Les enfants privés du soutien intellectuel et émotionnel des proches qui en prennent soin risquent de moins réussir
Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec
Plus d’un enfant canadien sur sept vit dans la pauvreté. Ce chiffre augmente constamment depuis les années 1990 et comporte des conséquences très réelles, tant sur le plan sociale qu’économique. Les enfants qui grandissent dans la pauvreté souffrent d’un nombre disproportionné de problèmes de santé, sont moins scolarisés et sont plus à risque d’être pauvres lorsqu’ils seront adultes. Cette situation nuit à notre économie et entraîne une hausse des taux de criminalité et de chômage ainsi que des coûts dans le domaine de la santé, sans compter une perte des revenus d’impôts et la détérioration du filet de sécurité sociale.
Selon les calculs, la pauvreté coûte au Canada 72 à 84 milliards de dollars par année, ce qui représente annuellement entre 2 299 $ et 2 895 $ pour chaque Canadienne et Canadien.
Malheureusement, la pauvreté est aussi complexe que coûteuse, et nos tentatives de l’enrayer ont donné des résultats mitigés. Mais il y a de l’espoir. Au fur et à mesure que nous comprenons davantage les liens entre la pauvreté infantile et ses conséquences néfastes, notamment les facteurs déterminants, il est possible d’élaborer des solutions réelles et durables.
Dans notre livre nouvellement publié, intitulé Scientific Parenting (2013, Dundurn), nous proposons une récente méta-analyse publiée par Nicole et son équipe, qui se penchent sur les résultats de toutes les études recensées portant sur le lien entre la situation socioéconomique des familles et le développement intellectuel et comportemental de leurs enfants. À première vue, la pauvreté semble avoir un impact sur leurs comportements et leur performance à l’école. Mais ce lien diminue au fil des analyses.
Les véritables causes sont multiples, mais la plupart des facteurs, comme le milieu familial, l’attention parentale, la discipline, la sécurité au sein de la communauté, la dépression postpartum, la présence d’un taux de stress élevé, le soutien familial et l’exposition à la violence, sont liés à la qualité de vie au sein du foyer, ou plus précisément aux parents. Peu importe le budget familial, les enfants ayant des proches qui prennent soin d’eux de façon aimante et engagée se portent mieux que les enfants qui en sont privés.
Évidemment, la pauvreté entraîne de nombreux défis supplémentaires pour les parents. En situation de pauvreté, la satisfaction des besoins, même de base, tels se nourrir, se vêtir, se loger, constitue un défi important. Il reste très peu de temps et d’énergie pour répondre aux besoins intellectuels et émotionnels, lesquels peuvent être difficilement cernables, voire invisibles. Toutefois, ces besoins, invisibles ou non, sont des éléments essentiels dans le développement à long terme des enfants. Une incapacité à répondre à ces besoins peut causer d’énormes préjudices.
De ce point de vue, le plus grand défi auquel font face les enfants n’est pas la pauvreté monétaire mais plutôt la pauvreté relationnelle.
La pauvreté relationnelle, c’est l’absence de soutien intellectuel et émotionnel de la part des proches qui prennent soin d’un enfant. Les interactions, l’affection et le jeu sont essentiels à la stimulation du cerveau du petit, lequel croît à une vitesse inégalée comparativement aux autres étapes de vie ultérieures. Cette poussée de croissance neurologique permet à l’enfant de développer de nouveaux comportements et habiletés à une vitesse phénoménale. Elle le rend aussi plus vulnérable au stress, des incidents mineurs pouvant laisser des marques profondes dans son esprit malléable.
La présence d’adultes soutenants agit comme une sorte de tampon et protège les jeunes enfants sur le plan psychologique jusqu’à ce que leur croissance neurologique ralentisse et que leur cerveau se stabilise. Le problème, c’est que les enfants qui sont situés sur l’extrémité faible du continuum socioéconomique risquent davantage d’être privés d’un tel soutien et de vivre des niveaux de stress quotidien toxiques, une réalité qui explique pourquoi pauvreté rime souvent avec piètres résultats chez les enfants.
Mais il peut en être autrement.
Les proches qui prennent soin des enfants n’ont pas besoin d’être riches pour leur apporter un bon soutien. Une figure adulte solide et soutenante peut aider un enfant à composer avec un milieu malsain. Cette figure peut être une personne autre que la mère ou le père (bien que ceux-ci soient en position d’exercer une influence positive). Un grand-parent, une tante, un ami de la famille, même une enseignante dévouée peut avoir un effet concret et durable sur le développement d’un enfant.
Des études démontrent que la présence d’un lien solide avec un adulte constitue un indicateur de succès fiable chez les enfants de familles pauvres.
Afin de prévenir les effets socioéconomiques de la pauvreté infantile, nous devons travailler avec les familles défavorisées. Il est impératif de changer les politiques publiques pour mieux répondre aux besoins fondamentaux en matière de sécurité d’emploi, de salaires et de logement. Il serait aussi utile d’aider les parents à composer avec certaines conditions liées à la pauvreté, comme les problèmes de santé mentale et de toxicomanie.
Il importe aussi de mettre sur pied des programmes qui portent particulièrement sur les compétences parentales.
Nous avons besoin d’un système d’approche postanale qui soit davantage proactif et qui enseigne les compétences de base nécessaire pour être parent et créer des liens avec l’enfant, un programme qui peut rejoindre les parents à la maison si nécessaire et qui peut être façonné selon les besoins de diverses familles. Si nous mettons de telles initiatives en place, un plus grand nombre d’enfants de foyers peu nantis acquerront les outils nécessaires pour briser le cycle de la pauvreté.
Une plus grande possibilité de réussir signifie une plus grande possibilité de contribuer. Plus les conditions favoriseront la croissance des enfants, mieux s’en portera la population de notre pays, qui sera plus forte, plus heureuse et plus épanouie, et plus le bien-être de notre collectivité s’améliorera.
Nicole Letourneau œuvre à titre d’experte-conseil auprès d’EvidenceNetwork.ca et est professeure aux facultés des sciences infirmières et de médecine. Elle est également titulaire de la chaire de la fondation Norlien/Alberta Children’s Hospital œuvrant en santé mentale des parents et des enfants, à l’Université de Calgary. Justin Joschko est rédacteur pigiste et vit actuellement à Ottawa. Ils sont co-auteurs d’un livre intitulé Scientific Parenting, récemment paru aux éditions Dundurn Press.
octobre 2013
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