Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec

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Les sociétés présentant le moins d’inégalités de revenus sont celles qui sont le plus en santé

L’autre jour, Tom, un charpentier qualifié de quarante-six ans, est venu me consulter à mon cabinet. Depuis les huit dernières années, il ne travaille plus en raison de la blessure au dos qu’il a subie lors d’un accident de voiture. Il est souvent déprimé et passe ses journées à la maison, parfois en restant cloué au lit. Il a épuisé l’indemnité que lui a versée la compagnie d’assurances il y a trois ans ainsi que ses économies. Il vit maintenant de l’aide sociale et la maigre allocation mensuelle qu’il reçoit lui permet à peine de survivre. Il habite un appartement sordide avec deux autres hommes.

J’aimerais soigner son trouble de l’humeur à l’aide de médicaments et de consultations psychologiques, et j’aimerais l’envoyer en physiothérapie pour qu’il retrouve la force musculaire qu’il a perdue après sa blessure. Il aimerait, de son côté, disposer de plus d’argent pour pouvoir emménager dans son propre logement, se nourrir et se présenter de nouveau avec dignité. Il aimerait également être soutenu de manière à récupérer de ses blessures physiques et psychologiques et ne demande rien de plus que de retourner au travail. Selon lui, l’aide sociale ne lui a pas entièrement offert la protection d’un filet de sécurité, mais s’est plutôt refermée sur lui comme un filet de pêche, soit une trappe d’indignité de laquelle il a été incapable de se dégager. Malheureusement, l’histoire de Tom se répète un peu partout au pays, là où les programmes d’aide sociale ne répondent pas systématiquement aux besoins de base de ceux qui en dépendent.

Avec des patients comme Tom, je suis régulièrement en mesure de constater à quel point un système d’aide sociale solide, respectueux et axé sur le rétablissement présenterait un intérêt pour la santé de mes patients qui vivent dans la plus grande pauvreté.

Les données issues de la recherche en santé montrent qu’il faut améliorer le sort des personnes qui reçoivent de l’aide sociale. Le lien étroit qui existe entre la pauvreté et une mauvaise santé est irréfutable. Il a été mis en évidence régulièrement à diverses périodes de l’histoire, dans différentes parties du monde et parmi différents groupes de personnes.

Mais les besoins des personnes qui vivent de l’aide sociale se situent à l’autre extrême.

Selon un rapport que Wellesley Institute a présenté en 2009, les personnes qui vivent de l’aide sociale sont exposées à un risque plus élevé de décès et de maladie que les autres personnes vivant dans la pauvreté. On a observé chez les assistés sociaux des taux plus élevés de maladies chroniques. De façon notable, les personnes qui vivent de l’aide sociale sont dix-huit fois plus à risque de faire une tentative de suicide au cours de leur vie.

Il est temps de revoir les programmes d’aide sociale dans l’ensemble du pays, en fonction de leur capacité d’améliorer la santé des Canadiens les plus vulnérables sur le plan économique. Une réforme de l’aide sociale qui serait axée sur la santé devrait comporter trois aspects essentiels. Dans un premier temps, il faut respecter les expériences des personnes qui vivent dans la plus grande pauvreté. Je n’ai pas encore rencontré de patient qui recevait de l’aide sociale de gaieté de cœur. Plusieurs d’entre eux me parlent du poids constant qui pèse sur leurs épaules en raison du système qui leur donne l’impression d’avoir échoué et de ne pas répondre aux attentes de la société en les forçant à vivre dans le dénuement.

Deuxièmement, on doit s’intéresser au rétablissement sous l’angle des incidences de la pauvreté sur la santé et des conditions handicapantes auxquelles sont soumis les gens pauvres. Encore une fois, cette approche exige que l’on passe d’un système punitif à un système qui respecte chaque personne et favorise le développement de ses aptitudes.

Enfin, il faut fournir une aide qui permet d’avoir un niveau de vie acceptable. Le fait de forcer les gens à vivre dans des conditions sordides et à survivre avec des miettes ne peut qu’aggraver les incidences de leur faible revenu sur la santé. Même si, à première vue, on semble réaliser des économies, ces sommes finiront probablement par être dépensées ailleurs, comme à financer une plus grande utilisation des services de santé physique et mentale.

La réforme de l’aide sociale, si elle est faite dans les règles de l’art, peut améliorer la santé de tous. Comme l’a démontré Richard Wilkinson dans son excellent livre, The Spirit Level, les sociétés présentant le moins d’inégalités de revenus sont celles qui sont le plus en santé. Et ces bienfaits pour la santé peuvent profiter à tout le monde, même à ceux qui gagnent les revenus les plus élevés.

En renforçant nos systèmes d’aide sociale et en privilégiant un processus de rétablissement respectueux pour ceux qui vivent dans la pauvreté et qui ne travaillent pas, nous franchissons ainsi une étape cruciale nous permettant de devenir une société plus équitable et en santé.

De mon point de vue, une réforme de l’aide sociale axée à la fois sur la personne et le rétablissement constitue l’ordonnance la plus puissante que je peux prescrire à Tom et à mes autres patients qui vivent dans le dénuement qu’on leur a imposé.

Gary Bloch agit à titre de conseiller expert à EvidenceNetwork.ca et œuvre à l’Hôpital St. Michael de Toronto en tant que médecin de famille.

octobre 2012

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