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Réduction de la période maximale d’amortissement des prêts hypothécaires : une bonne politique publique

Le Canada pourrait-il tomber dans le même piège que celui dans lequel s’est retrouvée l’économie américaine en 2008-2009? Certains experts sonnent l’alarme, du moins dans le domaine de l’immobilier.

Le gouvernement canadien est manifestement préoccupé par le niveau élevé d’endettement des ménages moyens au Canada. Pour lutter contre ce problème, le ministre des Finances Jim Flaherty a annoncé une mesure faisant en sorte que les Canadiens qui ne sont pas en mesure de verser une mise de fonds correspondant à 20 % de la valeur de la maison qu’ils souhaitent acheter devront désormais amortir leur prêt hypothécaire sur une période maximale de 25 ans, c’est-à-dire une période plus courte que ce que prévoit le plafond actuel, qui est de 30 ans.

L’annonce a reçu un accueil mitigé et a même été vertement critiquée par certains, qui se sont dits inquiets de voir la nouvelle mesure accroître considérablement la difficulté des jeunes générations à acheter une première maison.

Toutefois, réduire la période maximale d’amortissement d’un emprunt hypothécaire, c’est non seulement une bonne politique publique, en ce que cela permet de calmer le jeu de la spéculation dans le secteur de l’immobilier sans pour autant étouffer l’industrie de la construction résidentielle, mais c’est également une excellente mesure pour les propriétaires canadiens en général. Voici pourquoi.

Aux États-Unis, les banques et les établissements de crédit se sont adonnés avant 2008 à deux pratiques pour le moins inappropriées dans le marché de l’immobilier et des prêts hypothécaires, avec l’accord tacite d’un gouvernement qui espérait en laissant libre cours à ces pratiques favoriser l’accès à la propriété de la population américaine à faible revenu. La première de ces pratiques consistait à offrir des taux hypothécaires promotionnels peu élevés, pour ensuite augmenter ceux-ci une fois la promotion arrivée à échéance, d’une à trois années plus tard. La seconde consistait à accepter des emprunts hypothécaires dont le rapport prêt-valeur était très élevé, parfois même de 100 %. Ces pratiques ne posaient aucun problème aux propriétaires ni aux banques, tant et aussi longtemps que les revenus et la valeur des maisons augmentaient.

Or, en 2008, la croissance des salaires et du prix des propriétés s’est abruptement interrompue.

Ainsi, lorsque les propriétaires ayant bénéficié d’un faible taux promotionnel ont vu celui-ci arriver à échéance, nombre d’entre eux se sont trouvés dans l’incapacité d’assumer les versements plus élevés associés à leur nouveau taux hypothécaire. Une multitude d’Américains ont donc dû se défaire de leur hypothèque et, par le fait même, de leur maison.

Quant aux acheteurs ayant financé un pourcentage très élevé de leur maison au moyen de leur prêt hypothécaire, la chute du prix des maisons a entraîné une dépréciation de leur propriété en deçà du montant de leur hypothèque, de sorte qu’ils se sont trouvés, eux aussi, contraints de se défaire de celle-ci, en remettant les clés de leur maison à leur établissement de crédit.

L’accumulation des reprises hypothécaires aux États-Unis s’est traduite par une chute vertigineuse et ininterrompue de la valeur des maisons en 2008-2009, ce qui en retour a provoqué une dépréciation des avoirs hypothécaires détenus par les établissements de crédit, cette dépréciation ayant constitué l’un des facteurs les plus déterminants de la crise financière mondiale.

Au Canada, nous avons la chance d’avoir eu des gouvernements successifs qui toujours ont exigé des mises de fonds plus élevées qu’aux États-Unis pour l’achat de maisons. En imposant de nouvelles restrictions concernant la période d’amortissement, notre gouvernement souhaite éviter que la crise américaine s’étende au Canada. Il s’agit donc d’une mesure prudente qui permettra de protéger l’économie en général, mais qui profitera également,  faut-il ajouter, aux propriétaires de maisons individuelles.

Faisons quelques calculs. Supposons que vous avez une hypothèque de 100 000 $ et que votre taux hypothécaire est de 5,24 % pour les cinq prochaines années (la majorité des emprunts hypothécaires sont beaucoup plus élevés, mais vous pourrez facilement adapter le calcul à votre situation personnelle véritable en multipliant le taux par le montant de votre hypothèque).

Si vous amortissez votre emprunt hypothécaire sur 30 ans, votre versement mensuel sera de 548,10 $.  À la fin de cette période, vous aurez payé un total de 197 316 $, dont 97 316 $ en intérêts seulement. Par contre, si vous choisissez une période d’amortissement de 25 ans, votre versement mensuel sera de 595,34 $, c’est-à-dire plus élevé de 47,24 $.  Après 25 ans, vous aurez payé un total de 178 602 $, donc 78 602 $ en intérêts, c’est-à-dire un montant correspondant à seulement 80 % des intérêts que vous auriez payés si votre période d’amortissement avait été de 30 ans. De plus, vous serez libéré de votre emprunt hypothécaire cinq ans plus tôt.

Maintenant, voyons ce qui se produit lorsque le taux d’intérêt augmente. Le calcul devient alors beaucoup plus parlant.

Supposons que votre hypothèque est de 500 000 $ et votre taux de 6 %. Si vous choisissez un amortissement sur 30 ans, vous devrez payer chaque mois 2 974,12 $, pour un total à échéance de 1 070 683 $, dont 570 683 $ en intérêts. Une hypothèque sur 25 ans exige quant à elle des versements mensuels de 3 199,03 $ (224,91 de plus), pour un paiement total à la fin de la période d’amortissement de 959 709 $, dont 459 709 $ en intérêts.

En d’autres termes, pour 7,39 $ de plus par jour, vous pouvez devenir pleinement propriétaire de votre maison cinq ans plus tôt, tout en économisant un montant énorme de 110 974 $ en intérêts.

Si l’acheteur d’une maison est incapable de payer 7,39 $ de plus par jour en versement hypothécaire, a-t-il véritablement sa place dans le marché? Tout bien considéré, n’est-il pas plus avantageux pour chacun de nous de choisir une période d’amortissement plus courte?

En résumé, on peut affirmer que la nouvelle mesure législative du gouvernement aura en fin de compte un effet plus pragmatique que douloureux. Pour une fois, c’est notre « big brother » à Ottawa qu’il faut remercier.

Rob Brown a été professeur en science actuarielle à l’Université de Waterloo pendant 39 ans et président de l’Institut canadien des actuaires. Il œuvre actuellement à titre d’expert-conseil auprès de EvidenceNetwork.ca.

juillet 2012


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