Préparé par Ann Silversides pour EvidenceNetwork.ca

La crise liée aux opioïdes d’ordonnance au Canada

« Le mésusage […] d’opioïdes a subi une hausse exponentielle s’accompagnant de conséquences dévastatrices. » — S’abstenir de faire du mal : Répondre à la crise liée aux médicaments d’ordonnance au Canada (Centre canadien de lutte contre les toxicomanies, 2013).

Aperçu

Les opioïdes d’ordonnance sont des médicaments puissants fréquemment utilisés pour atténuer la douleur. Ils peuvent cependant mener à une dépendance et à une tolérance psychologique et physique, plus particulièrement lorsqu’ils sont consommés sur une longue période pour calmer une douleur chronique. À partir de la fin des années 1990, le nombre des prescriptions d’opioïdes a augmenté de façon draconienne au Canada, ce qui a donné lieu à un accroissement du taux de dépendance à ces médicaments ainsi que du nombre des décès liés à leur consommation, pour la plupart accidentels.

Le taux élevé de prescription d’opioïdes a mené à une crise de santé publique dont peu contestent l’existence.

Selon l’Organe international de contrôle des stupéfiants, le Canada se situe actuellement en deuxième position, précédé uniquement des États-Unis, en ce qui a trait au taux de consommation d’opioïdes d’ordonnance par habitant. Les deux pays ont d’ailleurs déclaré être aux prises avec une crise de santé publique, tous deux affichant notamment des taux de consommation d’opioïdes d’ordonnance extrêmement élevés comparativement au reste du monde. Au sein de l’Union européenne et en Australie et Nouvelle-Zélande, la consommation d’opioïdes d’ordonnance est inférieure à la moitié de celle qu’on observe en Amérique du Nord.

Controverses, question d’équilibre, lacunes dans les données et consommation à mauvais escient

Les opioïdes d’ordonnance peuvent jouer un rôle de premier plan pour soulager certains types de douleurs, comme la douleur aiguë, la douleur liée au cancer et la douleur éprouvée par un patient en phase terminale. Il est par conséquent essentiel que les médecins puissent continuer à les prescrire.

Toutefois, afin de diminuer les morts accidentelles, les cas de dépendance et les autres méfaits liés à leur consommation, la majorité des spécialistes de la question s’entendent pour affirmer que le taux global de prescription d’opioïdes devrait être réduit de façon considérable et que ces médicaments devraient être prescrits avec circonspection. L’une des principales causes du problème est le taux élevé de prescription d’opioïdes pour le traitement de la douleur chronique, une pratique controversée pour laquelle il existe peu de données démontrant que les avantages compensent les risques encourus.

Si plusieurs ont mis en évidence le problème de l’usage des opioïdes d’ordonnance à des fins non médicales (l’abus d’analgésiques d’ordonnance), il demeure que ce phénomène a pu se produire principalement à la faveur d’un détournement, car ce sont les prescriptions rédigées par les médecins qui au Canada constituent la plus importante source d’approvisionnement en opioïdes d’ordonnance. De plus, une grande proportion des patients à qui sont prescrits des opioïdes pour le traitement d’une douleur chronique développe des problèmes pour lesquels il n’existe pas de solution simple. L’augmentation du nombre des prescriptions d’opioïdes a par ailleurs touché certains groupes de façon disproportionnée, notamment les Premières nations et les personnes à faible revenu. Une des raisons de cette situation est le manque d’accès à des options de rechange abordables pour le traitement des douleurs physique et psychologique.

Étendue du problème : taux de prescription, décès et dépendance

On ne peut que présumer de l’étendue du problème à l’échelle du pays, car il n’existe aucune liste nationale des morts associées aux opioïdes d’ordonnance ni aucun système normalisé et coordonné de surveillance des prescriptions d’opioïdes et de collecte des données à ce sujet. La situation est différente aux États-Unis, où les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies ont émis des mises en garde concernant les taux relatifs de prescription d’opioïdes dans les différents États. Des programmes de suivi des prescriptions de types divers (électroniques, sur papier, etc.) sont en place dans certaines provinces ou certains territoires, mais ils ne sont pas reliés entre eux et l’information sur les décès n’est soumise à aucune enquête de coronaires et de médecins légistes menée à l’échelle du Canada.

