En matière de soins de santé, plus ne signifie pas toujours mieux

Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec

Il est aisé de supposer que le véritable problème de notre système de santé consiste en son « manque de ressources » : il n’y a pas assez de médecins, pas assez d’appareils d’imagerie par résonance magnétique, pas assez de fonds.

Toutefois, un nombre grandissant d’études tend à démontrer que plus de soins ne signifie pas toujours de meilleurs soins, et que le choix le plus indiqué ne coïncide pas nécessairement avec le médicament ou le traitement le plus coûteux. Dans les faits, recevoir plus de soins qu’il n’en faut peut être nuisible à la santé et exposer à des risques inutiles, surtout lorsqu’il s’agit de soins dont on n’a pas besoin.

Mais qu’est-ce que la « bonne quantité » de soins?

Obtenir la « bonne quantité » de soins signifie recevoir les soins dont on a besoin, et non des soins inutiles ou excessifs.

Voici quelques exemples : se voir prescrire des antibiotiques pour une infection causée par une bactérie pouvant être combattue à l’aide d’antibiotiques, c’est recevoir la « bonne quantité » de soins. Se voir prescrire des antibiotiques pour une infection virale qui ne peut pas être combattue à l’aide d’antibiotiques, c’est recevoir des soins inutiles. Recevoir des soins préventifs et subir des tests de dépistage en fonction d’observations médicales concrètes et d’un calendrier de soins recommandé pour son âge et son état de santé, c’est recevoir la « bonne quantité » de soins. Recevoir des soins préventifs et subir des tests de dépistage plus souvent que ce qui est recommandé, c’est recevoir des soins excessifs.

Ces exemples semblent relever de la logique la plus élémentaire, mais des études montrent que la quantité de soins prodiguée à des patients ayant des états de santé similaires varie énormément, et ce, en fonction principalement de leur le lieu de résidence.

Depuis plus de 20 ans, des travaux de suivi réalisés dans le cadre du Dartmouth Atlas Project ont permis de relever de très importantes variations dans la distribution et l’utilisation aux États-Unis des ressources consacrées aux soins de santé. Également, les études indiquent invariablement que pour des patients ayant des états de santé comparables, une plus grande quantité de soins, nommément plus de consultations auprès de spécialistes, de tests de diagnostic et de jours d’hospitalisation, ne donne pas nécessairement lieu à de meilleurs résultats, mais pourrait, dans les faits, être nuisible.

Les données observées laissent entendre que l’adoption sécuritaire de pratiques plus modestes permettrait de réduire les coûts du régime d’assurance-maladie américain Medicare de 30 %, ce qui équivaut à une économie de près de 40 milliards de dollars qui pourrait être réalisée grâce à des soins pour le moins tout aussi efficaces.

Qu’en est-il du Canada?  Malgré l’existence de recommandations pour la pratique clinique fondées sur des faits démontrées, des études font état d’importantes variations régionales dans la prestation de soins de santé aux patients souffrant d’affections comme les maladies cardiaques, l’arthrite, l’asthme ou le diabète, ou ayant subi un accident vasculaire cérébral.

Le moins vaut le plus

L’année dernière, dans la revue médicale Archives of Internal Medicine, le Good Stewardship Working Group a publié à l’intention des centres de soins de première ligne des palmarès de cinq soins sous l’intitulé « Less is more » (« Le moins vaut le plus »). Comme le laisse supposer l’intitulé servant à les introduire, ces palmarès énumèrent les cinq principaux tests, médicaments ou interventions qu’un médecin devrait s’abstenir de prescrire à moins de circonstances particulières.

Par exemple, dans le palmarès de cinq soins touchant la médecine familiale, on rappelle aux médecins de ne pas ordonner de test d’imagerie médicale pour une lombalgie à moins qu’il y ait présence de symptômes précis; de ne pas prescrire automatiquement des antibiotiques pour une sinusite légère ou modérée à moins qu’elle ait duré plus de sept jours ou que les symptômes aient empiré après une amélioration; de ne pas ordonner chaque année un électrocardiogramme ou des tests de dépistage des maladies cardiaques chez les patients à faible risque ou ne présentant pas de symptôme de trouble cardiaque; de ne pas effectuer de test de Papanicolaou chez les patientes de moins de 21 ans; de ne pas ordonner d’absorpsiométrie de photons x à deux longueurs d’onde pour le dépistage de l’ostéoporose chez les femmes de moins de 65 ans et les hommes de moins de 70 ans ne présentant aucun facteur de risque.

On rappelle aussi aux pédiatres de ne pas prescrire d’antibiotiques pour une pharyngite à moins que des tests aient montré la présence chez l’enfant d’un streptocoque; de ne pas ordonner d’imagerie diagnostique pour une blessure mineure à la tête à moins d’une perte de conscience ou de la présence d’autres facteurs de risque; de conseiller à leurs patients de ne pas utiliser de médicaments contre le rhume et la toux, puisqu’il existe d’une part peu de preuves que ces médicaments permettent de réduire les symptômes, et parce que ces médicaments posent d’autre part des risques importants, y compris la mort.

Ces listes constituent des documents de référence que les médecins peuvent consulter facilement afin de s’assurer de prodiguer la bonne quantité de soins au bon patient. Cependant, elles ne sont pas toujours consultées comme elles le devraient.

L’utilisation à bon escient de chaque dollar dépensé en soins de santé

Nombre de facteurs médicaux contribuent à déterminer la quantité de soins prodiguée à un patient, comme la gravité de son état de santé et le jugement clinique du médecin. Par contre, il existe également plusieurs facteurs non médicaux jouant un rôle essentiel à ce titre, notamment une culture médicale encourageant la prescription de tests et d’interventions sans tenir compte de leur véritable nécessité, le mode de rémunération des médecins à l’acte, qui favorise le volume au détriment de la qualité, une trop grande accessibilité des ressources de soins de santé comme les lits d’hôpital, les spécialistes, les tomodensitomètres et les imageries par résonance magnétique, et enfin, dans une moindre mesure, la demande des patients eux-mêmes.

Or, comme les fonds pouvant être dépensés en soins de santé ne sont pas illimités, il est impératif de déterminer si chaque dollar investi est utilisé à bon escient.

Nous devons, par exemple, repérer les régions où les médecins prescrivent des antibiotiques aux enfants de façon beaucoup plus fréquente qu’ailleurs, et donner aux associations de médecins et aux autorités médicales de ces régions le mandat de s’interroger sur les raisons expliquant l’existence de taux de prescriptions d’antibiotiques aussi élevés.

Le même questionnement devrait s’imposer pour les taux élevés de rayons X, d’électrocardiogrammes, d’imageries par résonance magnétique, de tomodensitomètres, de tests en laboratoire, de tests de dépistage de l’antigène prostatique spécifique, de tests de Papanicolaou chez les jeunes filles, de même que pour les taux élevés de césariennes de convenance, d’hystérectomies et d’autres opérations chirurgicales électives courantes.

Parce que plus de soins que le nécessaire, ce n’est pas seulement coûteux, c’est également et trop souvent nuisible pour la santé.

Thérèse A. Stukel œuvre à titre d’experte-conseil auprès d’EvidenceNetwork.ca, est scientifique principale à l’Institut de recherche en services de santé et est professeure en évaluation et gestion des politiques de santé à la faculté de médecine de l’Université de Toronto. Noralou Roos est une professeure à la faculté de médecine de l’Université du Manitoba et co-fondatrice d’EvidenceNetwork.ca.

juin 2012

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