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Il est temps de reconnaître les faits

On nous répète souvent la phrase suivante : « La détection précoce sauve des vies ».  Elle se veut une garantie que le dépistage permet de réduire le nombre de morts liées au cancer du sein.

Or, bien que cette affirmation soit dans les faits exacte, il n’en demeure pas moins que sur un nombre de dix femmes qui sans dépistage seraient destinées à mourir du cancer du sein, sept ou huit d’entre elles en mourront tout de même, malgré un dépistage de la maladie. C’est ce que veut dire une réduction de 20 % à 30 % du taux de mortalité associé au cancer du sein.

Après une évaluation des données accumulées depuis plus de trente ans, le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs a calculé qu’il faillait que tous les deux ans 2 100 femmes âgées de 40 à 49 ans subissent un examen de dépistage durant une période de onze ans afin d’éviter la mort à une femme atteinte du cancer du sein. Cette estimation concorde avec les recommandations publiées par la United States Preventive Services Task Force en 2009.

L’évaluation de ce gain minuscule (0,05 %) doit par ailleurs tenir compte de l’inconvénient que pose la pratique du dépistage chez les femmes de 40 à 49 ans. Au bas mot, parmi les 2 099 femmes ne tirant aucun avantage d’un examen de dépistage, 700 recevront un résultat de mammographie faussement positif, ce qui entraînera chez elles une angoisse injustifiée et les obligera à subir des examens d’imagerie médicale ainsi que des biopsies intrusives et douloureuses inutiles, pour se faire dire en fin de compte qu’elles n’ont pas le cancer.

Cet inconvénient est encore pire pour les dix à quinze femmes qui recevront un faux diagnostic de cancer du sein. Elles devront alors souffrir les tourments d’un traitement non nécessaire : chirurgie, rayonnement et chimiothérapie, en plus de porter en elles la peur constante de mourir d’un cancer dont elles ne sont en réalité pas atteintes.

Tout n’est pas noir cependant, car un nombre croissant de données indiquent qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer de façon automatique des mammographies afin de sauver ne serait-ce qu’une seule vie.

On observe en effet un déclin des morts attribuables au cancer du sein dans des pays où il n’y a pas de dépistage systématique de cette maladie. De nombreuses études ont également démontré que le taux de mortalité par cancer du sein a commencé à reculer dans divers pays dès les années 1985-1990, c’est-à-dire avant la mise sur pied de programmes de dépistage.

On a en outre relevé que la baisse du taux de décès liés au cancer du sein est sensiblement la même avec ou sans programme de dépistage. Par exemple, au Royaume-Uni et en Europe, où le dépistage est offert uniquement aux femmes de 50 ou plus, le taux de mortalité chez les femmes de 40 à 49 ans a connu une diminution allant jusqu’à 37 %.

Il est aussi remarquable de constater qu’il y a eu une baisse du taux de mortalité chez les femmes de 30 à 39 ans, qui sont trop jeunes pour participer à un programme de dépistage.

Malgré ces données provenant de plusieurs pays occidentaux, notamment les États-Unis, les défenseurs des programmes de dépistage persistent toutefois à attribuer le déclin observé du taux de mortalité aux examens de dépistage, plutôt qu’à l’accroissement de l’efficacité des traitements. Dans les faits, les données indiquent assez clairement que ce sont les traitements, et non le dépistage, qui sont responsables de la baisse du taux de mortalité.

Un autre fait que certains ont peine à accepter est que le dépistage n’a en rien contribué à diminuer le nombre de cas de cancers de stade avancé dans les pays développés, alors qu’il s’agit du principal avantage qu’est censée apporter la pratique du dépistage.

De façon inattendue, le dépistage a même causé une augmentation globale de l’incidence du cancer du sein, à la fois sous sa forme envahissante et sous la forme d’un carcinome canalaire in situ.  Cette augmentation est largement attribuable aux faux diagnostics, qui, selon les chercheurs n’œuvrant pas dans de l’industrie de l’imagerie médicale, représentent entre 20 % et 50 % des cancers du sein décelés lors d’un examen de dépistage.

