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Les arthroplasties de la hanche et du genou : une industrie d’un milliard de dollars par année au Canada

Les arthroplasties, ou remplacements articulaires, de la hanche et du genou comptent parmi les interventions médicales les plus économiques et elles procurent à la grande majorité des personnes qui les subissent une bien meilleure qualité de vie. Elles figurent également parmi les chirurgies les plus populaires. Vous serez peut-être surpris d’apprendre que les 75 000 remplacements articulaires effectués chaque année au Canada, au coût estimatif de 15 000 $ chacun, coûtent au régime de santé publique environ 1 125 milliards de dollars annuellement — ce qui n’est pas peu dire.

Les dépenses ne s’arrêtent pas là : au cours de la première année suivant une arthroplastie non urgente de la hanche ou du genou, le recours à l’hospitalisation peut augmenter d’au moins 50 %. Dans les quinze années suivant la chirurgie, environ 10 % des remplacements de hanche et de genou doivent être refaits en raison de l’usure, d’une dislocation, d’une infection ou d’autres problèmes.

Alors vous serez peut-être aussi surpris d’apprendre que cette industrie d’un milliard de dollars par année — avec des dépenses de suivi — dispose de mécanismes insuffisants ou inadéquats de surveillance et d’évaluation des prothèses. Ainsi, aucun mécanisme n’est en place pour faire le suivi du rendement clinique des nouvelles prothèses mises en marché, il est toujours difficile de prédire qui réagira bien (ou mal) à la chirurgie, et la capacité de rappeler les prothèses défectueuses est toujours très limitée.

Nous savons que cela peut— et devrait — être fait. Après tout, l’industrie automobile fait déjà tout ça très bien.

Il est facile d’obtenir les spécifications exactes des produits d’un fabricant automobile; le prix de gros des concessionnaires est rapidement accessible en ligne; les organisations comme Consumer Reports et JD Power fournissent des évaluations prospectives indépendantes de la qualité des véhicules; les concessionnaires d’automobiles ne cessent de bombarder les nouveaux acheteurs de sondages de satisfaction; les fabricants surveillent de près les réparations couvertes par la garantie afin de relever tous les problèmes de conception ou de fabrication; et les clients sont rapidement avisés en cas de rappel de leur véhicule.

Ce genre de boucle de qualité n’existe pas pour les prothèses de hanche et de genou alors qu’elle le devrait.

Actuellement, les nouvelles prothèses sont mises à l’essai par les fabricants dans leurs propres laboratoires et les résultats sont soumis aux organismes de réglementation dans le cadre d’un processus où de façon générale, il n’est pas nécessaire d’avoir soumis les prothèses à des essais cliniques si elles sont suffisamment semblables à des prothèses déjà existantes.

Les coûts des prothèses, même s’ils sont généralement bas au Canada, peuvent varier d’un hôpital à l’autre ainsi que d’une région à l’autre, et les conventions d’achat interdisent généralement la communication des renseignements relatifs aux prix. Les données sur les résultats d’une arthroplastie par chirurgien ou chirurgienne, ou par hôpital n’existent généralement pas, ne sont pas accessibles ou n’existent pas sous une forme compréhensible pour la personne qui a subi une chirurgie ni celle qui l’a effectuée.

Le peu de données qui existent sur l’avantage clinique et la longévité d’une prothèse de hanche ou de genou sont généralement tirées de petites études réalisées par des centres hautement spécialisés où on peut s’attendre à des résultats supérieurs à la moyenne ou de grands registres nationaux (d’autres pays que le Canada) qui ne suivent que la longévité de la prothèse.

Si on se rend compte qu’une certaine prothèse de la hanche ou du genou présente un problème, on devra généralement déterminer quels patients l’ont reçu et communiquer avec ces personnes en passant en revue les dossiers d’hôpital un par un. Ce processus est assurément sujet à l’erreur et rend les patients et les chirurgiens vulnérables.

On peut s’attaquer à tous ces problèmes, qui peuvent être très couteux pour le régime de santé publique et nuire à la qualité de vie des patients.

Les organismes de réglementation comme Santé Canada et la FDA aux États-Unis peuvent exiger que les nouvelles prothèses fassent l’objet de tests à l’usure indépendants et que l’on fournisse à leur égard des données cliniques tirées d’essais bien construits afin d’assurer au moins l’équivalence clinique des nouvelles prothèses avec celles qui existent déjà.

Tous les hôpitaux au Canada devraient envoyer leurs données sur les arthroplasties de la hanche et du genou au Registre canadien des remplacements articulaires (RCRA) afin que la longévité des divers types de prothèses utilisées au Canada puisse être surveillée.   Cette mesure sera très utile pour aider à déterminer rapidement les prothèses de meilleure qualité et celles de qualité inférieure, et renseignera sur l’effet des caractéristiques des fournisseurs et des patients sur les résultats.

L’Ontario a rendu la participation au RCRA obligatoire, tandis que la C.-B. et le Manitoba comptent lui emboîter le pas. Les autres provinces doivent faire de même.

L’information sur les coûts des prothèses doit aussi être plus transparente; les prix des modèles semblables ne devraient pas varier selon l’hôpital ou le fabricant. Enfin, les hôpitaux et les chirurgiens et les chirurgiennes doivent s’assurer que des données de qualité sur les soins fournis sont recueillies automatiquement et servent à l’amélioration continue de la qualité. Divers établissements au Canada ont déjà commencé à le faire, mais il faut qu’un plus grand nombre s’y mettent aussi. Le RCRA a commencé à produire des rapports spécifiques à une région ou à un hôpital, mais la contribution à ces rapports doit être accrue en rendant obligatoire la collecte des données partout au Canada.

Les arthroplasties de la hanche et du genou sont parmi les interventions médicales qui affichent les plus hauts taux de réussite. Avec un peu d’efforts concertés, nous pouvons continuer d’améliorer leur qualité et leur accessibilité pour tous les Canadiens et les Canadiennes.

Eric Bohm est expert-conseil à EvidenceNetwork.ca et chirurgien orthopédiste au Concordia Joint Replacement Group à Winnipeg, au Manitoba. Il est également professeur agrégé à l’Université du Manitoba. 

mai 2012


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