La plupart des documents fournissant des renseignements détaillés sur la distribution des opioïdes et leurs effets nuisibles au Canada s’appuient sur des statistiques de l’Ontario, puisque les données sur lesquelles reposent les travaux de recherche sur la question de l’Institut de recherche en services de santé proviennent du Programme public de médicaments de l’Ontario ainsi que du bureau du coroner en chef et des bases de données administratives en santé de cette province. Ces travaux de recherche indiquent, par exemple, qu’entre 1991 et 2007 le nombre de prescriptions d’un type particulier d’opioïdes d’ordonnance, soit les médicaments ayant l’oxycodone comme principe actif, a connu une augmentation de presque 900 %, ce qui a donné lieu à une hausse des morts annuelles associées à l’oxycodone, lesquelles sont passées de moins d’une par million de personnes en 1991 à 12,3 par million de personnes en 2006.

Selon le bureau du coroner de l’Ontario, la mortalité liée aux opioïdes d’ordonnance a doublé en Ontario entre 1991 et 2004 et a plus que triplé entre 2004 et 2012, année où le nombre total des décès s’est chiffré à 536. Le nombre des demandes pour un traitement contre la dépendance s’est également accru, les admissions dans des centres publics de traitement de la toxicomanie pour des problèmes liés aux opioïdes d’ordonnance ayant doublé dans la province entre juin 2005 et décembre 2011.

Le bureau du coroner de la Colombie-Britannique a publié un rapport sur le nombre de morts associées aux opioïdes d’ordonnance survenues dans la province de 2000 à 2010 et a récemment émis une mise en garde relativement à l’accroissement des décès accidentels causés par la consommation illicite de fentanyl, un analgésique d’ordonnance.

En Nouvelle-Écosse, des alertes concernant la dépendance aux opioïdes d’ordonnance ont été lancées dès le début des années 2000. Le bureau du médecin légiste en chef de la province a répertorié 295 cas de morts liées à ce type de médicaments entre 2007 et 2010. Alors que le nombre des décès associés à l’usage de drogues illicites était de 1,76 par tranche de 100 000 personnes, celui des morts causées par des médicaments d’ordonnance était de 7,8 par tranche de 100 000 personnes, et dans la grande majorité des cas les substances en cause étaient des opioïdes.

Dans l’ensemble du Canada : Le bulletin 2013 du Centre canadien de lutte contre les toxicomanies présente un aperçu du problème de la consommation à mauvais escient des opioïdes d’ordonnance (et de la consommation des opioïdes illégaux) dans différentes villes choisies d’un bout à l’autre du pays.

Pourquoi les prescriptions d’opioïdes sont-elles en augmentation ?

De nombreux facteurs ont contribué au développement de la crise liée aux opioïdes. Le plus important d’entre eux est la libéralisation de la prescription de ces médicaments pour le traitement de la douleur chronique non liée au cancer, généralement définie comme une douleur qui persiste depuis plus de six mois et est associée à des problèmes de santé comme la lombalgie et l’arthrite. L’utilisation des opioïdes pour traiter les problèmes de ce type a fait l’objet de controverses pendant de nombreuses décennies, puis est devenue courante dans les années 1990 et 2000. Elle suscite cependant à nouveau la controverse aujourd’hui (voir les ressources ci-dessous).

Jusque dans les années 1990, en raison de préoccupations liées à la possibilité que les patients développent une dépendance, les médecins étaient généralement réticents à l’idée de prescrire des opioïdes, sauf pour calmer la douleur endurée par les patients en phase terminale, la douleur postopératoire et la douleur liée au cancer. Cette réticence était en partie motivée par l’exemple de la période de la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, pendant laquelle l’usage de l’opium à des fins thérapeutiques était largement répandu et a mené à d’importants problèmes de dépendance (l’oxycodone est un analgésique synthétisé à partir de dérivés de l’opium).

À partir de la fin des années 1990, l’arrivée sur le marché de l’oxycodone à action prolongée et des campagnes de marketing aussi persuasives que controversées, particulièrement en ce qui concerne l’OxyContin, ont toutefois contribué à modifier l’attitude des médecins, entre autres celle des omnipraticiens, à l’égard des opioïde. Notamment à partir du moment où l’American Pain Society et d’autres organismes, dont plusieurs bénéficiaient d’un soutien financier des fabricants d’opioïdes, ont commencé à appuyer et à promouvoir l’utilisation de ce type de médicaments pour le traitement de la douleur chronique. La grande majorité des ordonnances d’opioïdes au Canada sont rédigées par des omnipraticiens.

