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Les femmes ont raison de ne plus savoir si elles devraient passer ou non des mammographies de dépistage. Depuis deux générations, on leur dit que cet examen sauve des vies. Les professionnels de la santé et les programmes de santé publique les ont bombardées de messages qui les pressent de s’y plier, du genre : « Passez régulièrement une mammographie, à défaut de quoi ce ne sont pas seulement vos seins qu’il faudra examiner »; « À l’occasion de la fête des Mères, donnez la vie en cadeau : offrez une mammographie à votre mère »; « Les mammographies permettent de détecter un cancer du sein à un stade guérissable ». Les organismes et les ministères responsables de la santé appuient le dépistage du cancer du sein avec enthousiasme, car il leur permet de démontrer que la santé des femmes les préoccupe.

Lorsque la mammographie a été introduite dans les années 1970, il y avait de bonnes raisons d’espérer qu’elle jouerait un grand rôle dans la lutte contre le fléau du cancer du sein et que le diagnostic et le traitement précoces permettraient d’épargner de nombreuses vies.

Depuis lors, une énorme industrie s’est développée, à laquelle participent médecins, radiologues, techniciens et fabricants d’appareils. Dès le début, on connaissait bien les nombreux effets néfastes des mammographies, mais on considérait généralement qu’ils étaient acceptables en regard de la possibilité de sauver des vies. Avec le recul, il s’agissait d’une erreur.

Ce n’est que tout récemment, cependant, qu’on a fini par admettre à quel point ces effets dépassaient les avantages éventuels, par les quantifier et en parler publiquement.

Bon nombre d’experts indépendants, dont le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs, la U.S. Agency for Health Care and Quality et la Collaboration Cochrane ont exposé clairement les faits. Il faut dire que les débats sur les résultats relatifs et absolus en matière de taux de mortalité ne contribuent pas à améliorer la compréhension des membres du public sur ces questions. Le moyen le plus facile d’expliquer les résultats est d’illustrer ce qui se produit au sein d’une vaste cohorte de femmes, disons 2 000, qui ont passé une mammographie régulière depuis dix ans.

Parmi celles-ci, une femme verra sa vie prolongée, tandis que 700 autres obtiendront un résultat faussement positif au moins une fois, avec l’anxiété et les examens supplémentaires que cela suppose. De 70 à 80 femmes subiront une biopsie inutile et au moins 10 recevront un diagnostic et des traitements pour un « cancer » qui ne se serait jamais développé de toute façon.

Par ailleurs, plusieurs femmes obtiendront un résultat faussement négatif, l’examen n’ayant pas permis de détecter un cancer qui se manifestera peu de temps après.

Le cancer du sein peut être une maladie dévastatrice. La plupart des femmes connaissent une amie ou une parente qui a été traitée avec succès après avoir bénéficié d’une mammographie. La réalité cruelle, c’est que le dépistage n’a une incidence sur le résultat final que trop rarement.

Une seule femme sur 2 000 en profite, alors que 800 autres subissent des torts.

Devant la confusion et les avis divergents sur le sujet, que faire? Il nous faudra décider, en ce qui touche le financement des programmes, s’il faut tenir compte des résultats concordants des experts indépendants sur cette question ou de l’avis de personnes qui détiennent des intérêts substantiels dans l’industrie du dépistage. John Maynard Keynes, l’économiste renommé, est célèbre pour avoir répondu de la façon suivante à un critique qui l’accusait d’avoir changé d’opinion sur un sujet controversé : « Quand les faits changent, je change d’idée. Et vous, monsieur, que faites-vous? »

Il faudra peut-être beaucoup de temps avant qu’on cesse d’alimenter les faux espoirs qui ont été donnés aux femmes. Il faudra envisager une campagne d’éducation afin que les preuves scientifiques soient connues du plus grand nombre. Entretemps, il est plus que nécessaire de remplacer le discours de persuasion actuel par la présentation honnête et équilibrée des faits.

Il faut soupeser les avantages et les torts associés à toute intervention médicale; dans le cas des mammographies de dépistage, la balance penche aujourd’hui nettement du côté des torts.

À tout le moins, on devrait faire signer aux femmes qui vont passer une mammographie un formulaire de consentement résumant les faits en langage clair et accessible, tandis que l’on planifiera une réaffectation graduelle des ressources.

Certaines femmes décideront peut-être de poursuivre le dépistage régulier en dépit de cette information. Malheureusement, nous savons aujourd’hui que la mammographie ne se qualifie plus comme programme de dépistage universel acceptable : pour cela, il faudrait que ses bienfaits soient importants et ses effets néfastes négligeables, ce qui n’est pas le cas.

Le Dr Wright est expert-conseil auprès du site EvidenceNetwork.ca, une source exhaustive d’information non prtisane sur les enjeux de la santé au Canada, qui s’adresse aux journalistes. Il est également conseiller auprès du Conseil canadien de la santé.

janvier 2012


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