Les défis qu’ont en commun les systèmes de soins de santé canadien et américain
Une version de ce commentaire est parue dans Le Huffington Post Québec
Sur les plans historique et pratique, le Canada et les États-Unis ont instauré une médecine avec rémunération à l’acte, dans le cadre de laquelle le pouvoir de contrôler les prix repose principalement entre les mains du corps médical. Par conséquent, même si les gouvernements provinciaux négocient périodiquement avec les groupes hospitaliers et médicaux et que les hôpitaux dans leurs budgets globaux s’efforcent de limiter les coûts, le système de santé demeure relativement coûteux.
En 2011, les États-Unis ont remporté l’honneur peu enviable d’avoir le système de santé le plus coûteux du monde, avec des dépenses par habitant se chiffrant approximativement à 8 500 $. Pour la même période, les dépenses canadiennes en santé par habitant étaient d’environ 4 500 $, ce qui place le Canada au troisième rang des pays développés de l’OCDE ayant les systèmes de santé les plus coûteux.
Il importe cependant de mettre ces chiffres en perspective. En 1970, quelques années avant que le Canada mette en place son système national d’assurance maladie, les deux pays dépensaient en soins de santé une somme correspondant approximativement à 7 % de leur PIB. Trente-neuf ans plus tard, les États-Unis consacraient plus de 50 % de leur revenu national aux soins de santé, plaçant ainsi les patients américains devant les dépenses de santé remboursables les plus élevées au monde.
Pendant la tournée de conférences que j’ai réalisée dans l’ensemble du Canada, lorsque j’ai expliqué aux Canadiens combien les dépenses de santé remboursables sont élevées aux États-Unis, les gens ne comprenaient tout simplement pas cette notion. On parle au Canada d’imposer une quote-part pour certains services afin d’aider les gouvernements fédéral et provinciaux à économiser de l’argent, mais l’idée de faire payer aux gens 50 % de la facture ou de faire payer à une famille 13 000 $ en frais remboursables avant le versement des prestations d’assurance maladie est extrêmement impopulaire.
Tout comme aux États-Unis, de nombreuses personnes se demandent si le pays obtient les meilleurs services possible pour son argent. La qualité des soins offerts correspond-elle aux sommes dépensées ? Nombre d’études, y compris la plus récente comparaison internationale dressée par le Fonds du Commonwealth, indiquent que le Canada et les États-Unis font piètre figure dans divers aspects des soins de santé. Par exemple, les Canadiens et les Américains sont plus susceptibles de signaler de longues attentes avant d’avoir accès à des soins de première ligne et une fréquentation élevée des salles d’urgence que les citoyens d’autres pays comme l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni.
J’ai demandé à Jeffrey Turnbull, M.D., FRCPC, chef du personnel à l’Hôpital général d’Ottawa, ce qu’il pensait des critiques concernant la qualité des soins au Canada. Il m’a répondu que lorsqu’il s’agit de traiter une crise cardiaque, un accident vasculaire cérébral, une insuffisance cardiaque ou une pneumonie, « notre rendement est relativement bon ». Toutefois, si on examine les indices plus globaux servant à mesurer les inégalités, le tableau est très différent. « Nos populations les plus vulnérables donnent lieu à des taux comparables à ce qu’on retrouve dans les pays en développement », s’est-il désolé ? Nous pouvons dire la même chose de certains groupes sociaux aux États-Unis.
Nos deux pays ont également en commun le fardeau de plus en plus lourd de devoir fournir des soins à une population vieillissante. Le manque de soutien communautaire est à ce titre une des raisons pour lesquelles les listes d’attente s’allongent dans les hôpitaux canadiens. Les personnes âgées admises dans des hôpitaux de soins actifs y séjournent parfois beaucoup plus longtemps que ce qui est médicalement nécessaire, parce qu’elles n’ont pas d’autre endroit où aller.
Le public semble cependant s’intéresser à la situation. L’été dernier, l’Association médicale canadienne (AMC) a réalisé un sondage auprès des citoyens afin d’évaluer leurs priorités concernant les soins de longue durée. Les répondants au sondage ont indiqué à 93 % que le gouvernement devrait élaborer une stratégie exhaustive concernant les aînés. Le président sortant de l’AMC a affirmé que les résultats du sondage constituent un signal fort que le public souhaite la mise en place d’un plan d’action. Au sein d’un système qui doit rendre des comptes aux contribuables qui le financent, il est plus facile pour les gouvernements fédéral et provinciaux d’être à l’écoute de la population. La situation est tout autre aux États-Unis, où la question des soins de longue durée est à peine abordée et où les dispositions de la CLASS Act (loi sur le soutien et les services d’aide aux communautés), un texte législatif intégré à l’Affordable Care Act (loi sur les soins abordables) prévoyant un début de programme de paiement des frais des soins de longue durée, ont été annulées.
Les systèmes de soins de santé ne sont pas statiques, comme le rappelait Nicholas Timmins, ancien rédacteur en chef responsable des politiques en santé du Financial Times, à un groupe de journalistes du domaine des soins de santé lors d’une réunion tenue à Athènes il y a un an. Toutefois, aucun ne modifiera les principes fondamentaux qui le régissent. « Les pays changent rarement leurs façons de faire », ajoutait Timmins au groupe. Les Canadiens peuvent régler les problèmes de leur système, nous pouvons régler ceux du nôtre, mais aucun des deux pays ne se précipitera pour adopter le système de l’autre. Comme le précisait Timmins, « ce à quoi sont véritablement confrontés les systèmes, c’est une volonté de trouver des façons de limiter les coûts ».
Trudy Lieberman a été présidente de l’Association of Health Care Journalists et collabore à la rédaction de la Columbia Journalism Review. Elle est également une associée du Center for Advancing Health, où elle tient un blogue sur les frais à payer pour obtenir des soins de santé.
février 2014
Article publié avec la permission de l’Association of Health Care Journalists, http://healthjournalism.org/.
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