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Comment opérer un changement transformateur de notre système de soins de santé

Vous avez sûrement déjà entendu dire que notre système de soins de santé est en crise, et ce, parce que les dépenses qui lui sont associées ne cessent de croître à un rythme insoutenable. Cette idée est fort répandue chez les experts et les politiciens. Cependant, elle est fausse, du moins elle ne tient pas compte de toute la réalité.

Un examen des données de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) permet de constater que durant la période de 2000 à 2011, les dépenses réelles par habitant en santé des gouvernements des provinces canadiennes ont augmenté à un taux annuel moyen de 2,8 pour cent. Toutefois, le taux de croissance des années les plus récentes a connu une diminution de 3,6 pour cent en 2008 il passé à 2,3 pour cent en 2009. On l’estime à 2,2 et à – 0,5 pour cent en 2010 et en 2011, respectivement.

Il s’agit d’une baisse spectaculaire contrastant avec les hausses qui ont caractérisé la tendance des dépenses en santé des dix dernières années.

Ce renversement de la tendance démontre bien le caractère cyclique de la croissance des dépenses en santé et vient contredire la prévision avancée par certains commentateurs selon laquelle les coûts en santé finiront inexorablement par engloutir toutes nos ressources publiques.

Mais cela signifie-t-il que la courbe des coûts du système public de soins santé a enfin commencé à redescendre et que nous n’avons plus à nous inquiéter des dépenses en santé? Pouvons-nous conclure que ces dépenses sont désormais viables et qu’elles le demeureront à long terme? La réponse, malheureusement, est non.

La viabilité budgétaire n’est pas qu’une question de dépenses, elle concerne aussi les revenus.

La plupart des gouvernements provinciaux du pays, de même que le gouvernement fédéral, connaissent actuellement des déficits qui tirent leur origine de la crise économique de 2008 et de l’affaiblissement des recettes publiques. Par conséquent, la récente décélération du rythme de l’augmentation des dépenses en santé pourrait simplement n’être qu’un effet à court terme de la récession, qui a entraîné un ralentissement de toutes les dépenses gouvernementales, y compris en santé.

De plus, alors que la tendance à l’échelle du Canada est à une diminution de la croissance des dépenses réelles par habitant, les prévisions dans certaines provinces (le Québec, la Colombie-Britannique, le Manitoba, la Saskatchewan, Terre-Neuve-et-Labrador) indiquent une hausse des dépenses pour l’année en cours. La démographie et les besoins propres à chaque région pourraient expliquer ces augmentations prévues, mais la croissance des coûts en santé continue de dépasser celle des revenus fiscaux dans ces provinces.

La question qui demeure est donc la suivante : est-ce le sabre ou le scalpel que nous devrions utiliser pour réduire les budgets en santé?

Recourir au sabre veut dire procéder à des compressions budgétaires générales tout en demandant aux établissements et aux prestataires de soins d’absorber les manques à gagner du mieux qu’ils le peuvent. Nous avons déjà fait l’essai de cette méthode au cours de la première moitié des années 1990. Bien qu’elle ait permis à court terme de réduire les budgets, elle a entraîné à long terme une augmentation des coûts en raison des nouveaux problèmes qu’elle a engendrés et qu’il nous fallait tenter de résoudre, notamment un allongement des temps d’attente pour les chirurgies non urgentes, des salles d’urgence bondées et une pénurie de certains professionnels de la santé.

La méthode du scalpel combine une réduction ciblée des coûts avec des réformes structurelles du mode de rémunération des prestataires de soins et de paiement pour la prestation des services. Selon la province, cette méthode pourrait se traduire par le passage d’un plus grand nombre de médecins de famille rémunérés à l’acte à un mode de rémunération mixte ou le versement aux hôpitaux et aux organismes de soins de santé de paiements qui sont fonction des forfaits de services et des résultats. Elle pourrait aussi signifier en ce qui concerne les soins de première ligne le recours à des approches par équipe médicale ou à des cliniques d’infirmières, et une augmentation des soins à domicile afin de diminuer les soins de longue durée offerts en établissement.

C’est la méthode du scalpel que nous devrions adopter.

Plutôt que de simples compressions budgétaires, ce dont nous avons besoin, ce sont des réformes qui sauront tirer vers le bas la courbe des coûts tout en améliorant graduellement la qualité de même que la quantité des soins offerts, grâce à un changement transformateur. Un tel changement est possible.

Il existe par contre des obstacles à sa réalisation. Il y a tout d’abord l’inertie liée au poids des habitudes et des façons de faire établies au sein du système actuel, poids auquel s’ajoutent les intérêts bien en place des prestataires tout autant que des bénéficiaires des soins. Il y a ensuite les coûts qu’engendre inévitablement toute réforme et qu’on tend trop souvent à sous-estimer. Par exemple, mettre en œuvre des réseaux d’information électroniques et constituer des équipes de pratique nécessitent temps et argent. Effectuer des changements exige également de la part des gouvernements persévérance et discipline, des qualités qui s’harmonisent parfois mal avec les réalités politiques, qui relèvent davantage du court terme.

Puisque nous disposons de peu de fonds pour nous offrir ce changement, il est donc plus qu’essentiel de faire redescendre la courbe des coûts afin de dégager les ressources nécessaires à la mise en œuvre des réformes qui le porteront. C’est pourquoi, en tant que citoyens, nous devons encourager nos gouvernements provinciaux à se fixer des objectifs clairement définis et ensuite surveiller attentivement les résultats.

La tâche sera difficile, d’autant plus que nos gouvernements ne pourront tout faire d’un coup. Ils devront procéder par étapes. C’est ainsi que nous avons procédé lors de la mise en place du système de l’assurance-maladie universelle, et nous pouvons le refaire, afin de nous assurer que l’accès aux soins de santé continue à être fonction du besoin et non de la capacité de payer.

Gregory Marchildon est expert-conseil auprès d’EvidenceNetwork.ca et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politiques publiques et en histoire de l’entreprise de l’École supérieure de politique publique Johnson-Shoyama à l’Université de Régina.  Livio Di Matteo est professeur d’économie à l’Université Lakehead. Les deux chercheurs ont présidé à l’organisation d’une conférence intitulée « Bending the Cost Curve in Health Care » (Infléchir vers le bas la courbe des coûts en soins de santé), tenue à Saskatoon les 27 et 28 septembre.

septembre 2012


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