Plus tôt ce mois-ci, Sophie Labelle, auteure et militante transgenre montréalaise de renommée internationale, a été la cible d’une violente cyberattaque, de menaces de mort et de messages haineux. Pire encore, les agresseurs ont non seulement détruit temporairement son populaire site Web, ils ont aussi publié ses renseignements personnels, comme son adresse. Aujourd’hui, Sophie se cache.
Le projet de loi C-16, destiné à protéger l’identité de genre et d’expression de genre en modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel, définit explicitement le type de violence infligé à Sophie. Si le projet de loi était adopté, les agresseurs de Sophie seraient passibles de sanctions supplémentaires pour propagande haineuse.
En effet, le projet de loi C-16 aide à remédier aux lacunes de la législation sur la protection des Canadiennes les plus vulnérables, les femmes transgenres, qui subissent des niveaux affreusement élevés de violence physique et sexuelle, allant jusqu’à la mort.
Malheureusement, la législation des droits des transgenres est au point mort depuis plus de 10 ans. Pendant ce temps, la discrimination, le harcèlement et la violence continuent de ruiner de nombreuses vies.
Cette situation est causée en grande partie par le Sénat, où une minorité de sénateurs tapageurs fait obstruction au projet de loi. Une troisième lecture du projet de loi aura lieu au Sénat cette semaine.
Mais les sénateurs ne sont pas les seuls opposants au projet. Récemment, la maison d’hébergement pour femmes Vancouver Rape Relief (VRR) et l’association Pour les droits des femmes du Québec (PDFQ) ont affirmé lors de l’audience devant le comité sénatorial que la protection des personnes transgenres décrite dans le projet de loi C-16 menaçait le féminisme et les lieux réservés aux femmes.
Cette déclaration a fait la manchette à l’échelle nationale, mais n’a pas reçu l’appui souhaité.
En effet, après ce témoignage, les féministes du Canada ont vite fait de se dissocier de telles attitudes d’exclusion. Le 17 mai, nous avons publié une lettre ouverte sur iPetitions, intitulée Féministes canadiens pour la loi C-16. Dans cette lettre, nous expliquons que le projet de loi est d’une absolue nécessité, et ce, depuis longtemps, étant donné que les femmes transgenres sont plus susceptibles que les femmes cisgenres (non transgenres) d’être confrontées à la pauvreté, à l’itinérance, à des obstacles à l’éducation et à la violence.
En une seule journée, nous avons obtenu plus de 1 000 signatures. Nos sympathisants provenaient notamment de maisons d’hébergement pour femmes, d’églises et de programmes d’études universitaires canadiens pour femmes. Depuis, des représentants de maisons d’hébergement pour femmes, de programmes antiviolence et d’organismes pour femmes ont soumis des lettres pour appuyer le projet de loi C-16.
Récemment,la Fédération des femmes du Québec (FFQ), une organisation qui réunit plus de 200 groupes de femmes, a voté à l’unanimité pour le projet de loi C-16 : « […] la FFQ appuie formellement le projet de loi C-16 (loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel) et [est] solidaire avec la communauté trans et non binaire en demandant que la protection de la Charte s’étende à l’identité et l’expression de genre. »
Souhaitant ardemment s’opposer au témoignage du Sénat contre le projet de loi, les féministes d’un bout à l’autre du pays se sont empressés de réagir. Les droits de la personne sont sans contredit au cœur du féminisme canadien contemporain, plus riche et plus varié que jamais. Une nouvelle génération de jeunes gens s’engage dans un projet multidimensionnel de résistance devant les manifestations d’oppression.
Les défenseurs de cette cause sont nombreux au Canada; même le Cabinet du premier ministre appuie les droits des personnes transgenres.
Lors de la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, le premier ministre Justin Trudeau a déclaré : « Aujourd’hui, et tous les jours, je me joins aux Canadiens pour appuyer les droits liés à l’expression, à l’identité et à l’orientation sexuelles des individus au Canada et partout dans le monde, ainsi que pour lutter contre la stigmatisation, la violence et les préjugés là où ils se manifestent. »
Le projet de loi C-16 entend concrétiser ces souhaits.
Le temps est venu pour les législateurs d’appuyer les Canadiennes qui ont survécu à la violence et les personnes qui continuent à être généralement mal représentées et incomprises, particulièrement les personnes à genres non binaires ou fluides.
Alors que le Sénat se prépare à voter à l’étape de la troisième lecture de cette législation historique, nous demandons à ses membres de se rappeler que les gens de tous genres et de tous âges devraient être considérés comme égaux et bénéficier de l’entière protection de la loi.
Mme Julie Temple Newhook est chargée de cours en étude de genre et collaboratrice professionnelle à la Faculté de médecine de l’Université Memorial. En 2014, elle a créé des groupes locaux et nationaux de soutien par les pairs, Parents canadiens d’enfants trans et Parents of Trans & Gender Diverse Kids, à Terre-Neuve-et-Labrador.
Mme Kimberley Ens Manning est une conseillère sur le site EvidenceNetwork.ca et directrice de l’Institut Simone‑De Beauvoir et professeure agrégée de science politique à l’Université Concordia. En tant que membre fondateur du conseil d’administration d’Enfants transgenres Canada, elle présente souvent des exposés publics sur les enfants transgenres et leur famille.
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