Du marketing plus que de la science
La curiosité des gens au sujet de leur propre personne ne semble pas avoir de limites et certaines entreprises ont appris à en tirer profit. Partout, on tombe sur des annonces proposant des tests d’ADN personnalisés qui capitalisent sur l’envie des consommateurs de connaître leur patrimoine ancestral, séduits par la perspective d’obtenir un portrait génétique qui les aiderait à déterminer la probabilité de contracter certaines maladies.
Les tests de dépistage génétique personnalisés sont en voie de devenir un jeu d’enfant. Allez sur Internet et pour 100 $, commandez une trousse d’analyse; prélevez un échantillon de votre salive et renvoyez le tout au labo. Il ne vous reste plus qu’à attendre le rapport qui vous renseignera sur nos chances de souffrir d’Alzheimer ou de glaucome dans votre troisième âge.
L’été dernier, une entreprise baptisée 23andMe, qui offre ses services au Canada, annonçait que sa banque de données génétiques contient désormais de l’information sur plus de 100 000 individus – ce qui en fait possiblement la plus importante au monde. Ces données seront utilisées pour faire des recherches sur les liens entre l’ADN d’une personne et le risque qu’elle souffre de certaines maladies.
Vu la sophistication sans cesse croissante des méthodes d’analyse de l’ADN et l’espoir qu’elles font miroiter de dévoiler les mystères de la génétique, un grand nombre de personnes recourent à des services tels que 23andMe comme s’il s’agissait d’une sorte d’horoscope susceptible de prédire les risques de santé qu’ils courent. Cependant, l’expérience accumulée depuis dix ans démontre que ces services en promettent presque toujours davantage que ce qu’ils peuvent fournir et qu’ils comportent de sérieuses limites.
Imputer la faute aux gènes par association
S’il est possible d’« établir un lien » entre certaines maladies et les variations génétiques présentes dans l’ADN (appelées SNP ou polymorphismes mononucléotidiques), cela n’implique pas pour autant une relation de causalité.
En d’autres termes, ce n’est pas parce qu’un test génétique révèle qu’on est porteur de gènes associés à un « risque supérieur à la normale » qu’on va nécessairement souffrir d’Alzheimer ou de diabète de type 2 plus tard dans la vie. En effet, l’inné et l’acquis jouent tous deux un rôle dans le développement de la maladie et notre société en sait encore très peu sur l’interaction entre ceux-ci.
Exception faite de quelques tests reposant sur des assises scientifiques (comme le dépistage génétique du gène BCRA, le « gène du cancer du sein »), la science est très en retard sur le marketing pour ce qui est de la majorité des examens de dépistage génétique.
Un marketing fondé sur nos pires frayeurs
Il est peu courant d’obtenir une conclusion irréfutable à partir du décodage génétique personnalisé. Ce qui est moins rare, c’est la publicité mensongère dont ces tests font souvent l’objet.
Récemment, le U.S. Government Accountability Office a mené une enquête sur les entreprises en ligne qui proposent des tests génétiques et des services-conseils sur les habitudes de vie. Des échantillons de salive identiques ont été envoyés à un certain nombre d’entre elles; leurs prédictions se sont avérées totalement contradictoires. Le bureau a également relevé des cas flagrants de marketing trompeur et de fausse représentation; certaines entreprises vont en effet jusqu’à prétendre que l’ADN des clients pourrait servir à fabriquer des suppléments personnalisés contre les maladies qui les guettent.
La conclusion du bureau d’enquête? La voici : « Ces tests ne donnent aucune information utile au consommateur. »
Prendre connaissance des faits avant de subir le test
Malgré les espoirs que suscite l’idée d’une boule de cristal génétique, la vérité, c’est qu’on ne comprend pas exactement la nature du lien entre les gènes et la maladie. La science ne sait pas encore comment interpréter ce que la présence de tel ou tel gène dans votre ADN aura comme répercussion sur votre état de santé.
Certains argumenteront qu’un test génétique personnalisé permet d’éclairer un tant soit peu le mystère de notre constitution génétique et qu’un don d’ADN représente une occasion de contribuer à une bonne cause.
Un jour peut-être, les banques de données génétiques seront des centaines de fois plus puissantes qu’elles ne le sont aujourd’hui et mèneront à des découvertes qui permettront d’améliorer la vie de bon nombre d’entre nous. On peut certes l’espérer. Mais on est encore bien loin du compte.
Alan Cassels est expert-conseil auprès du site EvidenceNetwork.ca, une ressource Web non partisane mise à la disposition des journalistes appelés à couvrir les politiques de santé au Canada. Il est chercheur en politiques sur les médicaments à l’Université de Victoria et l’auteur de l’ouvrage Selling Sickness. Son prochain livre, Seeking Sickness, traitera de l’industrie du dépistage en médecine.
janvier 2012
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