S’est également installé le sentiment général que les opioïdes, parce qu’il s’agit de substances approuvées par des agences de réglementation comme Santé Canada et la Food and Drug Administration des États-Unis, ne posent pas les mêmes risques de dépendance ou de méfaits pour la santé que les drogues de rue illégales comme la cocaïne.

Les autres facteurs qui ont contribué à accroître l’usage des opioïdes comprennent le manque de connaissance de la part des fournisseurs de soins de santé concernant la toxicité possible des opioïdes, l’absence de lignes directrices quant à l’établissement des doses à administrer et le peu de moyens efficaces pour faire un suivi des médecins qui prescrivent des opioïdes et des patients qui en font usage.

Éducation des médecins

Il est généralement reconnu que la formation des médecins présente des lacunes concernant le traitement de la douleur chronique ainsi que le dépistage et le traitement de la dépendance. Selon de nombreux groupes d’experts, les médecins devraient être mieux formés relativement au contrôle de la douleur chronique dans les traitements de réadaptation, y compris en ce qui a trait au rôle des autres professions de la santé, notamment la physiothérapie, l’ergothérapie, la chiropractie, la thérapie cognitivo-comportementale et le traitement de la douleur; les opioïdes ne devraient pas être considérées comme la première option de traitement. Par contre, la plupart des interventions non pharmacologiques destinées à traiter la douleur ne sont pas couvertes par les régimes d’assurance maladie provinciaux et les patients souffrant de douleur chronique qui souhaitent avoir accès aux soins offerts dans des cliniques de la douleur multidisciplinaires, par exemple celle du programme exhaustif de traitement de la douleur du Réseau universitaire de la santé de Toronto, doivent composer avec des temps d’attente qui sont souvent de plusieurs mois ou années.

Le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada a accordé au traitement de la douleur le statut de sous-spécialité en 2010. Le premier programme consacré à la douleur a été mis sur pied en 2013 par la faculté de médecine de l’Université Western Ontario.

Mesures prises pour endiguer la crise

Le gouvernement fédéral a confié au Centre canadien de lutte contre les toxicomanies (CCLT) la tâche de concevoir une stratégie pour réduire les méfaits causés par les médicaments d’ordonnance.

Ainsi, en 2013, le CCLT a publié le document S’abstenir de faire du mal : Répondre à la crise liée aux médicaments d’ordonnance au Canada, préparé par le Conseil consultatif national sur l’abus de médicaments sur ordonnance. Dans ce document, le Conseil présente une « feuille de route » pour réduire les méfaits liés aux médicaments d’ordonnance s’échelonnant sur 10 ans, formule 58 recommandations et crée de six équipes de mise en œuvre composées de bénévoles qui, pour la plupart, sont des employés d’organismes gouvernementaux et non gouvernementaux connexes.

Le Conseil consultatif national a publié un an plus tard un rapport des progrès réalisés jusqu’à ce jour.

Dans son budget de 2014, le gouvernement fédéral a indiqué qu’il consacrerait une somme de 44,9 millions de dollars sur une période de cinq ans à la lutte contre le problème de l’abus de médicaments d’ordonnance dans le cadre de sa Stratégie nationale antidrogue. Cette stratégie, chapeautée par le ministère de la Justice, ne s’attaquait auparavant qu’au problème des drogues illégales. À l’été 2014, il n’existait cependant encore aucune information sur la manière dont ces fonds ont été utilisés ou confirmant qu’ils ont été affectés comme prévu.

Experts disponibles pour des entrevues

Irfan Dhalla, M.D., M.Sc., FRCPC
Université de Toronto
Organisation et financement des soins de santé
416-864-6060, poste 7113 | [email protected] | @IrfanDhalla

David Juurlink, M.D. Ph.D., FRCPC
Centre des sciences de la santé Sunnybrook, Toronto
Sécurité des médicaments et épidémiologie des événements iatrogènes médicamenteux
416-480-4055, poste 3039 | [email protected] | @DavidJuurlink

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