Les invitations à passer un examen de dépistage promettent qu’une détection précoce entraînera nécessairement une chirurgie moins radicale, parce que la tumeur sera plus petite. Or, le risque d’une mastectomie (ablation complète du sein) est jusqu’à 20 % plus élevé chez les femmes dont le cancer a été détecté au moyen d’un examen de dépistage que chez les femmes appartenant à des populations comparables où n’est offert aucun programme de dépistage.

Dans les pays où des programmes de dépistage ont été mis sur pied, par exemple le Royaume-Uni, les défenseurs de ces programmes font généralement valoir que le taux de mastectomie est moins élevé chez les femmes qui ont subi un examen de dépistage que chez celles qui ont refusé ce type d’examen. Cette comparaison n’est toutefois pas valable d’un point de vue scientifique, car elle ne tient pas compte du fait que les femmes qui se rendent dans une clinique pour un dépistage sont généralement plus soucieuses de leur santé, plus riches et plus en maîtrise d’elles-mêmes, c’est-à-dire de façon générale plus en santé que celles ne participant pas aux programmes de dépistage. Il ne s’agit donc pas de deux populations comparables.

Les défenseurs de la pratique du dépistage prétendent aussi qu’une détection précoce permet d’accroître le temps de survie. Dans les faits, une détection précoce ne peut, par rapport à une détection faite plus tard en clinique, qu’augmenter le nombre d’années durant lesquelles une femme vivra avec la conscience d’être atteinte d’un cancer du sein. En effet, si la femme décède de son cancer, une détection précoce ne lui aura en rien permis de gagner des années supplémentaires de vie.

L’évaluation des avantages du dépistage devrait avoir pour principale conclusion que cette pratique entraîne une diminution du taux de mortalité attribuable au cancer du sein ou, encore mieux, attribuable à toute cause. Il n’a toutefois jamais été démontré que le dépistage permettait réellement de réduire le taux de mortalité en général. De plus, lorsque des femmes reçoivent un faux diagnostic de cancer du sein, elles sont tout aussi faussement considérées comme des survivantes à long terme de la maladie.

Finalement, au cœur de cet ensemble de données qui sont aussi probantes que complexes, il y a la question des conflits d’intérêts, qu’on se saurait passer sous silence. Depuis des décennies, l’industrie de l’imagerie médicale critique vertement sur la place publique chaque groupe de spécialistes qui ose évaluer l’efficacité du dépistage précoce, comme l’ont fait les NIH Consensus Conferences, la Cochrane Collaboration, le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs et la United States Preventive Services Task Force (tous des groupes indiscutablement objectifs, multidisciplinaires et composés d’experts). Les recommandations formulées par ces groupes étaient en contradiction avec les intérêts de l’industrie.

Il n’est donc pas étonnant que le public ait de la difficulté à s’y retrouver.

La vérité qui se dégage de quarante ans de recherche de qualité est aujourd’hui sans ambiguïté possible : les effets bénéfiques possibles du dépistage par mammographie sont minimes, alors que les inconvénients sont considérables pour tous les groupes d’âge, et plus particulièrement celui des femmes dans la quarantaine.

En un mot, le dépistage par mammographie, dont l’objectif est de faire diminuer le nombre de décès liés au cancer du sein grâce à un dépistage précoce de la maladie, n’ajoute rien à l’efficacité des traitements et d’une sensibilisation accrue.

Cornelia Baines est professeure émérite à la Dalla Lana School of Public Health de l’Université de Toronto et œuvre à titre d’experte-conseil auprès d’EvidenceNetwork.ca, une ressource en ligne complète et indépendante mise sur pied afin d’aider les journalistes à mieux couvrir les enjeux liés à la santé au Canada.

janvier 2012


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