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Pourquoi des soins prénataux et des politiques axées sur la famille sont une bonne chose pour tous

Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec et Epoch Times (Édition Francophone)

Pour aider les enfants défavorisés, il faut se soucier de leurs parents

Il y a une déchirure dans les mailles de notre filet social et les victimes du trou causé par cette déchirure sont généralement les plus petits d’entre nous : nos enfants.

Selon tous les indicateurs, les enfants provenant de familles défavorisées doivent surmonter pour réussir dans la vie des difficultés plus grandes que ceux des familles plus favorisées. Il en résulte que ces enfants obtiennent de moins bons résultats à l’école, accèdent à des emplois moins rémunérateurs et sont aux prises dans une plus grande proportion avec des problèmes de violence, de dépendance et de santé mentale.

Les décideurs ont tenté de remédier à cette situation de multiples façons, à l’aide par exemple de programmes mis en place dans les écoles primaires ou en mettant l’accent sur l’éducation de la petite enfance, pour ne nommer que quelques-unes des mesures prises. Mais ces programmes suffisent-ils? Les recherches ont démontré que la période la plus cruciale dans la vie d’un enfant en ce qui concerne ses chances de réussite se situe bien avant l’âge scolaire, et même avant l’âge de la garderie. En fait, elle se situe avant la naissance de l’enfant.

Il y a en effet influence du milieu sur le développement de l’enfant dès le moment de sa conception. Pendant la division de l’ovule fécondée, la création du zygote, l’apparition de l’embryon et la formation du fœtus, l’enfant en devenir reçoit déjà de sa mère beaucoup plus que de simples éléments nutritifs. Il reçoit un véritable cocktail d’hormones et d’autres substances biochimiques pouvant avoir un impact profond et permanent sur son développement mental et physique.

Les exemples les plus tristement célèbres de ce type d’impact sont sans nul doute le syndrome d’alcoolisation fœtale et l’insuffisance de poids à la naissance associée à l’usage du tabac pendant la grossesse. Toutefois, une mauvaise alimentation, la consommation de médicaments sur ordonnance, l’exposition à des polluants environnementaux et même le stress peuvent avoir des effets tout aussi graves.

Des chercheurs ayant étudié attentivement les liens entre le stress prénatal et les maladies postnatales chez les rats et les macaques rhésus sont arrivés à relier le stress prénatal à toutes les formes d’affections qu’ils ont étudiées, du déséquilibre hormonal à la schizophrénie en passant par les maladies du cœur. Il est évidemment plus difficile d’étudier l’être humain pour des raisons éthiques, mais il arrive parfois que des événements historiques puissent avoir valeur d’étude scientifique.

Un tel événement s’est produit aux Pays-Bas pendant l’hiver 1944, alors qu’un embargo nazi sur les denrées alimentaires a provoqué l’une des famines les plus dévastatrices de l’histoire récente de l’Europe. Les mères qui étaient enceintes durant la période où la famine a frappé le plus fort ont donné naissance à des enfants qui présentaient un risque beaucoup plus élevé que la normale d’obésité, de maladie du cœur, de diabète et de schizophrénie. En outre, le stress émotionnel et physique provoqué par la famine a eu un impact observable non seulement chez les enfants de ces femmes, mais également chez les enfants de leurs enfants, déclenchant ainsi un cycle de maladies qui perdure encore aujourd’hui.

De tels cycles de maladies se poursuivant d’une génération à l’autre sont également présents au Canada. Dans la mesure où le milieu continue d’exercer une énorme influence pendant la première enfance et la petite enfance, les nombreux stress que peut occasionner la vie quotidienne au sein d’une famille ayant des difficultés financières se répercutent assurément sur les jeunes enfants. Le résultat est le suivant : les enfants provenant de milieux défavorisés souffrent en plus grande proportion d’obésité, de dépression et de troubles d’hyperactivité avec déficit de l’attention, et une fois adultes ils présentent un risque accru d’alcoolisme, de troubles du comportement et même de certains cancers.

La solution n’est donc pas simplement d’accroître le soutien aux enfants, mais bien d’accroître également le soutien aux familles.

En réduisant le niveau de stress des familles défavorisées, nous donnons aux enfants de ces familles les mêmes chances de réussite que les autres. À partir de là, un réseau de ressources postnatales pourrait offrir aux mères en difficulté l’aide dont elles ont besoin pour soutenir leurs enfants. Même les gestes les plus simples, comme donner aux nouvelles mères des livres à lire à leurs enfants, sont porteurs de la promesse d’un meilleur taux d’alphabétisme.

L’égalité est une valeur importante pour les Canadiennes et les Canadiens. Nous formons une société composée en grande partie d’immigrants, de personnes venues des quatre coins du monde pour se faire une vie meilleure. Notre pays est une terre propice aux nouveaux départs, où les capacités intellectuelles ont plus de valeur que les privilèges de la naissance. Du moins, nous nous efforçons de faire du Canada un tel endroit.

Notre pays n’est évidemment pas parfait (aucun pays ne l’est), mais l’égalité fait certainement partie des fondements de notre nation, il s’agit de la pierre d’assise sur laquelle reposent nombre de nos programmes sociaux, qu’il s’agisse de notre système de soins de santé universel ou de notre régime d’assurance-emploi.

Les inégalités sont toutefois un problème dont l’origine est beaucoup plus profonde que la classe de maternelle ou la garderie. Pour aider les enfants, nous devons aider les parents, avant même la naissance. En l’absence d’une telle aide, c’est la société entière qui en souffre. Un pays qui ignore sa jeunesse est un pays où il y a moins de contribuables, où les programmes sociaux sont grevés d’un plus lourd fardeau et où le taux de criminalité est plus élevé.

Adopter une approche d’abord axée sur les parents, ce n’est donc pas seulement un bon choix, c’est également un choix intelligent.

Nicole Letourneau est experte-conseil à EvidenceNetwork.ca. Professeure aux facultés des sciences infirmières et de médecine, elle est titulaire de la chaire de la Fondation Norlien/Hôpital pour enfants de l’Alberta en santé mentale des parents-enfants de l’Université de Calgary. Justin Joschko est un rédacteur indépendant résidant à Ottawa. Ils sont coauteurs d’un livre intitulé Scientific Parenting, lequel sera publié en août.

juin 2013


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