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Nous avons beaucoup à perdre à retoucher la Loi canadienne sur la santé

Les appels à remanier certaines des dispositions de la Loi canadienne sur la santé reviennent de manière récurrente depuis des années. Tout récemment, un rapport de l’Institut Macdonald-Laurier (IML) largement diffusé a plaidé en faveur de l’élimination ou de l’assouplissement d’une partie du contenu de cette loi. Pourquoi? Afin d’accorder aux provinces une marge discrétionnaire accrue pour réformer leurs systèmes de santé – un argument maintes fois entendu.

En réalité, cependant, les provinces disposent déjà de plusieurs leviers pour entreprendre, si elles le désirent, un large éventail de réformes dans le domaine de la santé.

Ce dont on parle moins, c’est de tout ce que l’on risque de perdre si certains des principes de la Loi canadienne sur la santé sont atténués ou complètement abandonnés.

Le rapport Macdonald-Laurier demande expressément l’abandon de deux des cinq principes énoncés dans la Loi : premièrement, la condition exigeant que les régimes d’assurance-maladie provinciaux soient gérés par une autorité publique; deuxièmement, l’interdiction des frais modérateurs. Les trois autres principes – l’universalité du régime, son intégralité, soit l’assurance complète de tous les services fournis par les hôpitaux et les médecins, et sa transférabilité interprovinciale – resteraient inchangés.

La Loi rend l’octroi de fonds fédéraux aux provinces et aux territoires conditionnel à leur respect des cinq grands principes. Une fois admis ces principes, les provinces et territoires ont la liberté de concevoir les systèmes de leur choix pour répondre à leurs besoins respectifs.

La Loi canadienne sur la santé est ainsi un énoncé de valeurs nationales qui réunit 13 systèmes quelque peu disparates au sein d’un précieux programme national. Par rapport à la plupart des comparateurs internationaux, et selon l’opinion publique canadienne, elle fonctionne assez bien la plupart du temps.

Dans ce cadre national, les provinces ont un immense champ d’action en ce qui a trait à la manière d’organiser, de coordonner et de gérer la prestation des services, au mode et au montant de la rémunération de leurs médecins et autres professionnels de la santé, au mode de financement de leurs hôpitaux et autres institutions, au niveau de leurs dépenses en santé et même, dans une certaine mesure, à la définition des services à fournir.

En effet, tout en respectant les principes de la Loi, les provinces ont déjà investi dans une grande diversité d’innovations à titre de projets pilotes, et souvent avec des résultats très positifs. Les provinces font peut-être face à des difficultés lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre à grande échelle des réformes prometteuses, mais l’obstacle ne réside pas dans l’absence de marge de manœuvre pour innover.

De nombreux leviers sont donc déjà à la portée des provinces pour améliorer notre système de santé. Qu’est-ce que mettrait en danger l’abandon des deux principes que certains veulent éliminer de la Loi?

Premièrement, concernant l’exigence d’une gestion des régimes par une autorité publique, il est important de souligner que cette condition s’applique uniquement au financement des services assurés – elle ne traite pas des fournisseurs. On retrouve déjà plusieurs fournisseurs privés dans tous les systèmes de santé provinciaux, ce qui comprend la majorité des médecins, des laboratoires de diagnostic et même certains établissements de type hospitalier. Rien dans la clause relative à la gestion publique n’empêche les provinces d’aller de l’avant en ce sens si elles le souhaitent.

La disposition relative à la gestion par une autorité publique exige uniquement que tous les fournisseurs de services assurés soient payés à même le Trésor provincial. C’est cette disposition qui est à l’origine du fameux système « à payeur unique », dont l’efficacité sur le plan administratif a été vantée avec raison par la plupart des analystes, ici au Canada et à l’échelle internationale. Il ne faudrait pas que nous perdions cet atout dans la quête inutile d’un pouvoir discrétionnaire accru des provinces en matière de politiques santé.

Des critiques, dont le rapport de l’IML, soulignent que certains pays européens permettent à leurs citoyens de recourir à d’autres régimes d’assurance. La plupart de ces régimes, toutefois, ne correspondent pas aux « assurances privées » telles que les conçoivent les Canadiens, mais sont le plus souvent des groupements de coassurance ou des coopératives d’assurance sans but lucratif. Dans tous les cas, ils sont strictement réglementés.

Les critiques en faveur des frais modérateurs font régulièrement valoir que cette mesure allégerait le fardeau fiscal et découragerait jusqu’à un certain point les demandes de services non pertinentes. Mais aucune preuve solide n’a permis d’établir que les frais modérateurs ne se limiteraient pas à réduire la part des coûts assumée par les contribuables les plus en santé et les plus riches pour la faire porter par les utilisateurs les plus malades et les plus pauvres. En fait, absolument rien ne prouve que les frais modérateurs réduisent le recours inutile à des services de santé. Il est tout aussi probable que les utilisateurs « légitimes » reportent leurs démarches en vue d’obtenir des soins appropriés jusqu’à ce que leur état s’aggrave, en entraînant des complications et des coûts accrus – qui devront être assumés en puisant dans les deniers publics.

En fin de compte, le risque réel, c’est que le régime d’assurance-maladie devienne bientôt un programme public destiné à la partie de la population ayant les revenus les plus bas ainsi qu’aux personnes dont les besoins en matière de santé sont les plus grands et les plus complexes (ces deux groupes se chevauchant largement). Les personnes à revenu élevé se tourneraient rapidement vers une autre avenue : l’achat des produits qui leur conviennent sur le marché privé des soins de santé, accompagné d’une réduction de leur contribution fiscale au maintien du système public.

Dès lors, qui pourrait encore croire en la préservation d’un système public de haute qualité?

Allan Maslove est conseiller expert associé au réseau EvidenceNetwork.ca et professeur émérite à l’École d’administration et de politiques publiques de l’Université de Carleton.

juillet 2012


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