Une tendance permanente ou une mesure temporaire dans le but de réduire les coûts?

Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec

Une ère de compressions budgétaires dans le domaine de la santé au CanadaDans le sillage des nouvelles données portant sur les dépenses en santé publiées par l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), les preuves démontrent que le ralentissement au Canada des dépenses publiques dans cette sphère est en augmentation.

Après correction pour l’inflation et la croissance démographique, les dépenses par habitant des gouvernements territoriaux et provinciaux en santé ont en fait diminué, après avoir atteint un sommet en 2010. Les dépenses réelles de ces gouvernements par habitant ont diminué de 3,9 pour cent et sont passées à un montant estimé de 3762 $, avec un montant maximal de 3915$.

Cependant, ce déclin ne touche pas de façon uniforme les diverses catégories de dépenses ou les divers secteurs de la santé. Un examen de ces catégories révèle que la plus importante diminution de dépenses réelle par habitant initiée par les gouvernements provinciaux et territoriaux touche les dépenses en capital et se chiffre à 28 pour cent depuis 2010. Les dépenses en capital constituent une cible facile pour les gouvernements désireux de faire des compressions budgétaires, puisque le report de projets d’immobilisation, comme la construction de nouveaux édifices ou l’achat d’appareils de diagnostic, n’ont souvent aucun impact immédiat sur la prestation des services.

De plus, les dépenses réelles par habitant pour l’achat de médicaments ont chuté de 11,3 pour cent. Cette diminution est surprenante puisque les médicaments représentaient l’un des éléments avec la plus grande croissance parmi les dépenses des gouvernements provinciaux en santé. Selon l’ICIS, la mise en place par les autorités de mesures de contrôle des prix pour les produits génériques ainsi que l’expiration de brevets et la diminution du nombre de nouveaux médicaments introduits ont réduit les dépenses en médicamentation.

Des déclins plus modestes ont été enregistrés pour les dépenses liées aux hôpitaux et autres milieux institutionnels et administratifs. Toutefois, les compressions ne semblent pas avoir frappé les médecins, les autres professionnels et le milieu de la santé publique. Les dépenses réelles par habitant pour les médecins ont augmenté de 3 pour cent depuis 2010. Quant aux autres professionnels, elles se chiffrent à 12,5 pour cent, et à un tiers d’un pour cent pour la santé publique.

Les dépenses en santé varient selon les provinces et les territoires, ce qui reflète les diverses réalités au sein de la fédération. Les dépenses réelles par habitant effectuées par les gouvernements en santé ont chuté dans huit des 10 provinces et dans deux des trois territoires. Le changement du taux de dépenses gouvernementales réelles par habitant depuis 2010 varie. Des baisses de près de sept pour cent ont été enregistrées en Alberta et en Ontario, de cinq pour cent au Nouveau-Brunswick, alors qu’ailleurs, des hausses ont été recensées, soit de 0,5 pour cent en Colombie-Britannique, de trois pour cent en Nouvelle-Écosse et de sept pour cent dans les Territoires-du-Nord-Ouest. Ces écarts peuvent découler des taux différentiels du vieillissement de la population et de la croissance de celle-ci ainsi que d’un rendement économique sous-jacent et ses effets sur les revenus autonomes gouvernementaux.

Une telle fluctuation des coûts en santé n’a pas été observée depuis 1992 à 1996, lorsque les dépenses réelles par habitant effectuées par les gouvernements provinciaux et territoriaux ont chuté de près de huit pour cent. Ce déclin a été suivi d’une grave récession et d’importantes contraintes budgétaires dans un contexte de déficits grandissants. Le tout a été exacerbé par les réductions des transferts de fonds fédéraux destinés à la santé, avec l’introduction du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Or aujourd’hui, les transferts fédéraux en matière de santé augmentent de façon continue, bien que les taux de croissance déclineront à compter de 2017.

Pour ce qui est du déclin actuel, la principale question est la suivante : s’agit-t-il d’un fléchissement permanent de la courbe ou d’une pause temporaire? Après le déclin des dépenses recensé entre 1992 et 1996, les dépenses gouvernementales réelles par habitant en santé ont augmenté avec le regain de l’économie et l’augmentation des transferts fédéraux à la suite de l’Accord sur la santé en 2004. En effet, les dépenses réelles par habitant effectuées par les gouvernements provinciaux et territoriaux en santé ont augmenté de 50 pour cent entre 1996 et 2010.

Toutefois, cette fois-ci, un rebond semblable est peu probable. À compter de 2017, la croissance des transferts de fonds fédéraux destinés à la santé sera liée au taux nationaux de croissance économique et d’inflation, avec un plancher de trois pour cent. Il est probable que les gouvernements mettront en place des mesures de contrôle des coûts en prévision du jour où le taux de croissance des transferts fédéraux, qui se chiffre présentement à six pour cent par année selon l’Accord sur la santé, amorcera son déclin.

Toutefois, les efforts pour restreindre les coûts en santé, vu la croissance plus lente de l’économie et des transferts fédéraux, seront compensés par le vieillissement de la population et par les innovations dans le domaine des produits médicaux. Bien qu’un ralentissement en innovation pharmacologique ait influé sur la croissance des dépenses en médicaments, la situation pourrait changer. De plus, le vieillissement de la population a, à ce jour, modestement contribué à la croissance des dépenses en santé mais cette tendance pourrait s’estomper.

La population canadienne est vieillissante, mais la génération des premiers baby-boomers entre à peine dans la tranche des 65 à 67 ans. Les dépenses provinciales et territoriales par habitant en 2012 étaient de 4620 $ pour les personnes de 60 à 64 ans et de 16 231 $ pour les aînés de 80 à 84 ans. Les effets du vieillissement ne se font pas encore pleinement sentir. Par conséquent, les dépenses réelles par habitant effectuées par les gouvernements provinciaux en santé augmenteront éventuellement à nouveau, mais la hausse sera probablement plus lente que celle qui a caractérisé la période entre 1996 et 2010.

Livio Di Matteo agit comme conseiller expert auprès d’EvidenceNetwork.ca et est professeur d’économie à l’Université Lakehead.

novembre 2014


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