View in English

Une version de ce commentaire est parue dans La Presse, Le Huffington Post Québec et Le Droit

Le nouvel Accord sur la santé devrait rejeter le modèle de financement proportionnel au nombre d’habitants pour envisager la fragilité

Lorsque le dernier Accord sur la santé a expiré en 2014, le gouvernement Harper a unilatéralement imposé un nouveau modèle de financement pour le paiement des transferts fédéraux en santé aux provinces et territoires. Ces transferts sont proportionnels au nombre d’habitants. Le modèle prévoyait la garantie qu’aucune province ne recevrait moins que le montant du transfert qu’elle recevait en 2013, auquel s’ajoutait un taux de croissance minimum garanti de 3 % à compter de 2017. Que demander de plus?

Bien des choses. En réalité, dans un pays aussi diversifié et varié que le Canada, un tel modèle de financement proportionnel au nombre d’habitants crée des gagnants et des perdants. En effet, pour les provinces possédant une économie florissante ou une population jeune, la formule pourrait être accueillie positivement. Par contre, pour de nombreuses provinces et territoires, ce mode de financement ne tient compte ni de leurs difficultés ni de leurs besoins particuliers. Cela tient au fait que les modèles qui reposent sur le nombre d’habitants ignorent fondamentalement les variations parfois extrêmes dans les situations socio-économique et démographique et dans l’état de santé des populations régionales du Canada. Une omission importante.

La bonne nouvelle est que la ministre de la Santé Jane Philpott a promis un nouvel Accord sur la santé dont les détails seront finalisés au cours des prochains mois. Les premiers ministres de l’Atlantique se sont unis pour demander que les fonds fédéraux pour la santé soient accordés en fonction des besoins de leurs populations vieillissantes. D’autres organismes, tels que la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et d’infirmiers ainsi que des experts ont également demandé une entente prévoyant des transferts financiers asymétriques basés sur les besoins spécifiques des provinces comme l’âge.

La ministre de la Santé pourrait et devrait préparer une nouvelle entente fédérale de financement des soins de santé basé sur l’âge, mais devrait aller plus loin et inclure le concept de « fragilité », notion plus précise fondée sur des données probantes. Voici pourquoi.

Certes, un modèle basé sur l’âge seul est attrayant, car de manière générale les dépenses en soins de santé augmentent avec l’âge. Mais toutes les Canadiennes et Canadiens ne vieillissent pas de la même façon. Considérons par exemple le cas d’une personne d’une soixantaine d’années qui présente de multiples problèmes médicaux et a recours au système de santé de façon répétée, et comparons-le à celui d’un octogénaire en bonne santé qui a peu ou pas de problèmes médicaux.

Dans un article publié récemment, en collaboration avec nos collègues, dans la Revue canadienne du vieillissement, nous avons mis l’accent sur la « fragilité » en tant que concept essentiel nécessitant une attention toute particulière au sein de notre système de santé. Nos précieux fonds consacrés à la santé doivent être affectés de façon efficace pour pouvoir offrir des soins appropriés au bon moment et aux populations qui en ont réellement besoin.

La fragilité est une caractéristique commune de notre population vieillissante, mais elle demeure largement sous-estimée. On évalue que plus d’un million de Canadiennes et de Canadiens sont fragilisés du point de vue clinique. Cette fragilité clinique peut se présenter à n’importe quel âge et décrit des personnes dont l’état de santé est précaire, qui présentent de multiples troubles médicaux importants et dont le risque de mourir est très élevé. La caractéristique de cette fragilité est que l’état de santé d’une personne fragilisée peut se détériorer de façon importante après une maladie bénigne, comme une infection ou une blessure légère, qui pourrait être facilement traitée chez une personne non fragilisée.

La fragilité est un meilleur déterminant des paramètres de santé et de l’utilisation des services de santé que l’âge seul.

Notre système de santé a été créé à un moment où les gens mourraient en général jeunes et le plus couramment d’une maladie touchant un seul organe ou système. À cette époque, nombreux étaient ceux qui vivaient dans des familles intergénérationnelles ou près d’autres membres de la famille susceptibles de les aider à vivre de façon indépendante.

Faisons un bond de plusieurs décennies jusqu’à aujourd’hui. Notre système de santé peine à satisfaire les besoins des personnes âgées présentant de multiples problèmes médicaux et sociaux qui sont souvent liés, qui apparaissent souvent de façon simultanée et qui menacent leur indépendance. C’est l’essence même de la fragilité.

En deux mots, notre système de santé ne réagit pas bien face à la fragilité.

Notre structure des soins de santé actuelle excelle dans des interventions spécifiques à une maladie. Mais nombre de ces interventions pourraient présenter des risques plus sérieux et moins de bienfaits potentiels pour les personnes fragilisées. Dans ce contexte, ces individus pourraient recevoir à la fois trop de soins et des soins inadaptés. De telles pratiques peuvent être onéreuses et nuisibles, et pourraient également menacer la viabilité globale de notre système de soins de santé.

Alors pourquoi le nouvel Accord sur la santé devrait-il inclure le concept de fragilité et pourquoi les transferts fiscaux devraient-ils s’appuyer sur ce concept et d’autres facteurs importants? Parce qu’une proportion importante et croissante de nos dépenses en santé est et sera de plus en plus axée sur nos aînés fragilisés, en particulier ceux qui approchent la fin de la vie.

La reconnaissance systématique des personnes fragilisées et un financement fédéral ciblé des soins de santé en partie en fonction de la fragilité aideraient les provinces et les territoires qui ont les besoins les plus criants en matière de santé et de services sociaux. Ces mesures permettraient également d’identifier la fragilité comme un problème qui doit être réglé de toute urgence à l’échelle du pays.

John Muscedere est directeur scientifique et PDG du Réseau canadien des soins aux personnes fragilisées (RCSPF), un réseau interdisciplinaire ayant pour vocation l’amélioration des soins de santé des aînés fragilisés au Canada. Il est également médecin spécialiste en soins intensifs à l’Hôpital général de Kingston.

Samir Sinha est directeur des services de gériatrie au Sinaï Health System et au University Health Network de Toronto, coprésident du comité consultatif du National Institute on Ageing et membre du comité de gestion de la recherche du CFN. 

Juillet 2016


This work is licensed under a Creative Commons Attribution 4.0 International License.