L’investissement public dans l’éducation des enfants, la santé et le logement abordable aident l’économie, confirment des études
Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec
C’est un grand classique de Noël, une histoire de rédemption et de redistribution de la richesse. Un prêteur sur gages a une révélation et découvre l’esprit du don et de la générosité. Cette année, il semblerait que le converti en question soit l’une de nos grandes banques canadiennes. Dans un rapport récent intitulé « Pourquoi lutter contre l’inégalité des revenus au Canada », des économistes de la Banque TD soulignent en effet les risques que présente le creusement du fossé entre riches et pauvres et avancent quelques solides propositions pour renverser cette tendance.
Un message qui vient à point nommé, puisqu’un autre rapport publié cette semaine par l’Institut Broadbent confirme qu’une majorité de Canadiens réclame des mesures pour réduire cet écart, même s’ils sous-estiment son ampleur réelle dans notre pays. Ce regain d’intérêt généralisé pour la redistribution des richesses mérite d’être souligné; l’expression semblait bannie du vocabulaire depuis de nombreuses années et les partis de toutes tendances l’avaient abandonnée.
Même si personne n’en a parlé, une redistribution massive s’opérait néanmoins pendant ce temps au nez et à la barbe de la population, qui allait se traduire par une concentration croissante des revenus et des ressources dans les mains d’un nombre de plus en plus restreint. L’Institut Broadbent rapporte que le 20% des plus riches détiennent aujourd’hui 64% de toute la richesse au Canada. Le phénomène s’est produit tandis qu’on nous serinait que l’inégalité n’était pas réellement une inquiétude; tant et si longtemps que l’économie serait en croissance, les conditions de vie de tous les citoyens allaient s’améliorer.
Il y a quelques années, on a commencé à mettre en doute cette affirmation, notamment parce qu’il est devenu évident que l’inégalité des revenus conduit à une régression des résultats en matière de santé, en particulier chez les moins bien nantis. Les études qui comparent l’espérance de vie en fonction du quartier de résidence, comme le projet Code Red à Hamilton, démontrent que les personnes pauvres vivent souvent une vingtaine d’années de moins que les membres les plus riches de la société.
Les effets négatifs de l’inégalité sur la santé ne se limitent pas aux plus démunis. Comme l’ont montré Richard Wilkinson et Kate Pickett en 2009 dans leur ouvrage The Spirit Level, les personnes qui vivent dans des pays peu égalitaires souffrent de problèmes de santé physique et mentale plus importants qu’ailleurs, et ce, même si elles sont au sommet ou près de l’échelle socioéconomique.
On pourrait ressentir un certain découragement à l’idée que les effets de l’inégalité sur la santé n’inquiètent pas suffisamment les décideurs pour qu’ils changent leurs orientations, mais de nouveaux faits pourraient changer la donne. On constate en effet que dans les pays où l’écart est grand, ce n’est pas seulement l’état de santé des gens qui se dégrade, mais aussi celui des marchés.
L’OCDE rapporte que l’inégalité des revenus n’a jamais été aussi forte en 30 ans et que dans certains pays, cette situation a ralenti la croissance économique par un facteur pouvant aller jusqu’à 10 %. Une étude du FMI publiée en 2014 montre que les politiques de redistribution par le biais des impôts et des transferts ne nuisent pas à l’économie, bien au contraire : ils peuvent améliorer le rendement à long terme. En fait, il semble que les investissements publics dans les garderies et d’autres services sont beaucoup plus efficaces pour stimuler la création d’emplois et la croissance économique que les baisses d’impôt accordées aux entreprises et aux particuliers.
Revenons à notre rapport de la Banque TD. Pour réduire l’inégalité des revenus, ses auteurs recommandent un éventail d’investissements publics, notamment dans le logement abordable, les services sanitaires et sociaux, le développement de la petite enfance et l’abolition des obstacles qui bloquent l’accès aux études postsecondaires, de la formation technique à universitaire. Voilà des propositions encourageantes, puisqu’elles concernent aussi les déterminants sociaux de la santé; cette orientation n’est pas seulement bonne pour l’économie, mais aussi pour la population du pays, ce qui est encore plus important.
Dans l’ensemble, ce sont d’excellentes recommandations. Un point faible cependant concerne l’idée de déterminer l’accès aux programmes sociaux en fonction des revenus. Bien que cette mesure puisse être un moyen de réduire leur coût global, elle peut aussi affaiblir le soutien collectif nécessaire pour les maintenir et nous empêcher d’atteindre les personnes dont on dit qu’elles sont « la face cachée de la pauvreté » – c’est-à-dire des membres de la classe moyenne en perte de vitesse face à l’augmentation constante du coût de la vie. Une meilleure approche serait celle que propose Sir Michael Marmot dans son rapport Fair Society, Healthy Lives, à savoir l’universalité proportionnelle; suivant celle-ci, les prestations sociales s’adresseraient à toute la population, tout en prévoyant un soutien supplémentaire pour les plus démunis.
La lacune la plus manifeste du rapport de la Banque TD ressort dans les recommandations sur le financement des investissements sociaux requis pour réduire les obstacles à la réussite. On évoque avec fort peu d’enthousiasme la possibilité de hausser l’impôt sur le revenu des particuliers du centile supérieur, tout en évitant de parler de l’impôt des entreprises, des rétributions non salariales ou des salaires des chefs d’entreprise, une omission somme toute révélatrice.
Néanmoins, on constate un changement de perspective qui s’accorde bien avec l’esprit de générosité des Fêtes, non seulement dans le rapport de la Banque TD, mais chez de nombreux autres acteurs sociaux. Lorsque les économistes de l’une des cinq plus grandes banques du pays – le plus grand prêteur en fait – adoptent une position aussi radicale sur l’inégalité des revenus, tout porte à croire que les tenants de l’orthodoxie économique ne considèrent plus celle-ci comme une préoccupation marginale.
L’an dernier à la même époque, le ministre conservateur James Moore a laissé transparaître son Scrooge intérieur lorsqu’il a laissé entendre que la pauvreté de l’enfant de son voisin ne le concernait pas et qu’il n’appartenait pas non plus au gouvernement de se soucier du sort des plus démunis au sein de notre société. Comme il est réjouissant d’entendre aujourd’hui des propos qui s’accordent beaucoup mieux avec l’esprit des Fêtes, peu importe si le porteur du message est inhabituel.
Établi à Saskatoon, Ryan Meili est omnipraticien, conseil auprès du site EvidenceNetwork.ca et auteur de l’ouvrage A Healthy Society: How a focus on health can revive democracy. Suivez-le sur Twitter à @ryanmeili.
december 2014
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