le système de santé canadien. En cas de résultat favorable de la contestation, certains intérêts privés ne manqueront pas de tirer profit du nouveau système.
Plutôt que de laisser notre régime de santé entrer en concurrence avec le système américain pour la dernière place, nous devrions nous attaquer aux vrais problèmes auxquels ce régime fait face. Nous pourrions commencer par examiner les politiques des systèmes européens qui sont plus inclusifs et performants que le nôtre, notamment les systèmes de santé universels qui englobent l’assurance médicaments, les soins à domicile et les soins de longue durée.
Cette démarche pourrait sembler mal avisée, car le problème est toujours présenté comme étant l’insuffisance de fonds publics pour financer le système. Mais nous savons bien qu’en affaires, il faut parfois dépenser de l’argent au début pour pouvoir faire des économies ensuite. De plus, il nous faut viser à mettre en place des incitatifs dans les secteurs public et privé de notre système de santé pour faire en sorte que des soins adéquats soient offerts en temps opportun à toutes les personnes qui en ont besoin.
Si la contestation constitutionnelle donne lieu à une modification de la loi en Colombie-Britannique, il ne fait aucun doute que les problèmes qu’éprouve le système de santé canadien — fragmentation, manque de coordination, accès insuffisant à certains types de soins importants et temps d’attente élevés pour les personnes qui ne peuvent pas se payer des soins privés — iront en s’aggravant. Quel intérêt peut-il bien y avoir à vouloir occuper la queue du peloton?
Dr Colleen M. Flood est experte-conseil à EvidenceNetwork.ca et professeure à la Faculté de droit, à l’École de politiques publiques et de gouvernance et à l’Institut de gestion et d’évaluation des politiques en matière de santé, à l’Université de Toronto.
Visionnez les trois affiches, 1, 2 et 3 basées sur l’article
Juillet 2014
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